La Suisse et le monde

Zemmour à Genève? Pas de tolérance pour l’intolérance

Paradoxe ou vaste tromperie ? L’extrême-droite aime s’en prendre à une prétendue «pensée unique» qui n’existe que dans ses fantasmes, et à des limitations qu’elle qualifie d’«abusives» de la liberté d’expression – alors que ces mêmes forces politiques passent leur temps à admirer les démocraties illibérales et corrompues de l’Est européen, et les régimes russes et chinois.

En Chine, plus de place pour la moindre différence ; quant à la Russie, elle se redirige à grands pas vers le parti unique. Dans ces pays, les récriminations de nos populistes qui s’estiment corsetés dans leur liberté de parole ne dureraient que quelques instants, avant de les conduire en prison pour de longues années. Quant aux démocraties illibérales, il s’agit de se couler dans le moule d’un mainstream ultraconservateur et gare aux homosexuels, cyclistes ou végans (pour reprendre l’amalgame fait par un responsable gouvernemental polonais), non conformes à l’image machiste dominante.

Il est totalement illogique et non crédible de prétendre que chez nous, « on ne peut pas tout dire » et de soutenir dans le même mouvement des régimes autoritaires, et d’admirer leur gouvernance, dans laquelle aucune divergence n’est tolérée ! A moins qu’en effet ce ne soit une stratégie visant à fidéliser un public autour de critiques abusives, pour ensuite mieux pouvoir saper notre conception de l’Etat et de la démocratie.

Toute liberté trouve sa limite dans la liberté d’autrui

Il n’est que juste qu’il y ait des choses qu’on n’a pas le droit de dire. Ainsi, on n’a pas le droit de diffamer ou de calomnier. On n’a pas le droit de proférer des insultes fondées sur l’apparence d’une personne, son orientation sexuelle ou son appartenance à une croyance, ou encore de nier les génocides. Ni moralement, ni juridiquement.

Ce sont les garde-fous que les dramatiques expériences du 20e siècle ont enseignées aux Etats démocratiques et de droit : pas de tolérance à l’intolérance, pas de liberté pour les ennemis de la liberté. Interdire de banaliser le racisme, de semer la haine entre communautés, d’excuser ou de nier les génocides est la moindre des choses, si nous ne voulons pas que cela recommence. Ce sont des barrières morales essentielles au vivre ensemble sur nos territoires.

Maintenir la cohésion sociale

La vie en société exige des règles, et aucune liberté n’est absolue. N’en déplaise aux anti-vax et aux complotistes de toutes sortes, qui érigent l’Etat de droit en ennemi et ne veulent obéir qu’à eux-mêmes. Elargissons cette attitude à la fiscalité, à la circulation routière, au port d’armes – ce serait le chaos garanti, qui ne peut qu’aboutir à la loi du plus fort.

La société a le droit, et même le devoir, de se défendre contre la destruction de ses valeurs constitutives; l’universalité des droits de l’Homme, de l’Etat de droit et de la démocratie doit être revendiquée avec force. Des personnages comme Salvini, Trump, Bannon ont suffisamment montré ce qui peut se passer quand on souffle sur les braises sulfureuses de la haine et stimule les réflexes du cerveau reptilien, quand on encourage les mauvais côtés de l’être humain. Tout cela matiné de son lot de pharisaïsme et d’hypocrisie dans l’affirmation de valeurs familiales et de probité dans les affaires, alors qu’on s’en moque éperdument dans sa vie personnelle.

Zemmour le faussaire

Zemmour est de la même veine, ne reculant devant aucune provocation pour se faire remarquer et semant lui aussi les ferments de la haine et de la division. Etre Juif et oser défendre le maréchal Pétain qui aurait sauvé les Juifs français en ne livrant aux nazis «que» les Juifs étrangers réfugiés en France ? Double honte, d’une part en déclinant jusqu’au bout de l’ignominie la «préférence nationale», d’autre part, en falsifiant l’histoire, car c’est bien tous les Juifs de France que Pétain a livré aux nazis…

Tout cela sur fond de complot  autour de la fable du «grand remplacement». Car si la France n’avait pas conquis, soumis et colonisé une bonne partie de l’Afrique du Nord puis de l’Afrique Noire, il n’y aurait en France de musulmans qu’essentiellement des convertis, ou, plus tard, des travailleurs dont la France avait bien besoin.

Mais là encore, vaste tromperie. On ne peut pas être nostalgique du passé colonial de la France, se revendiquer d’être né en Algérie «ex-française» et développer la haine de ce qui est différent, et en particulier celle de l’Islam. Haine irrémédiable car elle proclame l’identité de l’Islam et de l’Islamisme, en décrétant que tout musulman est un intégriste potentiel… et sape ainsi à la base toute possibilité d’intégration et d’interaction.

Vaste tromperie aussi, quand on est soi-même un produit du métissage tant abhorré, oui, Zemmour, ce n’est pas très «français» comme nom, alors de quel droit ce monsieur prône-t-il le contraire de ce qu’il est ? Son nom même et son parcours suffisent à démasquer son discours, ce n’est qu’un ridicule – mais fort dangereux – imposteur.

L’unité dans la diversité du genre humain

Il n’y a pas de «race pure« ni de race «supérieure». Il n’y a pas d’ethnie pure, toute ethnie est un produit culturel d’une histoire plus ou moins longue, un résultat évolutif des croisements multiples de l’espèce humaine entre ses divers représentants, donnant ce chatoiement de diversités, à l’image d’un kaléidoscope, dont est elle est faite. La génétique ne nous dit rien d’autre d’ailleurs.

Alors oui, Zemmour n’a rien à faire ni à Genève ni ailleurs. Car certaines idées sont pires encore que certains crimes. Quand des individus dévoyés commettent des crimes antisémites, racistes ou anti-musulmans, ce sont à ce stade des actes de personnes isolées.

Mais quand on répand et banalise les idées suprémacistes, racistes, anti-telle communauté ou anti-telle autre, et qu’on légitime peu ou prou le passage à l’acte sous prétexte d’»autodéfense» de l’»homme blanc», c’est tout le corps social qu’on infeste et infecte, c’est son immunité collective aux actes criminels qu’on sape, c’est le réveil des bas instincts qu’on orchestre. Et ce sont les bains de sang de demain qu’on prépare. L’Histoire nous le dit assez. Donc non aux mots qui banalisent le crime et qui préparent les crimes de demain. Pas de ça ni chez nous ni ailleurs ; trop de liberté tue la liberté.

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