Imaginaires

Comme avant

Autour de moi (façon de parler) j’entends exprimer l’espoir que la crise nous mettra pour de bon sur la voie d’un monde meilleur. Personnellement je n’y crois pas une seconde, à voir comment est envisagée la reprise économique dans le discours dominant de celles et ceux qui sont aux affaires : comme un retour, le plus rapide possible, au monde d’avant. Le problème, c’est que, comme ça, dans l’urgence de ne pas laisser nos sociétés sombrer corps et biens, le changement dans la reprise est difficile non seulement à promouvoir, mais même à imaginer (ce qui serait plutôt ma compétence à moi, l’imagination – d’où mon désarroi). Deux exemples.

Les compagnies aériennes tirent la langue, certaines seraient menacées de faillite, avec à la clé d’énormes dégâts économiques et sociaux. Exit la «honte de voler», que les écologistes avaient péniblement réussi à instiller à une petite minorité de la population. La crise sanitaire est en train de démontrer tragiquement les bienfaits pour les écosystèmes de la réduction des gaz à effet de serre émis par les transports. Mais voilà, là, maintenant, je dois en penser quoi, me réjouir du possible naufrage de tout un secteur économique, en me prosternant devant la déesse visioconférence (bien incapable, de toute façon, de fournir un ersatz aux plages de cocotiers) ?

Les médias de qualité sont durement éprouvés par la chute de la publicité, laquelle concerne en bonne partie des biens de consommation au mieux superflus et au pire crétinisants. Me voici tacitement enjointe, si je veux continuer à m’ informer intelligemment après la crise, de souhaiter que – un  exemple entre mille –  les fabricants de cosmétiques puissent se remettre, comme avant, à embobiner les acheteuses (ou les acheteurs, même s’il y en a moins) avec les promesses mirobolantes et fallacieuses de crèmes soi-disant de beauté vendues à prix d’or.

Le phénomène est connu, ce qui n’a pas été pensé avant la crise ne le sera a fortiori pas pendant la crise. Convaincre en douceur les gens de moins voler pour leurs loisirs suppose de leur proposer une réflexion accessible sur le sens de leur vie – pas vraiment le moment quand le sens de la vie semble être prioritairement celui de la conserver. Révolutionner le modèle économique des entreprises de presse, pour diminuer leur dépendance, entre bien d’autres choses, du marché de la futilité – c’est encore moins la priorité maintenant qu’avant.

Ami.e.s qui rêvez d’un après-crise plus écologique, plus humaniste et plus intelligent, désolée pour mon pessimisme, mais nous sommes faits comme des rats.

 

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