Les non-dits de l'économie

L’euro: l’histoire d’un échec

Le taux de change de l’euro par rapport au franc suisse ne cesse de suivre une tendance à la baisse. Il y a plusieurs facteurs à cela, dont le principal tient à la structure monétaire institutionnelle de la zone euro.

L’Union monétaire européenne (UME) ne dispose pas des structures institutionnelles appropriées ni d’une politique économique adéquate pour répondre aux chocs susceptibles d’affecter les systèmes économiques de ses propres pays membres. Ces lacunes sont devenues évidentes au cours des 15 dernières années, caractérisées par une série de situations critiques très différentes – de la crise de la zone euro qui a éclaté vers la fin de 2009 à la pandémie de COVID-19 et au conflit russo-ukrainien – qui ont exacerbé les asymétries qui existent entre les pays membres du centre et ceux périphériques de l’UME.

Il est assez bien connu, à ce jour, que la zone euro n’est pas une «zone monétaire optimale» comme l’avait décrite Robert Mundell dans un article scientifique publié en 1961. En effet, l’UME manque d’une mobilité internationale des travailleurs, qui – selon Mundell (1961) – devraient se déplacer des pays membres où le taux de chômage est plus élevé vers les autres pays membres où ce taux est beaucoup plus faible. La zone euro ne dispose pas non plus d’une politique budgétaire et sociale appropriée, qui en l’état est décidée par le gouvernement du pays concerné sans aucune coordination au sein de la zone euro – ni avec les décisions de politique monétaire de la BCE. Par ailleurs, l’UME n’est pas une zone monétaire optimale aussi parce qu’il n’y a pas de transferts fiscaux entre ses propres pays membres – comme ils existent aux États-Unis entre leurs différents États, en Allemagne entre ses différentes régions et en Suisse entre ses 26 cantons – afin de réduire les disparités économiques entre eux (notamment en termes de chômage), comme l’avait par ailleurs souligné en 2014 Mario Draghi dans un discours à l’Université de Helsinki.

Au-delà de tous ces facteurs, qui dépendent directement ou indirectement (du manque) d’une volonté politique au niveau communautaire, il existe un problème d’ordre monétaire–structurel dans ce qui est connu sous l’acronyme «TARGET2», entendez le mécanisme par lequel les paiements transfrontaliers dans la zone euro sont enregistrés au niveau des banques centrales nationales impliquées par ceux-ci. À bien regarder, la Banque centrale européenne (BCE) n’agit pas en tant qu’institution de règlement entre les banques centrales nationales, comme chacune de celles-ci le fait en ce qui concerne les transactions entre les banques commerciales au sein du système bancaire national. Ce dernier a une structure à deux étages au sommet de laquelle se trouve la banque centrale nationale qui agit en tant qu’institut émettant le moyen de paiement final entre la banque qui paie et la banque qui est payée. Or, TARGET2 n’a pas une telle structure car la BCE se situe au même niveau où se trouvent les banques centrales nationales, au lieu d’être située au-dessus de celles-ci comme il se doit d’une quelconque institution de règlement. Ce défaut de fonctionnement est devenu évident après 2009, entendez après l’éclatement de la crise de la zone euro, lorsque les soldes dans TARGET2 ont commencé à exploser, étant donné que les banques allemandes n’étaient plus disposées à acheter des titres de la dette publique des pays méditerranéens (les fameux PIGS, à savoir, le Portugal, l’Italie, la Grèce et l’Espagne) pour recycler ainsi les surplus commerciaux de l’Allemagne et gagner des intérêts sur ces prêts.

La crise de la zone euro est donc une crise monétaire–structurelle et il ne sert à rien d’inculper les PIGS ou les prêts subprime. La faute est dans l’architecture du système TARGET2 et il est temps de mener à bien une réforme institutionnelle d’ordre structurel de ce système. L’Allemagne a tout intérêt à appuyer cette réforme, ne serait-ce que pour éviter de devoir sauver ses banques d’une faillite systémique qui ne va pas tarder à se manifester si l’on continue à ignorer ce dysfonctionnement monétaire institutionnel.

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