Climat, Environnement et Santé

« La pandémie s’arrêtera le 14 mai 2021 à 16h00 »

Ce matin mes collègues parlementaires de droite ont monopolisé le temps à disposition de cette session de printemps pour une opération tapageuse bien inutile alors que l’agenda du Conseil national a déjà prévu le traitement de la loi Covid-19 lundi prochain. Toutes les demandes seront discutées à nouveau et en détail. La déclaration dont il est question maintenant, en revanche, n’est pas contraignante. Surfant sur le désespoir et l’exaspération, par ailleurs tout-à-fait justifiée, de la population, des indépendants et des petits entrepreneurs, toute cette agitation sert avant tout l’intérêt de ceux-là même qui ont pourtant freiné et diminué tant que se peut les mesures et les montants de soutien. Systématiquement, les mesures d’aides sociales à la hauteur des besoins proposées par la gauche depuis la session extraordinaire de mai 2020 à la session dernière de décembre 2020 ont été refusées ou diminuées par la majorité de droite. Un des exemples les plus choquants a été le refus de la droite, le 30 novembre 2020, d’adapter le droit du bail pour que les petits commerçants et indépendants ne soient pas inquiétés par l’impossibilité de payer leur loyer en absence ou face à une perte conséquente de leurs revenus. Mais, non, pas question de toucher aux privilèges des grandes régies immobilières !

Réalité objective vs intersubjective

Depuis une année, théories du complot[1] et/ou réactions de déni face à la COVID-19 me font furieusement penser à ce qu’on a entendu sur le réchauffement climatique pendant vingt ans. Peut-être l’occasion de rappeler certaines évidences.

Un virus et son taux de létalité ainsi que de contagion, sont des faits scientifiques. Leur réalité ne dépend pas de notre bon vouloir. Il appartient à la biosphère. Le quatrième élément de l’écosystème Terre, avec l’atmosphère, l’hydrosphère et la lithosphère. Ce sont là les seules « réalités » absolues, objectives. Celles qui découlent des règles fondamentales de la physique, de la chimie et de la biologie. Il n’est pas question d’y croire ou non, ni de prétendre les faire disparaître ou d’en modifier les caractéristiques comme par magie. La souffrance, la mort ou la vie font partie de cette réalité objective.

L’historien Yuval Noah Harari décrit très bien la distinction fondamentale à reconnaître entre objectivité, subjectivité et intersubjectivité[2]. Un phénomène objectif existe indépendamment de la conscience et des croyances humaines, c’est le système terre, l’univers, les gaz à effet de serre, la biosphère, les virus, etc. Est subjectif ce qui n’existe qu’à travers la conscience et les croyances d’un seul individu, est intersubjectif ce qui existe au sein des réseaux de communication qui lie la conscience subjective de nombreux individus. Ainsi les religions tout comme les idéologies politiques, les systèmes juridiques et les espaces économiques sont intersubjectifs. Même quand ces réalités intersubjectives se matérialisent et s’inscrivent dans le territoire, elles restent le résultat de quelque chose que nous avons créé, et que, par conséquent, nous pourrions défaire. Ainsi des empires ou des états, avec leur système juridique, dont l’existence évoluent dans le temps, de leur naissance à leur disparition, en particulier lorsque les gens cessent de croire en eux…

Souffrance

La détresse psychologique est à l’interface entre réalité objective et intersubjective, car la souffrance et le stress qui l’accompagne sont bien réelles, tangibles, mesurables. Mais ce qui la déclenche peut être le résultat ou d’un fait objectif comme la mort ou la dépression d’un proche, ou d’un fait intersubjectif comme une mise en faillite. Celle-ci repose sur notre système de droit, qui est le résultat des élaborations des Parlementaires, qui ont le pouvoir de le modifier, s’ils obtiennent la majorité. Ils pourraient par exemple décider d’interrompre les mécanismes implacables des lois du marché le temps de sortir de la pandémie. Ils n’ont par contre pas le pouvoir de limiter le nombre de variants qui se développeront à partir d’un virus.

Perdre ses ressources économiques a des impacts bien réels sur l’état de santé, en augmentant le stress et les angoisses pour demain. L’état providence, que la droite combat férocement depuis l’avènement du néolibéralisme dans les années 1980, sert pourtant justement à soutenir ceux qui se retrouvent démunis face aux aléas de la vie, le temps qu’ils puissent à nouveau retomber sur leurs pieds. Mais pour cela encore faut-il que les aides existent (ce pourquoi la gauche et une partie du centre-droit s’est battu depuis une année) et qu’elles arrivent à leurs destinataires dans les temps. Encore faut-il avoir survécu tant à la détresse psychologique qu’à la pandémie elle-même. Car être vivant ou mort sont des faits bien objectifs, irréversibles ! Si je suis confronté à un manque cruel de revenus, alors que j’ai droit à des aides, que je ne peux reprendre mon activité parce qu’elle représente actuellement un risque trop important pour tous les autres, que dois-je faire ? Exiger de pouvoir reprendre comme si de rien n’était et attendre que le ciel nous tombe sur la tête une nouvelle fois ou exiger la compréhension et la solidarité de chacun ? Par exemple celle de mon bailleur afin qu’il adapte ses exigences à cette situation si extraordinaire ? Par exemple de mes clients habituels pour qu’ils fassent don de ce qu’ils dépensaient chaque mois dans mon établissement avant la pandémie? Par exemple de mon canton pour qu’il me procure enfin les aides auxquelles j’ai droit et qui sont déjà débloquées par la Confédération ? Par exemple de ces politiciens de droite qui, majoritaires à Berne, ont le pouvoir d’adapter nos lois en conséquence ?

Les lois « naturelles » du marché

Après plus de deux siècles, les théories économiques libérales s’imposent à la plupart d’entre nous comme des lois « naturelles ». Or, elles constituent une réalité « intersubjective » qu’il s’agit absolument de distinguer de la réalité objective du monde.

Cette confusion imprègne l’élaboration de l’ensemble de la pensée néo-classique. Comme c’est actuellement l’idéologie néolibérale et ceux qui la porte qui dominent le monde et qui sont à l’origine même de l’accentuation de la prédation de l’être humain sur la nature, (et de l’être humain sur lui-même), elle porte une plus grosse responsabilité, et se voit contrainte à corriger et réinterroger très rapidement les fondements mêmes de sa puissance.

A la lumière de la distinction entre réalité objective et intersubjective, les requêtes du PLR et de l’UDC depuis le mois de février 2021 et qui se sont cristallisées dans leur action de communication de ce jour n’ont aucun sens. Il est reproché au gouvernement de ne pas présenter une planification claire de sortie de la pandémie. Mais, il ne s’agit pas ici d’établir un business plan. Il existe pour le pire et pour le meilleur un monde extérieur à celui que nous imaginons et que nous désirons.

N’étant pas des dieux, nous n’avons donc pas la possibilité de décider quelle est la capacité de rétention de la chaleur du CO2 tout comme nous ne pouvons agir sur les caractéristiques biologique d’un virus (contagiosité, létalité, etc.), mais en tant qu’êtres conscients et responsables, nous pouvons par contre cesser d’émettre artificiellement des gaz à effet de serre dans l’atmosphère, tout comme nous pouvons cesser de déforester, de braconner des pangolins[3] puis de les transporter d’un continent à l’autre pour les exposer dans des marchés bondés de villes reliées au monde entier par voie aérienne[4]. Et si nous n’avons pas fait cela et que se déclenche une épidémie dans une région du monde, nous avons toujours le pouvoir de diminuer voire de cesser temporairement les échanges avec cette région. Et si nous n’avons pas fait cela, et que cette épidémie est devenue pandémie, nous avons toujours le pouvoir de prendre des mesures spécifiques de protection sur notre propre territoire, qui soit dit en passant est également le résultat des élaborations de notre esprit, et non pas de lois de la nature. Et si nous ne prenons aucunes mesures particulières qui nous empêcheraient d’être mis en contact avec des mutants de ce virus, par exemple par le biais de touristes anglais adeptes de nos belles montagnes, il n’est pas lieu de penser que ce mutant ne va pas se diffuser également parmi la population, d’autant plus si sa contagiosité est plus forte et si nous ne prenons aucunes mesures particulières pour que les gens se côtoient le moins possible. De même il n’y a aucune raison de penser que le nombre de variants du virus se limitera aux trois actuellement connus, etc., etc., etc. Il n’est donc pas envisageable, pour les membres du Conseil fédéral, tout comme pour n’importe qui, de décider par exemple que « le projet pandémie se terminera le 14 mai 2021 à 16h00 ».

Il est par contre en notre pouvoir, et de notre devoir, tant du gouvernement que du Parlement, de mettre en œuvre le plus rapidement possible et de manière appropriée, toutes les mesures nécessaires pour sauvegarder les petites entreprises et les activités des milliers d’indépendants du pays, quel que soit le secteur économique (culturel, sportif, touristique, etc.) qu’ils contribuent à enrichir. Il est également de notre devoir d’envisager les mesures d’assouplissement maximales qui permettent de réduire la détresse psychologique sans risquer de relancer les contaminations. Comme cette détresse doit être prise en compte, il n’est pas possible non plus de minimiser le risque de mortalité, la fatigue du personnel soignant et la souffrance de ceux qui ont perdu un proche. C’est une pesée des intérêts très délicate qu’il s’agit de réaliser.

Alors que les reproches pleuvent sur notre gouvernement, d’un point de vue tant scientifique qu’éthique, je suis rassurée de le voir tenir bon malgré tout. Notre président de la confédération a pris ses responsabilités. De même, notre ministre de la santé, à l’écoute de la Task force scientifique, justifie les mesures de semi-confinement si impopulaires en nous alertant sur le risque que représente la diffusion en Suisse des nouveaux variants du virus. Gestion du risque. Nous y voilà. De façon assez systématique la majorité de droite du Parlement et les puissants acteurs économiques et industriels qu’ils défendent sous-évaluent le risque pour la population, qu’il soit d’ordre sanitaire ou environnemental (les deux étant d’ailleurs étroitement liés). Cette sous-estimation, associée à une incapacité ou au refus de distinguer les faits objectifs (létalité, taux de contamination, etc.) des faits intersubjectifs (économie de marché, valeur marchande, etc.) permettent tant à l’UDC qu’au PLR de se livrer à de vastes opérations médiatiques de démagogie, sans jamais envisager d’assouplir les privilèges des plus puissants, tout en s’acharnant contre les représentants de notre autorité, et en flirtant dangereusement avec l’exaspération et le désespoir légitime de la population.

 

[1] On peut relever une dizaine de théorie de complot concernant la COVID-19 : https://sciencetaskforce.ch/fr/policy-brief/adresser-le-coronascepticisme/, consulté le 11 février

[2] Yuval Noah Harari, Sapiens, Une brève histoire de l’humanité, Albin Michel, 2015, pp.140-146

[3] Toutes les évidences convergent pour affirmer que SARS-CoV-2 est un virus d’origine naturelle, qui s’est adapté à l’être humain par passage depuis les chauves-souris chez des mammifères inconnus à ce jour, ou directement chez l’être humain

[4] Le pangolin a été fortement soupçonné au départ, mais les dernières analyses ne confirment pas cette source. https://www.revmed.ch/RMS/2020/RMS-N-691-2/Origine-de-SARS-CoV-2-le-probable-et-le-possible, consulté le 11 février 2021

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