« Client » un terme aujourd’hui désuet…

Dans des temps pas si lointains, il existait le culte du client-roi. Une période bénie où les entreprises rivalisaient de créativité pour satisfaire celles et ceux qui pouvaient être intéressés par leurs produits ou leurs services, pour anticiper leurs désirs et développer la passion du service. L’orientation client sincère et la recherche éperdue de l’attente implicite était la règle, le contributeur principal des organisations se sentait valorisé. Désormais, pour la grande majorité des entreprises d’une certaine envergure, le client est devenu un problème et tout est fait pour lui rendre impossible le contact direct avec l’organisation. En effet, d’illustres experts en efficience ont mis en place des plateformes informatiques censées apporter des réponses aux problèmes standards identifiés… mais qui ne sont jamais les nôtres ! Les collaboratrices et collaborateurs de ces organisations se consacrent donc à de multiples tâches certainement essentielles, dans le cadre d’incontournables procédures, mais ils coûtent bien trop chers pour perdre du temps avec ceux qui les paient…

J’en ai fait encore récemment l’amère expérience. Décidant d’inviter ma famille à Bruxelles pour voir le concert des Stones mi-juillet, je privilégiais notre compagnie nationale à une compagnie low cost bien connue, afin de bénéficier d’un service potentiellement meilleur. Première surprise, pour d’obscures raisons qu’il était manifestement impossible d’anticiper, nous apprenons par SMS dans le bus nous emmenant à l’aéroport que le vol était annulé. Suit une proposition pour un vol de remplacement partant vers Munich le lendemain en fin de matinée pour arriver à Bruxelles en soirée… La perspective de passer une journée entière dans des aéroports en pleine effervescence juilletiste, tout comme la perte d’un jour de visite de la capitale européenne ne nous enchantant guère, nous rejetons l’ersatz proposé et cherchons une autre solution, option non prévue par le système en ligne. Un TGV partant une heure plus tard pour Paris semblant être une alternative acceptable, nous nous dirigeons donc rapidement vers Cornavin, non sans appeler immédiatement l’hôtel réservé à Bruxelles, établissement appartenant au plus important groupe hôtelier français, pour les informer que nous ne serions pas en mesure de le rejoindre le soir même et que nous aurions donc besoin de chambres à Paris. Un second TGV le lendemain matin et nous arrivons enfin dans la capitale belge.

A notre arrivée, nous demandons le remboursement de la chambre prépayée bruxelloise pour la première nuit et remplacée par celle où nous avons dormi à Paris, dans la même chaîne donc ; mais les procédures internes l’interdisent et aucun acteur sur place ne peut décider autre chose, même si tous sont d’accord avec l’incohérence de la situation. Et finalement, le pompon ! A l’heure du retour, notre compagnie à croix blanche décide unilatéralement d’annuler nos places et de les attribuer à d’autres passagers plus dociles, sans aucune information préalable. Nouvelle recherche de solutions in extremis afin de rentrer et c’est finalement la compagnie low cost orange qui nous ramène à bon port en soirée. Coût de l’opération pour 5 personnes : 4,5 fois le budget initial de transports (TGV Genève-Paris, Hôtel à Paris, TGV Paris-Bruxelles, vol retour Bruxelles-Genève) ! Et je vous épargne mes vaines tentatives d’entrer en contact avec la compagnie aux 5 lettres, après un record de 31’20’’ d’attente sans réponse au « service center », le bien nommé, avec le message rassurant et bien connu passé en boucle : « toutes nos collaboratrices et collaborateurs sont actuellement occupés, merci de rester en ligne ». Rassuré en effet, car des collaborateurs, on pensait qu’il n’y en avait plus.

Combien de temps allons-nous accepter d’être traités de la sorte ? Comment avons-nous pu en arriver à ce niveau d’absurdité dans ces systèmes où les collaboratrices et collaborateurs sont à ce point infantilisés et serviles et les clients aussi maltraités ? La recherche effrénée du prix le plus bas ne satisfait finalement personne et génère des coûts indirects considérables. Il est grand temps de privilégier des acteurs plus sensibles aux réalités du marché, défendant d’autres valeurs, et d’oublier ces bureaucraties globalisées insensées pour lesquelles nous ne sommes plus qu’un numéro de carte de crédit.

Soulignons enfin que le concert fut extraordinaire et que toutes ces péripéties nous ont permis de méditer sur un des célèbres tubes de Mick Jaegger : « you can’t always get what you want… » !

Steeves Emmenegger

Steeves Emmenegger est ancien DRH, ancien DG, président ou membre de différents conseils d'administration ou de fondation dans les assurances sociales (OCAS), la fiduciaire (SFER), l'Immobilier (Cité U), le social (TRT, Compétences Bénévoles), la culture (Cité Bleue)et le sport (Groupe Servette), consultant indépendant depuis 18 ans, basé à Genève et à Lausanne, dans le domaine du head hunting et du consulting.

16 réponses à “« Client » un terme aujourd’hui désuet…

  1. Vous avez parfaitement raison, et c’est dans tous les secteurs la même chose. Ayant quelques travaux à faire faire dans notre maison, j’ai voulu à deux reprises favoriser une entreprise locale, … qui m’a carrément “envoyé sur les roses”. Finalement, c’est une entreprise d’un canton voisin qui a fait le travail, rapidement, parfaitement, et pour moins cher. Et je pourrais citer d’autres exemples du même genre encore; le respect du client s’est complètement perdu de nos jours, il n’est plus qu’un “cochon de payeur”, … et encore, si on veut bien daigner s’occuper de lui! Et ensuite, au prochain retournement de conjoncture, ça viendra pleurer misère!

  2. Je ne peux qu’aller dans votre sens, car nombre de site ne communiquent plus leur numéro de téléphone afin d’éviter d’être en contact avec les clients. Mais je pense que ceci n’est pas lié à la course aux pris bas, mais simplement à notre société qui vise à supprimer toute esprit d’initiative des employés qui doivent se cantonner à leur seule tache et ne pas s’occuper du reste.
    Personne ne prends le risque d’une initiative sous peine de risquer de se faire sanctionner, ainsi pour la moindre décision, il faut passer par n étages hiérarchiques et l’approbation du service juridique des fois que cette initiative d’aider un client puisse être retournée par ce dernier contre la société.
    Comme il faut un responsable en cas de problème, c’est la patate chaude et personne ne veut plus s’impliquer. Voilà le véritable problème.
    Quand au client… voyez la situation à l’aéroport d’Amsterdam pour comprendre qu’ils ne sont plus que des usagers sans aucun droit.
    C’est pathétique, mais le monde ne va pas s’améliorer, personne n’ayant plus de “Rücksicht”- terme traduisible approximativement par “considération” en Français pour autrui.

  3. J’ai beaucoup apprécié cet article qui met le doigt sur une évolution délétère du marché actuel. C’est partout pareil: dans les administrations, les compagnies d’assurances, les banques, et toutes les grandes entreprises, quand on a besoin d’une information ou d’un service, il est impossible de parler à une personne humaine, et vivante, qui puisse nous aider. On doit poireauter des heures au bout du fil après avoir reçu un message enregistré nous avertissant que pour des raisons de sécurité, de qualité ou de formation (les prétextes mensongers varient selon les cas) toute conversation sera enregistrée. Eventuellement on nous demande si on est d’accord pour que la machine prenne une empreinte vocale de notre voix, et bien sûr rien ne nous garantit que si on refuse, il en sera tenu compte. On nous demande aussi de taper 1, 2, 3 4 ou 5 ou de rester en ligne, selon le service recherché. Disons que 3 est le service contentieux, on tape 3, puis on poireaute. Généralement après une longue attente de 20 à 40 minutes, on tombe sur une voix humaine maids ce n’est pas du tout le service contentieux. On essaie tant bien que mal d’expliquer de quoi il s’agit et l’être humain anonyme nous promet de nous connecter avec la bonne personne. Puis rebelotte: nouvelle attente, nouveau message enregistré, nouveau poireautage. Après 20 minute : désolé nos services surchargée, veuillez rappeler plus tard.

    Bref, on a supprimé toutes les fonctions d’accueil et de conseil et on a misé exclusivement sur les algorithmes. Mais ça ne fonctionne absolument pas.

    Je me suis demandé ce que je ferais si j’étais à la tête d’une cie d’assurance ou d’une banque. Il me semble que je refuserais ce système dysfonctionnel et je formerai une équipe de collaborateurs-trices aimables et compétents pour les fonctions importantes d’accueil et conseil de la clientèle. Je suis convaincu que le résuéltat serait une amélioration de l’efficacité au point de vue commercial, car la clientèle finirait par préférer un service à la clientèle, à des algorithmes nocifs et agaçants.

    Pour ma part j’en tire la conclusion que les écoles de management sont peuplées d’imbéciles incompétents qui se contentent de suivre servilement les modes techniques du moment, sans réfléchir au véritable impact commercial de cette orientation complètement stupide.

    J’espère qu’on en reviendra, mais on peut en douter car on sent qu’il y a une volonté politique pour aller vers la société de surveillance totale style 1984, mais en pire. Big brother is watching you. Ca va avec tout le resrte, confinement, sanctions, vaxxination e tutti quanti.

    C’est insupportable.

    1. Bonjour,

      Bien qu’effectivement le doigt soit mis sur certaine dérive….il faut peut être aussi se remettre en question

      Est-ce que l’on peut attendre un service conséquent quand un billet d’avion coute aujourd’hui – 100 CHF ou quand l’on souhaite obtenir des services gratuits…..car au final oui un employé à un cout (il me semble que personne ne travaille gratuitement)

      Des banques ou un client peut avoir un conseiller et le contacter (sans être millionnaire) ceci existe. Bien entendu, si l’on s’attend à trouver normal de payer 50.- de frais annuel il faut aussi accepter que ce même conseiller ne soit peut être pas disponible dans les 5 minutes

      1. “Des banques ou un client peut avoir un conseiller et le contacter (sans être millionnaire) ceci existe. ”

        Ah bon? Vous pouvez me donner l’adresse svp ?

        1. Bonjour Ras le Bol, UBS SA SA Ouchy …… en ayant des comptes normalement constitués …… Bien à vous, eab

  4. Il est grand temps de créer l’association de défense des clients et d’agir par tous les moyens disponibles.

  5. Bonjour Monsieur, et merci pour ces remarques fort justes.

    Je me souviens d’un affiche à l’entrée d’un magasin au Colorado, il y a 30 ans.
    Elle disait :” règle numéro 1, le client a toujours raison; règle numéro 2, même s’il a manifestement tort, le client a toujours raison”

    Un gros entrepreneur américain m’a dit il y a un an, ” un client est une poche de passage, à vider et non à satisfaire, en attendant la poche du client suivant”.
    Il n’est plus question de fidéliser mais de prendre.
    Changement d’époque….

    Je m’interroge.

    Les salariés (même si on les voit, ils ne sont guère avenants) ont-ils sociologiquement perdu le sens de la relation à l’autre ? Par imprégnation d’une certaine virtualisation des contacts ? Par manque de civisme ? Par manque d’empathie ? Les hiérarchies et leurs injonctions sont-elles les seules responsables? Les salariés ont-ils peur du contact social ?

    Le problème vient certainement aussi de ces “managers”, clones élevés en batterie dans des écoles formatant les esprits, ne promouvant que le court-termisme ( dont le profit immédiat), délaissant l’humain en le jugeant comme une perte de temps….
    Finalement ils obéissent aux catéchisme des entrepreneurs qui se vantent d’être disruptifs, mais restent obsessionnellement sous la coupe de dogmes. Et ces dogmes ne leur parlent pas de psychologie, de sociologie, d’affects…juste de comment utiliser les esprits pour que les clients soient des porte-monnaies à vider.
    Le concept d”‘optimisation ” ,dans la pire acception de ce mot.

    Merci pour cet espace d’échange Monsieur,

    1. Je me pose une question :
      On dit souvent que le client est ou était roi (ou a toujours raison).
      Mais l’a-t-il vraiment été un jour ?
      Je me demande si ce n’est pas plutôt : L’argent est roi.
      Ou peut-être : une certaine convergence des intérêts du fournisseur et du client est reine.

      Car à la question : “Combien de temps allons-nous accepter d’être traités de la sorte ?”
      La réponse semble assez évidente : tant qu’il y a assez de (nouveaux, roulement de) clients qui sont satisfaits du rapport qualité×quantité/prix et qu’un fournisseur (et actionnaires) est satisfait de sa marge dans ces conditions.
      Dans l’exemple présent, peut-être que l’option intermédiaire entre l’aviation civile low cost et le jet ou hélicoptère privé est rarissime.
      Mais s’il y a de la demande avec monnaie sonnante et trébuchante, pourquoi une entreprise n’est-elle pas créée ?

      Concernant la difficulté de contacter directement le service clientèle de grosses sociétés visant un large public : je pense que la technologie (IA et autre) n’est pas le facteur déterminant.
      Je suppose que, malheureusement :
      a) Ces services sont inondés de demandes répétitives / peu claires / mal formulées dont les réponses sont souvent disponibles via une brève recherche (si site web bien conçu et nourri ET l’utilisateur a un peu de jugeotte). Les demandes plus pointues sont noyées dans la masse.
      b) C’est encore pire lorsqu’il y a un pépin momentané. Car beaucoup trop coûteux d’avoir assez de personnel pour absorber de tels pics.
      c) Les entreprises se sont rendus compte que, selon leur modèle de coûts (et plan d’affaires), il est préférable de frustrer quelques clients voire de les perdre plutôt que de faire exploser les coûts et donc le prix (ou réduire la marge) en engageant plus de personnel et/ou plus compétent / avec plus d’initiatives => responsabilités => salaire.

      C’est d’ailleurs précisément pour cette raison que les gammes et les classes distinctes existent…
      P.ex. le SAV est souvent complètement différent entre un ordinateur grand public et un modèle “pro” avec assurance “pro” également.

  6. La tendance est que l’élite reprenne totalement la main sur la vie économique. Au fait, les employés ordinaires qui servaient avec le sourire les clients, sont remplacés petit à petit par des programmes informatiques sophistiqués, de sorte que les employés sont réduits à des rôles d’ouvriers à bas salaires, et les patrons sont d’accord de payer très chers les entreprises de conseil et les programmes informatiques, pour mettre en place des procédures détaillées et précises. L’écart de revenus ne fera que de se creuser entre patrons et employés. Les Entreprises ont tort de tuer les initiatives personnelles de leurs employés et de les réduire à des jobs “d’applicateur de procédure”. Ce que les agences de voyage par exemple gagnaient jadis est toujours payé par les clients mais à ebooking et semblables et chez ces entreprises ce sont les machines qui travaillent. Le plus flagrant est le modèle d’exploitation d’Amazon qui n’a plus besoin que de magasiniers, et de gros bras pour porter des paquets, et très peu de commerciaux compétents.

  7. « Comment avons-nous pu en arriver à ce niveau d’absurdité dans ces systèmes »

    J’ai un début d’explication qui vaut ce qu’il vaut.
    Nous assistons à deux désirs de nos sociétés qui s’opposent : la volonté d’intégration des plus fragiles, des moins qualifiés et des moins formés (désir d’égalité) et la complexification de la société que ce désir induit.

    Dans un sens, des personnes de moins en moins bien formées doivent pouvoir participer au même titre que les autres au fonctionnement de nos sociétés (désir d’inclusion, injonction morale à favoriser l’être au détriment du faire, refuser de travailler plutôt que d’exercer une profession « qui ne fait pas sens » ou qui participe à la destruction de la planète, refus des systèmes éducatifs de fournir de la « chair à canon » au capitalisme, etc.) ce qui induit une forme de nivellement par le bas, le travail n’étant plus considéré par une partie grandissante de la société que comme une contrainte inutile voire néfaste.

    Dans l’autre sens, toutes ces personnes aspirent à se réaliser, à consommer et à profiter des bienfaits de la modernité qui doit trouver des alternatives à l’absence grandissante de compétences disponibles. Ces alternatives sont essentiellement faites de procédures simplificatrices, de systèmes automatisés et de technologies destinées à se substituer à l’humain quand cela est possible afin de maintenir à un niveau acceptable les services demandés par la population que le mouvement de décompétence auquel on assiste ne permet plus d’offrir en quantité et en qualité.

    En d’autres termes, pour permettre l’existence d’une société constituée de personnes qui se voient avant tout comme des consommateurs, des rentiers ou des militants et plus comme des producteurs, il faut mettre en place des systèmes très sophistiqués … que, à terme, seule une petite élite extrêmement compétente sera à même de contrôler (le reste de la population en étant tout simplement plus capable).

    Je pense que nous sommes entré dans cette période de transition qui va nous mener petit à petit vers cette société aux aspirations schizophrènes.
    Reste à savoir si elle est viable. L’avenir nous le dira …

    1. “personnes qui se voient avant tout comme des consommateurs, des rentiers ou des militants et plus comme des producteurs”……..

      Un condensé parlant !

      Je me permets de suggérer la lecture de L’homme nu, de Marc Dugain, qui évoque ce basculement de société que vous évoquez.

  8. Bonjour ! J’ai adoré votre texte. Merci.
    Et voilà pourquoi depuis fort longtemps je me déplace en autonome, même sur de très très longues distances kilométriques … parce que les problèmes avec la compagnie que vous citez existaient déjà à l’époque et c’est vieux (8 lettres versus 5 lettres).
    En sus, acquérir quoi que ce soit via internet c’est aussi terminé (un coffre spacieux c’est mieux).
    De même que la chaîne hôtelière que vous citez: basta l’idiotie automatique du personnel, idiotie à laquelle le personnel a été soigneusement entraîné.
    Toutes ces “compagnies” pensent de nous “vaches à lait” – présumer autrement est hautement ridicule.
    Donc il faut trouver nos propres solutions et cela fonctionne parfaitement.
    eab rôdeuse chronique

  9. Toute ma sympathie. Toutefois vous auriez dû vous y attendre. La solution est ailleurs, et connue : passez vos vacances en Suisse et arrêtez de voler pour un oui ou un non.

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