Imaginaires

Les «personnes vulnérables», une catégorie mal ficelée

Quelle est la définition d’une «personne vulnérable» ? Réponse :   une «personne vulnérable», c’est une personne qui est censée se résigner à se faire faire ses courses par autrui, même si elle est par ailleurs une adepte quotidienne de la course à pied – et sans protester, il ne manquerait plus que ça, si on lui achète la mauvaise marque de bière (de toute façon, hein, gare à l’alcoolisme chez les vieux…) .

Au début de la pandémie, on a créé à la hâte et sans trop réfléchir cette nouvelle catégorie de la population, les «personnes vulnérables», ou «à risque», et on y a déversé en vrac, en plus des malades chroniques de tous les âges, l’ensemble des bénéficiaires de l’AVS : les sexagénaires ou jeunes septuagénaires sportives et en bonne santé et les résidents dépendants des EMS, celles et ceux qui exercent assidûment et avec enthousiasme des activités professionnelles, artistiques, manuelles, intellectuelles, associatives, éducatives – et celles et ceux qui n’ont malheureusement plus les moyens , physiques ou mentaux, d’aller se promener, ou au théâtre, ou à la gym, encore moins de jouer à la bascule avec un bébé de dix-huit mois.

Des pom-mes, des poi-res et des scoubi-scoubi-scoubi-dous (chanson de mon époque, j’ai 68 ans). Dans Le Temps de ce 22 avril une lectrice de 67 ans, en pleine forme, pratiquant la marche, la natation et le slam, grand-mère active, exprime excellemment son agacement face à ce qu’elle appelle la «stigmatisation» des plus de 65 ans. Je parlerais quant à moi plutôt de marginalisation, mais j’enrage tout autant qu’elle d’avoir été introduite de force dans ce paquet mal ficelé. A la veille de la réouverture de leurs salons, les coiffeuses et coiffeurs se demandent si elles et ils ont le droit d’accueillir des client.e.s «à risque». Les autorités les renvoient à la jugeote individuelle. Celle-ci pourrait mieux s’exercer si on prenait la peine de redéfinir la catégorie.

En tout cas, pour les tenants d’une reprise économique sans entraves – ni sanitaires, ni écologiques, ni, à Dieu ne plaise, philosophiques – marginaliser en bloc les plus de 65 ans n’a que des avantages. Une partie d’entre eux sont improductifs et une autre partie ne produit, sauf exception, que des biens qui ne pèsent pas lourd dans la comptabilité nationale : de la qualité de la vie, de la transmission intergénérationnelle, de la vie associative, des idées, de la culture au sens étroit et au sens large…..on ne perd pas grand-chose à les mettre de côté sans s’amuser à faire des distinctions. Et ça rassure la population : les personnes «à risques» sont ainsi protégées des dangers de la course à la croissance. On peut y aller.

Quitter la version mobile