Imaginaires

Technologie et nostalgie

Les vieilles manières de faire, on les connaît, les nouvelles qu’on nous propose, on ne les connaît pas. C’est ce qu’affirme un proverbe italien, suggérant implicitement que le risque se trouve seulement du côté de la nouveauté : chi lascia la via vecchia per la nuova sa quello che lascia ma non sa quello che trova. La sentence a les apparences de l’évidence, mais ce que nous montre, au contraire, l’impressionnante «opération San Francisco» du Temps, c’est que le vieux chemin, la via vecchia, peut devenir plus dangereux que le nouveau, quand tout autour le monde n’est plus ce qu’il était. On peut regretter le monde d’avant (cela m’arrive, dans certains domaines), mais on ne peut pas faire comme s’il existait encore, figé sur la toile d’un tableau de Anker.

On ne peut pas faire comme si, par exemple, dans nos pays occidentaux, la reproduction continuait à être une affaire biologique qui roule. La société a évolué, sans retour en arrière possible. Les femmes n’acceptent plus et accepteront de moins en moins d’être pénalisées sur le plan professionnel par la coïncidence entre leur âge fécond et l’âge où le système économique, réglé sur la biologie masculine, exige de privilégier l’investissement dans le travail. Certaines recourent dès lors à la technologie, faisant congeler leurs ovules pour plus tard (LT du 3 octobre).

L’injustice n’est évidemment pas biologique mais politique (la biologie n’est ni juste ni injuste) – à preuve, les entreprises de la high-tech, pas folles, se mettent à financer ce genre d’intervention, ce qui leur évite de repenser en profondeur leur fonctionnement. Dans ce cas, le recours à la technologie peut être interprété comme un signal d’alarme : des exigences sociétales inédites, et désormais impérieuses, doivent être satisfaites d’une manière ou d’une autre, sous peine, à terme, d’effondrement démographique. Dans ces conditions, si on veut faire mieux que de fabriquer des bataillons de primipares en âge d’être grand-mères, la nostalgie des anciens modèles ne nous sera d’aucun secours.

Les pages californiennes du Temps nous présentent de nombreux exemples d’interactions entre la technologie et les nouveaux problèmes de notre temps, que la technologie tente de résoudre, dans bien des cas après les avoir créés. Réchauffement climatique et villes congestionnées, sept milliards et demi d’êtres humains à nourrir, mais aussi le manque de plus en plus insupportable d’une démocratie authentique, d’une vraie égalité : voilà ce qui bouillonne dans la marmite planétaire. La technologie pose plus de questions qu’elle n’en résout, mais le retour au passé n’offre en tout cas pas de solutions.

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