Imaginaires

Digression estivale sur l’amitié

Les petites chroniques publiées dans les pages estivales du Temps n’ont pas la prétention de faire réfléchir au système de valeurs qui régit notre société, elles sont là pour nous divertir une poignée de secondes tout en contribuant à pallier le ralentissement de l’actualité. Il faut les prendre pour ce qu’elles sont et c’est ce que je fais généralement, souvent avec plaisir. Mais il y a quelque chose de pourri au royaume des historiettes vacancières lorsque la chroniqueuse en profite pour nous fourguer en contrebande une vision de l’éthique des relations humaines qui mériterait un débat de fond. Alors je prends le risque de sortir mon canon pour tirer sur ce moineau.

Marie-Pierre Genecand s’étonne (LT du 19 juillet) que Mélanie, 19 ans, se sente trahie par le projet de sa copine Léa, même âge, d’associer en partie son tout nouvel amoureux Samuel, rencontré peu avant le départ, à un grand périple asiatique en duo rêvé et préparé par les deux amies «depuis plusieurs années». La chroniqueuse, ne reculant devant aucun poncif («ne dit-on pas des voyages qu’ils forment la jeunesse ?») reproche à mots plus ou moins couverts à Mélanie sa possessivité et son manque d’ouverture. Les bras m’en tombent. Parce que, loin de se réduire à une «dispute de préau», cette anecdote pour réseaux sociaux en dit long sur l’analphabétisme de Léa (qui a pour elle l’excuse de la jeunesse) et surtout, malheureusement, de l’auteure de la chronique (qui doit avoir, à la louche, une trentaine d’années de plus qu’elle) s’agissant de l’une des expériences affectives et morales les plus précieuses qu’il peut nous être donné de vivre: l’amitié vraie.

Ayant eu et ayant encore et toujours le privilège (à un âge encore plus mûr que celui, présumé, de la chroniqueuse) de vivre cette expérience, j’ai envie de dire à Léa qu’il y a deux sortes de copines: celles avec qui la relation flotte au gré des flux et des reflux de la vie, notamment amoureuse,  de l’une et de l’autre (je rencontre le prince charmant et hop, tu passes au second plan – en tout cas jusqu’au moment où je vais revenir te pleurer dans le gilet parce que le prince charmant est allé charmer ailleurs) ; et celles avec qui la relation est basée sur la fidélité, le bonheur immuable des confidences et de la confiance, le respect absolu des engagements mutuels – indépendamment des chéris, amants et autres maris qui passent ou s’installent dans la vie de l’une et de l’autre. Celles-là restent à travers les années et les décennies. A 19 ans, ce n’est pas trop tôt pour y penser.

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