Soutien aux médias : pourquoi au fond ?  

Nous voterons les 13 février sur un paquet de mesures de soutien aux médias. Un ensemble de mesures indispensables pour garantir une information diversifiée, pluraliste et de qualité, alors que notre contexte démocratique est de plus en plus malmené par la propagation rapide de fake news, la concentration croissante des médias entre les mains de quelques magnats aux motivations troubles, comme en Angleterre ou en France, et des opérations construites de manipulation politique ou économique via les réseaux sociaux (USA, Brésil, Angleterre, etc.).

On entend la critique que ces mesures de soutien aux médias seraient aussi accordées aux titres des plus grands groupes (les « milliardaires zurichois »). Face à cet argument, en apparence porté par quelques personnes de gauche mais échafaudé et promu à coup de millions surtout par l’UDC alémanique, il faut partir d’un constat objectif : qui y gagnerait ? Qui y perdrait ?

Ce sont très clairement les plus petits médias qui seraient menacés en cas de refus, les gros pouvant se passer de cette aide (en coupant régulièrement dans les ressources journalistiques néanmoins). Mais surtout, il serait extrêmement compliqué de limiter une aide aux « petits médias ». On l’a constaté à Genève avec le projet de loi élaboré par la députée socialiste Caroline Marti qui proposait de créer une fondation de soutien aux médias à structure associative sans but lucratif. Malgré son caractère idéal, ce projet a été balayé largement par le Grand Conseil, celui-ci considérant qu’il s’agissait en gros de soutenir Le Courrier et n’a donc pas trouvé de majorité politique. Mais même au-delà de l’équilibre politique de ce qui est réalisable, on sait, comme le mentionnait Philippe Bach dans son éditorial du 20 janvier, que les grands groupes de médias sont construits avec une « structure en holding leur [permettant] si nécessaire d’éluder tout mécanisme qui verrait cette aide être réservée aux petits journaux ».

D’une manière plus générale, il faut revenir à la question de fond : pourquoi devrait-on apporter un soutien accru aux médias (sachant qu’un tel soutien est déjà accordé depuis bientôt un siècle) ? Ne pourrait-on pas, comme dans d’autres domaines, assurer un service public (la SSR et certaines TVs locales) et laisser le reste de l’activité au marché ?

Clairement non. D’une part car l’information journalistique n’est pas une marchandise comme une autre. Elle nécessite de la pluralité et la possibilité d’être partagée largement, car c’est un ingrédient indispensable à notre vie démocratique en commun. Économiquement, et on en arrive au 2ème élément, cette activité des médias constitue une externalité positive, qui n’est donc pas assumée directement par le marché. Apporter un soutien à cette activité revient à soutenir une plus-value pour l’ensemble de notre société. Il ne s’agit donc pas de soutenir quelques entreprises, mais d’appuyer sur la base de conditions générales une activité qui bénéficie à toutes et tous.

Par ailleurs, on entend souvent aussi que ces mesures de soutien entraîneraient une perte d’indépendance… Cet argument est particulièrement hypocrite. Les médias doivent en général et en permanence gérer toutes sortes de tentatives de prise d’influence plus ou moins assumées, que ce soit pour des raisons politiques, économiques, idéologiques, réputationnelles, etc. Ce paquet apporte au contraire un garant supplémentaire d’indépendance et de transparence !

Aujourd’hui, nous devons adapter le soutien fédéral existant, car cette activité des médias a vécu et vit encore une période de rupture sociétale et technologique, dont on sait historiquement d’ailleurs, que ça correspond à des moments de concentrations importantes des outils de production, et donc de perte de diversité. Si l’on souhaite conserver cette diversité si importante pour notre vie en commun dans un pays comme la Suisse composé de régions, de langues, de culture et de religions différentes, nous devons assurer la mise à jour de notre soutien public. Voulons-nous sinon que la principale source d’information en Suisse soit basée sur le magma des réseaux sociaux, lourdement manipulés par des algorithmes douteux conçus par les géants du numérique basés aux Etats-Unis ? L’UDC devrait soutenir activement ces aides si elle prétend s’engager pour la Suisse!

Ce pack d’aide aux médias s’adapte donc à son époque, en soutenant notamment les médias en ligne, qui n’existaient pas au siècle passé, lorsqu’a été créé le soutien au portage postal. Il ajoute également un soutien à la formation et à la formation continue des journalistes, dont le métier évolue de manière hyperrapide et nécessite un renouvellement important des compétences, comme beaucoup de métiers face à la transition numérique.

Il apporte enfin également un soutien bienvenu aux radios et médias locaux, dans les régions, ainsi qu’aux agences de presse, qui jouent un rôle essentiel face à la rapidité actuelle de l’information.

Vous aurez compris que je vous encourage vivement à voter OUI à ce paquet de mesures de soutien aux médias, que vous soyez de gauche, de droite ou d’ailleurs. Il en va de notre démocratie et de notre pluralité helvétique.

aide aux médias vs fake newsaide aux médias - votation du 13 février

Sami Kanaan

Sami Kanaan est Maire de Genève 2014-2015, 2018-2019 et 2020-2021, Conseiller administratif en charge du Département de la culture et de la transition numérique, Président de la Commission fédérale pour l'enfance et la jeunesse, Vice-président de l'Union des villes suisses et de l'Union des villes genevoises.

3 réponses à “Soutien aux médias : pourquoi au fond ?  

  1. En effet, l’information journalistique n’est pas une marchandise comme une autre, à l’instar du livre et d’autres objets de création artistique. Toutefois, ce qui manque, me semble-t-il, dans le paquet de mesures prévues, c’est le manque d’attention pour les métiers et infrastructures liés à la fabrication de la presse papier, puisqu’on dit y être encore attaché pour au moins une décennie. Qui de l’imprimerie – qui elle aussi a dû se concentrer, du coût du papier et de l’encre, obéissant à des normes logiques de recyclage et de protection des forêts? Par ailleurs, pour ce qui concerne les supports numériques, on peut remarquer une certaine paresse dans la vente d’espaces “propres”. Dans le domaine de l’information sportive, c’est assez évident.

  2. Une erreur s’est glissée dans cet article. La photo à côté de l’énoncé de l’article est celle de Sami Coll et non celle de Sami Kanaan. Puis en-bas de l’article il y a celle de M. Kanaan. Y aurait-il pas comme un truc à corriger? Quid?

    1. Effectivement, mais c’est sur la page des blogs du Temps et pas sur le blog lui-même. Merci de nous l’avoir signalé, nous faisons suivre au Temps.

Les commentaires sont clos.