Imaginaires

Cher journal (Le Temps),

Cela fait plusieurs mois que je voulais t’écrire, et quelle meilleure occasion que cette année qui commence ? J’ai été, autrefois, ton employée, et j’ai maintenant l’honneur, depuis que tu m’y as invitée, de tenir un blog, celui-ci, sur ton site – mais je suis surtout une lectrice assidue et attentive, voire passionnée, des informations, enquêtes et réflexions que tu me proposes tous les jours ouvrables, et qui valent largement le prix de l’abonnement. Tu m’es cher parce que tu es un excellent journal, auquel je ne voudrais renoncer pour rien au monde.

J’apprécie, en particulier, ton engagement pour deux des causes les plus importantes de la prochaine décennie, qui est celle où mes petits-enfants arriveront à l’adolescence et commenceront à s’interroger sur le monde : la cause des femmes et la cause de la planète. Tu en fais beaucoup sur ces deux sujets, il paraît que certain.e.s te le reprochent, pour ma part, au contraire, je t’en félicite. Seulement, je me demande pendant combien de temps tu vas arriver à tenir dans ton exercice d’équilibrisme.

Entre, d’une part, l’appel au volontarisme politique, dont tu as bien compris qu’il est nécessaire pour instaurer l’égalité et pour sauver la planète du désastre, et d’autre part l’attachement persistant à tes références idéologiques, notamment en matière de libéralisme économique, tu marches sur une corde raide sans filet. Et ça m’ennuierait que tu te casses la figure.

Cher journal, avec toi, je vais jouer cartes sur table. Tel qu’il est conçu actuellement en Suisse, le libéralisme économique est le frein principal à la justice de genre (voir la lamentable saga du congé de paternité) ainsi qu’à la sauvegarde d’un monde vivable (voir les résistances à l’initiative pour des multinationales responsables). Entendons-nous, libérale, je le suis aussi, je ne nourris aucun fantasme communisant – mais dans le sens de la liberté de chacune et chacun de ne plus être discriminé.e et opprimé.e, ni contraint.e à habiter une planète abîmée, polluée et martyrisée de toutes les manières au nom de la recherche indécente du profit.

L’économie est le sang qui circule dans nos veines. Vas-tu défendre tes engagements jusqu’à prôner ouvertement un repensement radical de ses règles, pour que les veines de toutes et de tous soient irriguées des substances vitales de la liberté et du bien-être?  Je me réjouis de continuer à te lire, en 2020 et au-delà.

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