Le grain de sable

Faire plier la Russie?

« Je veux de la poudre et des balles ». Ainsi se terminait, dans les Orientales de Victor Hugo, publiées en 1829, le poème de L’enfant grec.

Cette citation peut-elle être rapprochée du souhait de ce Néerlandais arrivé en Ukraine il y a une vingtaine d’années où il exploite un des gigantesques domaines agricoles et dénonce l’urgence qu’il y a d’écouler les céréales amoncelées depuis la fermeture des ports de la Mer Noire ? Interviewé par Le Temps (p.3 du 13 juillet) son avis est mis en évidence en rouge : « Le seul remède c’est de faire plier la Russie, de gagner la guerre et de rouvrir les ports de la Mer Noire ». Et la citation se termine ainsi : « il n’y aura pas d’autre solution. Mais personne ne veut aujourd’hui le dire aussi clairement ».

A vrai dire, à la différence de l’enfant grec, ce n’est pas pour se battre que ce gérant veut « de la poudre et des balles ». Il espère surtout que l’Ukraine en recevra pour « gagner la guerre » et qu’à ses risques et périls l’Occident aidera à « faire plier la Russie ».

Qu’on nous pardonne, considérer que le seul remède c’est de « faire plier la Russie et de gagner la guerre » pour rouvrir les ports paraît irresponsable.

Encore une fois, ni le courage ni le patriotisme des Ukrainiens n’est mis en doute, ils en ont fait la preuve, mais à quel prix ? Tant pour eux que pour une partie du reste du monde. Les effets négatifs des sanctions se manifestent plus à l’égard des Européens et des pays africains privés de leurs ressources céréalières que de la Russie, et M. Poutine doit rire sous cape en constatant le marasme énergétique dans lequel se débattent les pays européens, les querelles humanitaires naissantes en leur sein  ou entre eux à propos de l’accueil des milliers de réfugiés, la tentation occidentale de violer ses propres principes élémentaires du droit par la confiscation de biens gelés pour cause de présomption de culpabilité des propriétaires.

Mais où sont donc les forces politiques en Occident cherchant par toutes les voies légales et diplomatiques à obtenir une fin des hostilités militaires ? L’Occident sera-t-il finalement aussi la cause de la crise alimentaire parce qu’il aura marché dans le délire fou de « faire plier la Russie », au risque de la pire des escalades guerrières ?

Parodiant le citoyen néerlandais gérant une exploitation agricole en Ukraine, j’ai envie d’écrire : « Personne ne veut aujourd’hui le dire clairement ».

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