Le contexte
Pour un pays, la souveraineté est synonyme de pouvoir et de moyen de revendiquer son indépendance et sa reconnaissance au niveau international.
La problématique
Pour un pays, être souverain, c’est être autonome et en mesure de construire, maintenir et défendre son autonomie stratégique, économique et industrielle afin de de pouvoir, même en situation de crise, être en mesure d’agir, c’est à dire être en capacité de prendre des décisions. C’est en fait, avoir le choix.
Désormais tout cela n’est pas possible sans le recours à des infrastructures numériques, mais qui les maitrise ? Quelles entités maitrisent les données, les logiciels et les matériels informatiques et de télécommunication indispensable à la souveraineté des pays?
Force est de constater que :
- Sans souveraineté numérique, un pays peut-il encore disposer des moyens suffisants et nécessaires pour protéger ses intérêts ?
- Sans souveraineté numérique, un pays peut-il encore être en situation de pourvoir exercer sa souveraineté économique et industrielle ?
- Tout état indépendant peut-il être souverain sans souveraineté numérique ?
Des réponses convaincantes devraient être apportées à ces questions avant qu’un pays s’engage, en toutes connaissances de causes et d’effets y compris sur le long terme, dans le choix de solutions Cloud basées sur des fournisseurs étrangers.
Un Cloud étranger n’est jamais neutre
L’évolution technologique est la résultante de choix politiques et économiques.
Les nouvelles technologies sont au service d’une vision du monde et de ceux qui le dirigent. La technologie n’est pas neutre, elle modifie profondément notre manière de vivre aux niveaux individuel et collectif, des organisations publiques et privées et des pays.
La technologie est un instrument du pouvoir pour ceux qui la maitrisent. Elle enlève le pouvoir à certains pour le donner à d’autres en changeant la réalité pour tous.
Le problème n’est pas ce que permet de faire la technologie ni ce qu’elle peut apporter, mais il relatif la manière dont elle le fait, à son prix et à la dépendance développé à son égard et envers ses fournisseurs.
Dans l’agriculture intensive, ce n’est pas le concept d’agriculture qui est en cause, mais la façon dont elle est réalisée et ses impacts négatifs. Toujours par analogie, ce n’est ni l’électricité, ni le gaz, ni le pétrole qui posent problèmes, c’est la surconsommation et les dépendances à ces énergies et à leurs pourvoyeurs qui sont devenues problématiques. C’est la même chose avec l’informatisation de la société basée sur la dépendance grandissante aux plateformes numériques d’origine étrangère. Elles appartiennent à une poignée d’acteurs hégémoniques qui imposent leurs règles aussi bien au niveau local qu’international.
Le 21ème siècle est celui de la plateformisation du monde qui impose que la majorité des services numériques soient accessibles uniquement en passant par des plateformes qui concentrent données et traitements et qui contrôlent l’accès aux mondes numériques.
Comme pour la pandémie Covid ou le conflit en Ukraine, qui constituent des révélateurs de nos interdépendances complexes à effet systémique qui affectent tout un chacun dans son mode de vie et son pouvoir économique, la manière de réaliser la transition numérique de la société fondée sur des plateformes numériques que nous ne contrôlons pas, complexifie la maitrise des risques informatiques et en génère de nouveaux.
Des solutions sont possibles
Choisir des acteurs locaux permet une meilleure maîtrise technologique tout en stimulant l’économie locale (emploi, réseau de partenaires, fiscalité,…). Les données stockées et traitées par des logiciels et des infrastructures du pays permet l’application du cadre juridique du pays et de s’assurer par l’usage de technologies « open source », qu’il n’y a pas de point d’entrée cachée exploitée par un fournisseur étranger ou les autorités dont dépendent ce fournisseur. Des Lois extraterritoriales existent comme par exemple le Cloud Act (The Clarifying Lawful Overseas Uses of Data Act (USA, 2018)) qui autorisent certaines autorités à accéder aux données partout dans le monde. C’est pour cela qu’il n’est pas suffisant que les données soient localisée dans un territoire national, il est désormais impératif qu’elles soient traitées par des infrastructures numériques qui permettent que le For juridique du pays puisse s’appliquer afin de contribuer à assurer la cohérence technique et juridique. Cela doit aussi être pris en compte lors de choix des prestataires de cloud computing. Il est crucial de se poser la question de l’origine des logiciels qui traitent les données. Par ailleurs, les bases juridiques sont de plus en plus questionnées comme en témoigne par exemple le fait que le Tribunal administratif fédéral suisse devra statuer prochainement sur le projet de cloud public de la Confédération.
Maîtriser toute la chaîne de valeur du numérique passe aussi par la maitrise non seulement, des données, des traitements et des réseaux mais aussi par la maitrise de l’ensemble des éléments constitutifs de la chaîne de production et de distribution de ces technologies et de leur cybersécurité. Cela comprend par exemple la fabrication des processeurs et des systèmes d’intelligence artificielle. A défaut, la souveraineté numérique revient en réalité à réduire et à maitriser les dépendances stratégiques dans le domaine du numérique.
Un cercle vertueux
Comme pour l’autosuffisance alimentaire, disposer d’une certaine autonomie numérique est possible en s’appuyant notamment sur des solutions de Cloud souverains et sur celles permettant la maitrise de la cybersécurité des systèmes d’information nécessaires au bon fonctionnement des infrastructures vitales d’un pays (activités civiles, militaires, judiciaires d’un pays, recherche et développement, transport, énergie,…).
Assurer des niches d’autonomie, initialiser un cercle vertueux, le développer pour grandir en souveraineté demande une volonté et des actes en cohérence qui consiste dès que faire se peut d’utiliser des solutions qui sont conformes à la définition de la souveraineté numérique et de contribuer à tous les niveaux de développer les capacités et compétences humaines nécessaires.
Cette démarche peut s’inscrire dans une stratégie numérique « responsable et durable » et intégrer divers volets de la numérisation qui pourrait concerner entre autres : la numérisation de la santé ou celle des collectivités territoriales.
En Suisse par exemple, comme dans bien d’autres pays européens, le tissu économique dispose des entreprises possédant un réel savoir-faire dans ce domaine, pourquoi ne pas collaborer avec elles de manière plus soutenue ? Pourquoi ne pas les faire collaborer pour réaliser des mesures concrètes soutenant une vision politique assumée de la souveraineté numérique ?
Cela permettrait d’obtenir une meilleure maîtrise des infrastructures numériques du pays par le fait même que les entreprises partagent les mêmes intérêts et le même cadre juridique avec des relations de proximité durables favorisant la réalisation de solutions sur mesure, indépendamment d’éventuelles pressions exercées par des fournisseurs étrangers.
Cela pourrait également s’inscrire dans une démarche plus efficace de cybersécurité et de protection des données. D’autant plus que des solutions multi-cloud telles que celles retenues par la Confédération helvétique, sont susceptibles d’engendrer une complexité opérationnelle et des défis de sécurité additionnels.
à suivre …
***
Au sujet de la souveraineté numérique par Solange Ghernaouti
Pour une obligation d’annoncer dans quel cloud se trouvent nos données.
Blog Cybersécurité. Le Temps. 10 juillet 2022
Économie numérique et transhumanisme.
Interview AntiThèse. 7 juin 2022
https://www.antithese.info/videos-antithese/solange-ghernaouti
La souveraineté numérique passe aussi par la sobriété.
The Conversation. 15 Décembre 2021.
https://theconversation.com/la-souverainete-numerique-passe-aussi-par-la-sobriete-172790
Cybersécurité et souveraineté numérique : réponses aux questions que nous recevons avec Solange Ghernaouti. Infomaniak. 7 mars 2022.
https://news.infomaniak.com/cybersecurite-et-souverainete-numerique/
Souveraineté numérique.
Interview Radio Libre. 26 février 2022
https://radio-libre.ch/podcast/souverainete-numerique-avec-prof-solange-ghernaouti-le-live/
Cyber allégeance, la triple peine
Blog Cybersécurité. Le Temps. 19 décembre 2021
https://blogs.letemps.ch/solange-ghernaouti/2021/12/19/cyber-allegeance-la-triple-peine/
Cloud et souveraineté numérique, quelles conséquences ?
Blog Cybersécurité. Le Temps. 23 juillet 2021
Perte de souveraineté numérique, la faute de trop
Blog Cybersécurité. Le Temps. 10 juillet 2021.
Priorité à la défense du vivant et des territoires numériques
Blog Cybersécurité. Le Temps. 26 aout 2020
Mobilité 5 G, reprendre le contrôle
Blog Cybersécurité. Le Temps. 1 février 2019
https://blogs.letemps.ch/solange-ghernaouti/2019/02/01/mobilite-5-g-reprendre-le-controle/
Des espions chinois dans nos machines ?
Blog Cybersécurité. Le Temps. 17 décembre 2018.
https://blogs.letemps.ch/solange-ghernaouti/2018/12/17/des-espions-chinois-dans-nos-machines/
Souveraineté numérique et dématérialisation au Congo-Brazzaville
Blog Cybersécurité. Le Temps. 19 septembre 2018
Cybersécurité : 5 questions vitales
Blog Cybersécurité. Le Temps. 16 mai 2018.
https://blogs.letemps.ch/solange-ghernaouti/2018/05/16/cybersecurite-5-questions-vitales/
Cybersécurité : l’intérêt collectif est l’intérêt particulier
Blog de l’Académie suisse des sciences techniques (SATW). 20. juillet 2017
https://www.satw.ch/fr/blog/cybersecurite-linteret-collectif-est-linteret-particulier
Cybersouveraineté
Octobre 2017. Mon journal de la Cybersécurité — Saison 1 Cyberconscience. Éditions ISCA Livres, 2022.
https://shop.isca-livres.ch/isca/1075-book-mon-journal-de-la-cybersecurite.html