Le grain de sable

Quand la justice tord l’état de nécessité, la démocratie s’écroule

Des juges genevois ont donc appliqué la notion « d’état de nécessité » en matière de climat de la même manière que le juge vaudois dont le jugement a été heureusement annulé en deuxième instance. La politisation de la justice devient ainsi une sorte de pandémie au niveau cantonal. C’est inquiétant.

La notion d’état de nécessité (art.17 du code pénal suisse [CPS])

Il y a état de nécessité selon le code pénal lorsqu’un danger imminent menace un bien juridique appartenant à la personne qui accomplit un acte illicite ou à un tiers, que ce danger ne peut être détourné autrement que grâce à l’accomplissement de cet acte illicite et que cet accomplissement sauvegarde des intérêts prépondérants.

Si ces conditions sont toutes réalisées, l’acte illicite devient licite.

Vérifions cela dans les cas genevois et vaudois susmentionnés.

Le danger imminent qui menace

Ce serait le réchauffement climatique à cause des rejets de CO2 ? A vrai dire, est-ce un danger imminent c’est-à-dire sur le point de se produire ? Ou bien est-ce un danger connu contre lequel l’humanité cherche les meilleures protections ?

Le bien juridique à préserver

C’est la planète, ou l’avenir ou la santé.La planète est-elle un bien juridique ? Problème philosophique.La santé et l’avenir sont-ils des biens juridiques ? Question éthico-philosophique.

Les propriétaires des « biens juridiques » à préserver

La Planète appartient-elle à quelqu’un ? Aux auteurs de l’acte illicite ? à l’humanité ? La santé ou l’avenir à préserver appartiennent-ils aux auteurs de l’acte ou à l’humanité ?

 Sauvegarder des intérêts prépondérants

La lutte contre le réchauffement climatique par la diminution des émanations de CO2 doit assurer la protection de la planète ou de la santé ou de l’avenir de quelques personnes ou de l’humanité et cette lutte peut paraître plus importante que la protection immédiate du domicile ou de la propriété privée d’autrui. Question socio-politico-philosophique à laquelle la réponse politico-philosophique peut être : «la fin justifie les moyens ». Ce n’est pas un principe juridique.

L’acte illicite concerné

Dans le canton de Vaud, l’acte illicite était l’occupation sans droit du local d’une banque pour une partie de tennis, soit une violation de domicile (art. 186 CPS) ; dans le canton de Genève, l’acte consistait en un barbouillage en rouge d’une enseigne commerciale, propriété privée, ce qui constituait un dommage à la propriété (Art. 144 CPS).

Impossibilité de détourner ce danger autrement

Pour être excusable, l’acte illicite accompli doit être seul apte à détourner le danger, donc à en empêcher ou à en arrêter les effets immédiatement.

Peut-on affirmer qu’une partie de tennis dans une banque (= violation de domicile) ou le peinturlurage en rouge d’une enseigne privée (= dommage à la propriété) sont aptes comme tels, à l’exclusion de tout autre moyen, à arrêter immédiatement dans le monde, ou en Suisse, ou dans le canton concerné les émissions de CO2, donc à éviter immédiatement le réchauffement climatique, soit à sauver immédiatement la planète ou à assurer ainsi immédiatement et exclusivement la santé et l’avenir des auteurs des actes ou de l’humanité ?

L’état de nécessité n’était pas réalisé

A la lecture de tout ce qui précède, force est de constater que les conditions juridiques (le code pénal n’est pas un recueil de questions philosophiques) de ce que le code pénal appelle l’état de nécessité n’étaient pas réalisées. Les actes illicites accomplis par les défenseurs du climat ne pouvaient donc être devenus licites (même s’ils étaient peu graves). Il importe en effet de ne pas confondre la gravité des actes et leur licéité.

Comment un juge peut-il voir un état de nécessité dans les éléments analysés ci-dessus ?

Qu’un avocat plaide dans ce cas l’état de nécessité pour défendre son client, cela peut faire partie du jeu, bien que ce soit à la limite de la bienséance professionnelle, en revanche, qu’un juge chargé d’appliquer la loi puisse le soutenir, c’est inadmissible. Cela signifie soit qu’il n’a pas compris la loi, soit qu’il considère que sa conception philosophico-socio-politique doit l’emporter sur les règles juridiques élaborées démocratiquement.

Dans le premier cas (incompréhension), c’est inquiétant, vu que l’article 17 CPS est un de ceux qui expriment les conditions de base de la répression pénale ; mais l’erreur est humaine et le recours au juge supérieur pourra corriger le tir. On commence cependant à douter de la compétence du juge vu la grossièreté de l’erreur.

Dans le second cas (philosophie personnelle du juge), c’est incompatible avec la mission du juge. Le recours contre sa décision permettra également de corriger le tir, mais la confiance des justiciables sera ébranlée. Le juge sera soupçonné d’être devenu l’otage ou le jouet des défenseurs d’une certaine cause. D’autres juges pourraient se sentir légitimés à défendre d’autres causes leur tenant à cœur et les batailles politiques seraient déplacées de l’arène publique ouverte vers le petit monde judiciaire clos. Fin de la démocratie.

La démocratie est un régime politique qui exige plus de temps que la dictature, elle est peu conciliable avec l’état de nécessité. La procédure actuelle utilisée pour décider les mesures d’urgence appliquées dans la lutte contre le virus n’en est-elle pas une preuve intéressante?

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