Imaginaires

On ne naît pas Pierre Maudet, on le devient

Pierre Maudet est présenté par les médias et par ses pairs politiciens des deux sexes, même hors de son parti, comme un brillant sujet, plus brillant que sa concurrente romande Isabelle Moret. Pierre Maudet est  intelligent, déterminé, ambitieux pour lui-même mais aussi pour la Suisse, c’est un animal politique, il a des idées, de l’envergure et de l’autorité, il incarne une certaine idée de la modernité.

Pierre Maudet est un homme, avec un petit h.

La question idiote à ne pas poser, c’est : est-ce que les médias et les milieux politiques se répandent en louanges sur Pierre Maudet parce qu’il est un homme ? Bien sûr que non. Pierre Maudet est bel et bien, objectivement, brillant, intelligent, déterminé etc. Il a même d’autres mérites dont, curieusement, on ne parle jamais : se lancer dans la bataille du Conseil Fédéral en ayant de jeunes enfants, n’est-ce pas faire preuve d’un courage extraordinaire ? Mais bon, laissons de côté ce détail, qui doit avoir été réglé avec l’épouse du candidat. La vraie question qu’il faudrait poser, et que personne ne pose, c’est : en quoi le fait d’être un homme a-t-il permis à Pierre Maudet de devenir le brillant sujet qu’il est sans doute, et d’être reconnu comme tel ?

Si personne ne se risque à poser et à se poser cette question, c’est qu’elle est horriblement difficile. Il faudrait disposer d’un logiciel capable d’analyser l’itinéraire de Pierre Maudet en tenant compte de toutes les variables et de toutes les interactions entre ces variables qui ont permis à ses qualités intrinsèques de s’épanouir sans entraves et d’être unanimement saluées – de transformer en somme un petit garçon doué en bête à succès. On verrait alors comment, justement, le fait d’être un garçon a créé autour de lui un climat propice, à la fois, à son développement personnel et à la légitimation de ses aspirations.

Pour ne donner qu’un seul exemple, rappelé à plusieurs reprises par les médias, il a été remarqué et soutenu par Pascal Couchepin ; or, il est rarissime qu’un homme (mâle) de pouvoir, en politique comme partout, par exemple dans les hautes sphères académiques, se choisisse un poulain femelle (Helmut Kohl ne mesurait probablement pas le potentiel de sa poulaine quand il a favorisé la carrière d’ Angela Merkel…).

Il faudrait non seulement fournir à ce logiciel tous les détails de la biographie de Pierre Maudet, mais le programmer pour qu’il sache décoder les encouragements informels qui alimentent l’assurance intérieure d’un individu, les attentes différenciées de la société à l’égard, respectivement, des candidats et des candidates à l’exercice du pouvoir, l’influence du modèle viril dans la sphère publique. Nous pourrions ainsi mesurer concrètement la force du vent qui pousse dans le dos les garçons doués, alors que ce même vent, les filles douées se le prennent le plus souvent en pleine figure….

Pour l’instant, ce logiciel n’existe pas. Un beau défi pour tous ceux qui déplorent le retard de la Suisse en matière de numérisation.

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