Savoirs en société

Spécificités du discours complotiste (1/4)

Depuis la campagne de Donald Trump, durant sa présidence, au moment de l’assaut du Capitole par les adeptes du mouvement QAnon, et plus encore depuis le début de la pandémie de Covid-19, beaucoup a été dit sur le phénomène complotiste. Peut-être même trop. Mais la diversité des émissions, des articles et des ouvrages consacrés à ce sujet a au moins permis de comprendre une chose : il s’agit d’un phénomène complexe et multiforme, aux multiples causes, que l’on ne saurait réduire à un défaut de culture ou à un QI limité chez les adeptes de ses “théories”.

Phénomène social bien plus que psychologique ou cognitif, le développement du complotisme mérite dès lors que l’on s’interroge non seulement sur ce qu’il est et sur la manière dont il se manifeste, mais également sur ce qu’il traduit. Sur ce qu’il dit de notre monde, des inégalités économiques, sociales et cognitives qui traversent nos sociétés, comme autant de forces d’éclatement tristement révélées à la faveur des crises politiques et sanitaires récentes.

C’est pour cette raison qu’il nous a semblé utile de rassembler la diversité des points de vue et des travaux académiques sur la question, de les digérer et de les condenser dans une série de vidéos dont la description figure en bas de cet article et dont le premier épisode vous est présenté ici (consultez ici les articles relatifs aux épisodes 2 et 3).

 

 

Spécificités du discours complotiste

Est-il possible d’isoler des traits caractéristiques de ce phénomène ?

Le complotisme (ou conspirationnisme), c’est d’abord une attitude, une certaine manière d’interpréter le monde, plus qu’un état mental global. On préférera donc parler de “tendance” ou de “pensée” complotiste chez un individu, plutôt que d’utiliser ce terme pour l’enfermer dans une identité spécifique en disant par exemple que c’est “un” ou “une” complotiste.

Pourquoi ? Parce qu’il serait un peu trop simple de considérer le complotisme comme une maladie mentale. Comme les fake news, le “fait complotiste” est d’abord un phénomène politique et social. Cela signifie que même si on peut le rencontrer dans toutes les catégories de la population, il n’arrive pas n’importe quand et dans n’importe quel contexte.

Et c’est peut-être la raison pour laquelle on en entend tellement parler ces temps-ci, ceci bien que le concept de “théorie du complot” ait été défini au milieu du 20ème siècle déjà.

Mais comment le reconnaître au milieu d’autres discours critiques ?

On pourrait toutefois se demander si, malgré tout le battage qui est fait autour de ce terme, les conséquences réelles de ses manifestations sont si graves que cela…

Hélas oui. Car même si l’on parvient à comprendre le phénomène, à reconnaître ses manifestations et à en identifier les causes, il n’est globalement pas sain pour la démocratie et le vivre ensemble.

Non seulement il polarise la société et jette un discrédit indifférencié sur les élites et les institutions économiques, politiques et intellectuelles, mais il nuit aussi profondément à notre capacité à nous mettre d’accord collectivement sur ce que l’on peut considérer comme “vrai”.

Comment, dans ces conditions, résoudre ensemble les problèmes du monde, de la pandémie de Covid-19 à la catastrophe climatique en cours ?

……

“Les complotistes n’ont jamais raison de l’être, mais ils ont parfois de bonnes raisons de l’être”.

Sans cautionner pour autant leur attitude, cette série de vidéos ne constitue ni un procès à charge, ni une attaque en règle contre les personnes qui peuvent être amenées à défendre des thèses non vérifiables et incriminant des puissants, accusant ces derniers de conspirer pour leur intérêt et contre celui de citoyen·nes opprimé·es. Elle constitue encore moins une tentative de faire passer pour du complotisme, en vue de les dénigrer, les discours critiques envers les médias ou les gouvernements. Elle prétend au contraire qu’il est possible d’exercer son esprit critique sans être complotiste, thème qui fait spécifiquement l’objet de l’une des 4 vidéos de la série.

Par ce travail, nous tentons toutefois de montrer en quoi ces discours critiques, souvent portés par des préoccupations légitimes, ne sont intellectuellement pas acceptables lorsqu’ils prennent certaines formes et adoptent certaines méthodes. Lesquelles ? Celles-là même que nous nous sommes efforcés de caractériser aussi finement que possible, pour permettre à tout un chacun de comprendre ce que désignent vraiment les termes “complotisme” et “conspirationnisme”.

Une dernière précaution encore : même si le mouvement dit “antivax” se nourrit de nombreux argumentaires complotistes, alimentés eux-mêmes par un raz-de-marée de désinformation sur les réseaux sociaux, il n’est pas réductible à ce phénomène, qu’il dépasse très largement. On peut en effet être contre la vaccination (ou contre le pass sanitaire) et invoquer pour cela des arguments qui ne relèvent pas du complotisme.

“REVEILLEZ-VOUS !” – Une playlist de la chaîne Savoirs en Société

Nourrie par de nombreuses références à la littérature scientifique, cette série de 8 vidéos de la chaîne www.savoirs-en-societe.ch aborde la thématique du phénomène complotiste en 4 temps :

  1. Spécificités du discours complotiste
  2. Aux origines du phénomène complotiste
  3. Pensée complotiste et pensée critique
  4. Réagir aux argumentaires complotistes

Les internautes y sont successivement invité·es à :

  1. Reconnaître les éléments de langage et les biais argumentatifs propres aux discours complotistes
  2. Comprendre les origines historiques et sociologiques du phénomène
  3. Analyser la nature et les spécificités de la pensée complotiste, et ce qui la distingue de la pensée critique
  4. Concevoir des stratégies de réaction aux argumentaires complotistes et de résistance à leur développement.

Chacun des thèmes traité est constitué systématiquement d’une présentation détaillée, suivie d’un résumé sous la forme d’un court film d’animation. Dans la description de chacune des vidéos thématiques se trouve également un texte résumé du sujet traité.

A nos ami·es lecteurs·trices

La question du complotisme, parce qu’elle fait référence à des questions socialement vives qui nourrissent des clivages désormais profonds dans notre société, a tendance à susciter facilement des réactions épidermiques. Ce texte et les vidéos associées constituent certes une tentative argumentée de tracer une ligne rouge entre un discours crédible et un argumentaire inacceptable, mais ils tentent surtout d’expliciter les rouages et les fondements du phénomène, et en aucun cas d’en dénigrer les représentants (du moins lorsque leurs “théories” ne sont pas objectivement abracadabrantesques).

Les idées présentées ici sont issues de réflexions personnelles nourries par la littérature académique mais, bien entendu, chacun est invité à les commenter et à les critiquer. L’espace de commentaires de cet article est prévu pour cela. Toutefois, afin de préserver un dialogue constructif et des échanges sereins, nous précisons d’emblée qu’aucun commentaire agressif, irrespectueux ou contraire aux règles de la bienséance ne sera validé lors du processus de modération. Nous vous demandons également de bien vouloir éviter les commentaires anonymes ; nous nous réservons le droit de bloquer tout propos rédigé sous pseudo ou avec une fausse adresse e-mail.

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