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Littérature: pas de quotas, mais un peu de sociologie!

La dernière sélection du Prix Goncourt 2018, dont Nicolas Mathieu est sorti vainqueur, ne comportait aucun livre écrit par une femme, et seulement 12 femmes ont obtenu, en 115 ans, le plus prestigieux des prix littéraires français. Je trouve personnellement horripilante l’idée de forcer un jury littéraire à respecter des quotas d’appartenance sexuelle. Je sympathise avec la revendication d’une parité obligatoire dans les autres domaines (par exemple, puisqu’il en est beaucoup question en ce moment, au Conseil Fédéral et dans d’autres instances politiques) ; mais la valeur estimée d’une œuvre de création résulte d’une alchimie bien trop complexe pour introduire sans précautions dans le jugement le critère du genre tout nu et tout cru. Je suis en revanche catastrophée de constater que la réflexion accessible au grand public sur les ressorts (genrés et autres) du succès littéraire reste quasiment proche de zéro.

Côté auteur-e-s : le sexe, mais aussi l’âge, l’ethnie, le style (par exemple, bagout ou timidité étudiée), l’histoire personnelle, la provenance sociale, les compétences en matière d’autopromotion. Tous ces facteurs ne sont pas juxtaposés, ils se combinent et se détournent mutuellement, donnant lieu à des profils dont le potentiel de séduction ne peut être déduit d’aucun d’entre eux seulement. Une écrivaine séduit autrement qu’un écrivain, mais n’échoue jamais à séduire seulement parce qu’elle est une femme.

Côté texte : bien sûr, s’agissant de romans, l’histoire racontée, les personnages, l’écriture, l’adéquation aux attentes du temps, les résonances avec l’actualité, ou au contraire l’originalité. De nouveau, le critère du genre interfère avec tous ces facteurs, mais pas nécessairement toujours dans le même sens. Par exemple, c’est un fait que, dans la «bonne» littérature, les personnages masculins sont dominants, et les tragédies «universelles» de l’époque sont incarnées bien plus souvent par des hommes que par des femmes. Cela étant dit, une histoire à succès, pour le public contemporain, biberonné à Metoo et aux guerres orientales, ce peut être une histoire de viol ou d’héroïques combattantes kurdes.

Côté système littéraire : c’est un jeu de pouvoir, et ce pouvoir-là, dans nos contrées, appartient toujours à des hommes blancs, généralement issus de l’establishment intellectuel. Mais un exercice astucieux du pouvoir peut amener à valoriser des talents exotiques, des écrivaines intéressantes, des auteurs, hommes et femmes, né-e-s dans les couches inférieures de la société. Ce qu’il faudrait observer de plus près, c’est l’intériorisation persistante, par les femmes qui ont leur place dans le système, des critères de légitimation, quels qu’ils soient, dictés par les héritiers de la culture patriarcale.

Alors, surtout pas de quotas, mais un peu de sociologie !

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