Imaginaires

Liberté et solidarité

Les réactions des populations aux contraintes qui leur sont imposées par les politiques sanitaires anti-Covid varient selon la culture qui leur a été transmise. J’y pensais lors d’un tout récent séjour à Rome, une ville dont les habitant.e.s ont été séculairement biberonnés au fatalisme. Devoir dégainer son green pass dix fois par jour ou se faire refouler un dimanche matin du vénérable Caffé Ruschena pour cause de quota atteint, ça agace un peu, mais probablement plus pour des questions de confort et de fluidité de la vie quotidienne que pour de hautes considérations de liberté individuelle.

La mythologie de la liberté, par contre, fait partie de l’ADN des Suisses (et par extension des Suissesses, même si elles ont eu historiquement peu d’occasions d’en être les héroïnes). Sur le plan international, le fantasme archaïque de nos monts indépendants s’avère désormais totalement irréaliste, sur une planète où aucun pays ne peut quasiment plus rien faire tout seul. Est-ce pour cette raison que la droite souverainiste met maintenant le turbo sur la revendication de l’indépendance personnelle des individus ?

Je laisse la réponse aux politologues, mais il me semble que, dans le contexte actuel, il vaudrait la peine de réfléchir un peu à la notion d’interdépendance telle qu’elle se présente, non pas sous l’angle macroscopique de la globalisation du monde, mais sous l’angle du vivre ensemble dans une société. On connaît la devise selon laquelle ma liberté s’arrête là où commence la liberté d’autrui. Il ne s’agit pas seulement de renoncer à rouler à toute bombe dans une flaque pour sauvegarder la liberté de marcher sur un trottoir sans se faire éclabousser. Il s’agit, plus généralement, de faire attention aux besoins des autres, d’en prendre soin et de se soucier du bien commun, afin que la liberté dont théoriquement nous jouissons toutes et tous puisse s’exercer concrètement pour tout le monde.

Cela s’appelle la solidarité et oui, il est vrai que sa mise en œuvre peut impliquer des restrictions à notre liberté de comportement et de mouvement, de même que passer une soirée à assister une personne malade peut m’obliger à renoncer à ma liberté souveraine d’aller au cinéma. Mais je trouve inquiétant que cette tension entre liberté et solidarité à l’échelle d’un pays ne soit même pas thématisée par les sonneurs de cloches du T-shirt d’Ueli Maurer et autres dénonciateurs de la «dictature sanitaire». Il est possible que nos autorités ne fassent pas tout juste, mais l’usage que ces gens font du beau terme de liberté est tout bonnement indécent.

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