Imaginaires

Les privilèges

Je l’ai pris en pleine figure, ce cri du cœur poussé par une femme noire lors d’une des manifestations organisées pour protester contre le meurtre de George Floyd : «Il faut que les privilégiés prennent conscience de leurs privilèges !» Parce que «plus jamais ça !», nous sommes toutes et tous bons à le scander en battant le pavé, parce qu’une signature contre le racisme, c’est facile à donner d’un clic. Beaucoup plus difficile est d’admettre que l’injustice découle de nos privilèges reçus à la naissance, quels que puissent être nos sentiments moraux – en l’occurrence les privilèges liés au fait d’avoir la peau beigeasse tendant vers le rosé.

Depuis des décennies j’essaie de faire comprendre aux hommes qu’aussi épris de justice qu’il soient individuellement, ils sont porteurs, par rapport aux femmes, de privilèges qu’ils n’ont peut-être pas cherchés, voire qu’ils renient, par leurs propos et leurs comportements, mais dont ils profitent quotidiennement malgré eux. Ce n’est pas une question de personnes mais de catégories forgées par la culture et par la société.

Avec les noires et les noirs, j’ai beau m’en indigner, c’est moi qui suis de l’autre côté de la barrière. C’est moi qui jouis de privilèges auxquels je pense rarement, comme de pouvoir mettre mes mains dans mes poches dans un commerce sans qu’on me soupçonne d’avoir volé une paire de chaussettes (exemple faussement anecdotique donné par un artiste noir interviewé récemment dans Le Temps). Je n’y peux rien, de même que les hommes féministes n’y peuvent rien si, dans d’innombrables situations de la vie, leur statut d’hommes leur vaut tacitement un badge de VIP.

Il y a pourtant une chose qu’on peut recommander à toutes et tous les privilégié.e.s de la terre : faire des efforts pour se reconnaître comme tels – la prise de conscience souhaitée par la manifestante. Ça ne suffira pas pour changer le monde, mais ce serait un premier pas.

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