Les pieds sur Terre

Le shipping international: l’Enfer sur Mer? Les marins des marines marchandes: «galériens» modernes?

Covid19: ni débarqués, ni embauchés, par centaines de milliers! (oui vous avez bien lu).

1,6 million de personnes invisibles transportent les 85 % des marchandises mondiales par voie maritime. La Suisse par exemple a une flotte marchande chapeautée par la Confédération. Et la 2e compagnie de porte-conteneurs mondiale (derrière Maersk) la MSC, est suisse: avec 560 navires et plus de 70’000 employés, elle contribue pour 12,5 % au transport mondial de marchandises sur toutes les mers du globe. Nous en bénéficions chaque jour.

Pourtant le sort des marins marchands est largement méconnu du grand public. Or il s’est récemment vu très péjoré par les effets de la pandémie Covid19. Les marins sont non seulement souvent victimes de pirates et de naufrages (environ 600 morts/an), mais actuellement ils paient un lourd tribut supplémentaire à cause de cette pandémie.

Sans parler de ceux surexploités par des armateurs douteux et sans scrupules qui échappent aux contrôles.

Pas de relève

L’Organisation Maritime Mondiale (OMI, 174 pays membres) estime qu’il y a 200’000 marins bloqués sur leurs navires très largement au-delà de leurs mois successifs de travail, et 200 ‘000 autres qui ne peuvent embarquer, et donc ne peuvent assurer la relève des équipages.

Lors d’un récent sommet mondial, 13 pays ont tiré la sonnette d’alarme pour tenter de venir en aide à ces centaines de milliers de travailleurs inconnus, dont nous dépendons tous, et qui vivent une véritable tragédie silencieuse.

Des « travailleurs essentiels »

Des organisations tentent de faire reconnaître officiellement leur statut de travailleurs essentiels, au même titre que les personnels de santé, afin d’aménager les règlements sanitaires et de permettre aux marins embarqués de ne pas être piégés indéfiniment à bord des navires, mais d’être relevés et rapatriés. Ils souffrent de cet “enfermement” qui se prolonge en effet au point que leur santé mentale et physique est menacée, et que des cas de suicides par désespoir sont à craindre.

De plus, après plus de 12 mois(!!) sur un navire, sans espoir de débarquement ou de rapatriement, les risques d’accidents en mer et également de pollutions massives selon le type de transporteur augmente fortement: les hommes sont épuisés physiquement et psychologiquement. Leur vigilance est, par la force des choses, moins grande.

Actes de piratage: les prises d’otages plus graves et plus nombreuses

Dans son article du 23 juillet sur la hausse record des actes de piraterie au premier semestre 2020, Franck André, journaliste, explique: «le nombre d’enlèvements contre rançon est en augmentation de 46 % en ce début d’année, avec 54 membres d’équipages kidnappés de janvier à juin, ce qui constitue un record pour ce siècle.»

Il ajoute: “Le golfe de Guinée est de plus en plus dangereux pour la navigation commerciale”, estime le BMI. C’est le cas pour les équipages alors que plus de 90 % de ces rapts ont eu lieu en Afrique de l’Ouest, soit 49 personnes retenues captives à terre depuis plus de six semaines pour certaines. De très nombreuses régions du monde sont maintenant concernées, et les modes opératoires sont de plus en plus violents sur les marins kidnappés.

(in https://www.lantenne.com/search/piraterie+en+hausse/)

Des héros oubliés

Pensons-y, sans les marins, ces héros inconnus et oubliés, pas de commerce mondial, pas d’approvisionnement, pas de nourriture: les marchandises sont aussi bien des céréales que des médicaments, des produits industriels que des carburants.

Le 1er mai 2020, à l’appel de la Chambre internationale de la Marine marchande, tous les bateaux ont été appelés à faire sonner leur sirène à midi, pour rappeler leur rôle vital et méconnu. Qui les a véritablement entendus ?

Un métier extrêmement dur

Sur le site de recrutement Jobintree (https://www.jobintree.com/metier/marin-commerce-612.html), le descriptif du métier est clair:

Il faut être «disponible jour et nuit», supporter de «dures conditions de travail» par tous les temps, être «au top de sa forme», avoir «un mental à toute épreuve», et vivre sans intimité puisque aujourd’hui encore il y a peu de cabines individuelles.

Le salaire de base est le smic (pour la France du moins) voire inférieur selon les armateurs et les pays. Le travail est pénible, il faut être polyvalent, sur le pont et dans les salles des machines, au milieu d’un bruit continu et assourdissant, au chaud et au froid.

Et cela, c’est pour les pays qui ont un certain niveau de contrôle sur leurs armateurs, comme la Suisse.

Pour les autres, cela peut générer un cauchemar …

Les pavillons de complaisance et les abus associés

Pour les autres donc, qui voguent sous des pavillons de complaisance pour échapper aux contrôles et aux taxes, et qui utilisent des navires non entretenus, et des équipages non qualifiés, les abus sur les marins sont tels qu’ils s’apparentent à de l’esclavage moderne: marins non payés, abandonnés à leur sort indéfiniment, parfois crevant de faim à bord et malades, sans contact avec leurs familles, dont personne ne veut, et totalement désespérés … Ce n’est que tout récemment qu’il y a eu un progrès à cet égard :

Des siècles d’exploitation

Imaginez-vous que ce n’est qu’en 2013 (!) que l’ONU (OIT) a ratifié la convention collective MLC2006 qui prévoit l’obligation pour l’armateur d’assurer son équipage afin de pouvoir le payer, le nourrir et le rapatrier, en cas d’abandon du navire.

Auparavant, il n’y était pas obligé …comme le stipulait le règlement de 1866:

« L’armateur qui fait abandon du navire et du fret, n’est pas tenu de comprendre dans le fret abandonné les droits de passage payés pour le rapatriement de marins embarqués en pays étranger par l’autorité consulaire».

C’est ce qui fait s’exclamer dans le titre de son article en 2019 le chargé de mission Arnaud de Boissieu (Mission de la mer à Casablanca): «Il est fini le temps des marins abandonnés !» C’est en effet une victoire historique. Ses récits d’aide aux équipages affamés en 2016 et 2018 sont encore très révélateurs … et font froid dans le dos. (http://www.l-encre-de-mer.fr/2019-01-03-il-est-fini-le-temps-des-marins-abandonnes/)

Un monde opaque et très complexe

On pourrait écrire bien davantage sur cet univers extrêmement opaque pour les non-initiés. Il est compliqué de comprendre qui oeuvre, comment, sous quelles réglementations, qui possède les flottes et ce que cela implique.

Leur rendre hommage et nous informer

J’ai en quelques mots ici voulu tenter de rendre hommages à tous ces travailleurs essentiels qui méritent mieux que l’indifférence ignorante. En ces temps difficiles pour tout le monde, ils souffrent extrêmement.

Nous leur devons respect et reconnaissance. Et nous devrions tous davantage nous intéresser à eux, qui font marcher l’économie mondiale et nous permettent d’avoir accès aux biens dont nous bénéficions chaque jour.

Gardons les Pieds sur Terre, veinards que nous sommes! le fret maritime est aussi notre affaire …

Pour en savoir plus :

https://www.dfae.admin.ch/smno/fr/home/handelsschiffe.html

https://www.franceculture.fr/economie/marins-toujours-essentiels-et-toujours-aussi-invisibles

https://www.itfglobal.org/fr/sector/seafarers/pavillons-de-complaisance

https://www.mediapart.fr/journal/international/190420/la-marine-marchande-frappee-par-la-crise-sanitaire?onglet=full

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