Le passage à la caisse du supermarché, une étape quasi-quotidienne pour nombre d’entre nous, au point que nous ne remarquons plus la complexe équation tripartite qui s’y déroule entre 1) le ou la représentante du magasin, communément appelé(e) caissier ou caissière, 2) vous-même, citoyen bipède tenu d’organiser sa subsistance, et 3) le reste du monde, à savoir les clients qui vous précèdent, vous succèdent, vous stressent, vous indiffèrent, vous piétinent ou vous jugent.
Tour d’horizon de la réalité vue par chacun…
La caissière (eh oui, au féminin, car il faut bien l’avouer, la tendance n’a guère évolué vers une parité en la matière, fût-elle approximative). J’ai connu une petite fille qui voulait devenir caissière, car à ses yeux c’est celle à qui tout le monde donne son argent… Néanmoins, relever que cette profession ne figure pas au palmarès des carrières qui font rêver les foules tient de l’euphémisme…
J’éprouve un grand respect pour elles, et j’ai souvent envie d’injecter une dose d’humanité dans cette relation strictement comptable en entamant une conversation sur le sens de la vie et le poulet basquaise, mais voilà, nous sommes minuté(e)s, le cadre est strict et gare à celui/celle qui aurait l’outrecuidance de ralentir la cadence de la machine infernale. Immanquablement, il/elle serait silencieusement mais cependant fermement conspué/e par ses congénères consommateurs.
Sont-elles chronométrées avec, à la clé, un bonus pour avoir scanné 350 articles à la minute ? La marchandise s’amoncelle en bout de caisse, le long de cette planche en bois dont aucun croissant n’est jamais sorti indemne (et je ne vous parle pas des yoghourts, sélectionnés pourtant avec tant d’amour!). S’ensuit alors le gymkhana qui consiste à remplir ses sacs à la vitesse grand V afin de ne pas subir la désapprobation générale, et ce tout en introduisant simultanément sa carte de crédit dont le code ne fonctionne qu’à la 3ème et ultime tentative, et sans omettre la carte de fidélité qui permettra, au bout de 1’000 francs d’achats, de pouvoir acquérir à prix réduit un superbe cache-pot en rotin bio…
Le client, mû par son besoin basique de satisfaire le premier échelon de la pyramide de Maslow, l’alimentaire. (Le sociologue Maslow a réparti les besoins de l’homme en fonction de leur degré de nécessité, du plus strictement essentiel jusqu’au plus superflu, voire jusqu’au dernier smartphone de la marque à la pomme).
On parle parfois de client lambda, mais cette appellation est trompeuse, car à ses propres yeux, le client est toujours l’alpha et l’oméga; ben oui, on n’a pas toujours l’occasion de se considérer comme le roi, fût-ce le temps de quelques courses.
Particulièrement admirable, la maman accompagnée d’enfants en bas âge et qui fait ses courses donne une bonne idée de ce qu’est jongler en ayant huit bras. Un autre modèle intéressant est le client qui prolonge le processus relevé plus haut : Très attaché aux principes et à la Justice avec un grand J (celle qui n’a été créée que pour veiller sur son porte-monnaie), il ne range pas ses achats au fur et à mesure, trop occupé à vérifier que la caissière ne commet pas d’erreur de scanner, avant de passer au décompte des différents coupons et bons de réduction…
Et puis les autres, donc parfois l’enfer. Ceux dont le regard agacé et l’impatience vous mettent une pression infernale, ceux qui monopolisent la caisse pendant une heure, comme si la sortie au supermarché était le point d’orgue de leur journée, et qu’il leur fallait faire durer ce délectable moment de promiscuité. Mais aussi des vieilles dames aimables et promptes à vous aider et vous conseiller sur le choix de vos confitures (cela dit, sans vouloir être méchante, Madame, vous êtes à la retraite, avez-vous l’absolue nécessité de faire systématiquement vos courses aux heures de pointe?).
Le passage à la caisse est une bonne occasion de s’observer soi-même. Suis-je stressé/e, égoïste, dédaigneux/se, aimable avec mes frères et sœurs humain(e)s ? Comme toujours, se mettre dans les baskets de l’autre permet de prendre un recul salutaire. Bref, il s’agit d’une simple et belle opportunité de faire preuve de respect simplement humain et d’intérêt pour l’autre, d’apporter sa contribution à plus de civilité en ce bas monde.
Bien sûr, sous d’autres latitudes, il y a de bonnes idées pour améliorer ce qu’on appelle désormais « l’expérience consommateur ». Aux États-Unis par exemple, les magasins emploient des jeunes qui rangent vos produits dans des sacs, les mettent dans votre caddy et au besoin vous accompagnent jusqu’à votre véhicule. Voilà qui créerait des petits emplois pour nos étudiants et représenterait un confort non négligeable pour les clients. Pour ma part, je serais immédiatement fan de la chaîne de magasins qui introduirait ça en Suisse !
Mentionnons encore, en guest-star : Le Progrès, aka la transformation digitale. Qui en l’espèce se matérialise sous la forme du self-scanning. Effectivement, cela fonctionne plutôt bien, surtout quand il y a peu d’achats, mais déjà pointe à l’horizon un nouveau personnage avec lequel il faudra composer, celui de la caissière promue au poste de « surveillante ès exhaustivité du scannage ». Avec tout ce que ça peut impliquer comme dimension de suspicion, voire de délit de sale gueule.
Et en termes d’interactions humaines (sans parler suppression d’emplois), on admettra que c’est pauvre, si pauvre…
Bref, moi qui pensais me mettre à faire les courses en ligne et les faire livrer, je me dis que le contact avec mes pairs me manquerait sans doute trop. Et puis, je dois prendre des nouvelles de la petite dame sympa qui est souvent à la caisse 3.
Sabrina
Illustration : Supermarkets Story / PR Prêt à porter https://prpretaporter.wordpress.com/2011/08/03/supermarkets-story/
lisais votre CV «constellations familiales & systémiques»
et me demandais comment faire l’équation avec votre post de cliente d’hyper?
Bon, d’accord, c’est une question bête et même si vous êtes charmante!
L’hyper serait une sorte de famille?
Merci pour votre commentaire. Je ne travaille pas que avec les familles, mais aussi avec tous les autres groupes qui font partie de nos systèmes de vie. Mais ne pensez-vous pas que les humains que nous rencontrons tous les jours sont une sorte de famille élargie…?
En tous les cas ce devrait l’être! Las….
Vous n’êtes pas méchante en suggérant à la vieille dame d’aller faire ses courses à un moment où elle n’encombre pas la file à la caisse, mais vous oubliez que nombre de personnes âgées n’ont pour contact que le public qu’elles croisent en allant faire leurs achats. Alors ont-elles vraiment besoin de la foule des heures de pointe ? Il faut croire que oui, puisqu’elles choisissent « systématiquement » ces périodes. Les vieilles truites qui attendent la fin dans leur vivier se laisseraient peut-être mourir avant d’être pêchées si elles se trouvaient seules dans leur cage de verre. Ainsi, pour ces personnes, croiser la cohue qui vous est pénible les aident à vivre, puis quand elles n’auront plus la force de tenir sur leurs deux jambes et de trimbaler leur sac à commissions dans les escaliers jusqu’à leur porte, elles iront à l’EMS où elles ne dérangeront plus personne aux heures de pointes. Le dimanche sera pour elles le grand jour où quelques familles viennent voir pépé ou mémé avec les enfants qui font du raffût. Et viendra enfin pour celles-ci le moment de prendre l’ascenseur silencieux pour le grand ciel où personne ne se bouscule.
Merci d’avoir partagé cette réflexion très pertinente et soyez rassuré, venant d’une grande famille latine, j’adore les personnes âgées et je les considère comme des vrais sages.
Dominic, je suis une vieille dame qui, après multi-essais, va faire les course quand il y a le moins de monde possible: il y a ça aussi ! je suis fatiguée des stéréotypes !
Quel bonheur faire les courses sans bambins hurlants et poussant les chariots au risque de me bousculer pendant que les mamans crient à travers le magasin…
Il faut qu’on m’explique cette mode d’être débordée, du burn-out, de ces plaintes sans fin : avant on devait faire la queue au supermarché, à la Poste, à la Banque, on travaillait et on avait aussi des enfants, mais les gens étaient relax et courtois, on profitait de queues pour échanger quelques mots et faire connaissance!….oui, je sais, je suis en train de faire le discours typique des vieux “Ah, le bon vieux temps”.
Mais cette nouvelle mode ne serait-elle pas un “truc” pour se sentir important ?
Madame Vita Bruno, j’ai bien aimé lire votre commentaire. Et je pense que l’explication sur cette « mode », vous la donnez : « Se donner de l’importance ». Et ce phénomène touche tout autant la fourmi qui range les dossiers, que le paon assis dans son haut fauteuil directorial. Alors je souhaiterais, pour que nous puissions rire un peu de ces personnes qui souffrent de leur hautes responsabilités stressante, citer quelques échanges entre collègues durant la pause-café. J’avais cinquante ans, donc pas encore vraiment le « typique vieux ». Nous parlions de ce que nous « aimons dans la vie de tous les jours… » Pour moi c’était : « Ah… J’aime prendre du temps pour choisir dans les rayons des magasins… » Et la secrétaire de répondre : « Moi j’ai pas l’temps ! » Évidemment, entre le cours de « connaissance de soi », celui du « développement de son potentiel créatif », et le « Bodypool », lui ais-je dit, « il reste trop peu de temps pour aller faire les achats avec tes enfants et leur apprendre à cuire deux oeufs au plat quand vous arrivez en courant à la maison… » Quelle chance j’avais d’être un célibataire de cinquante ans qui oublie d’enrichir ses compétences pour aller se distraire dans les magasins !.. Un an plus tard, notre Service social pour personnes âgées mettait la clé sous le paillasson, tous licenciés. Nous faisions alors notre bilan personnel durant notre dernière pause-café… La secrétaire : « Eh bien… Moi qui pensais que je pourrais peut-être devenir directrice… Enfin cela n’aurait de toute façon pas été possible, le directeur m’a dit que pour cela il faut être unviversitaire… » Je l’ai consolée : « Tu n’es pas la seule, moi aussi je suis déçu. Même sans avoir fait l’université, je pensais que tu pourrais devenir ma secrétaire… » Nous avons ensuite quitté le bureau pour profiter de notre première grande et grave journée de détente…
Pour moi le self scanning résout tous mes problèmes de « passage aux caisses »: je me sentais lente, mal organisée et ..donc « vieille ». Je scanne tranquillement dans les rayons et range tranquillement dans mon caddie. Pour la suspicion? Hé bien tant pis. Et je me réjouis de bientôt pratiquer le self scanning avec mon petit fils qui va adorer! Merci pour votre regard.
Merci pour ce partage.