La Suisse et le monde

Des multinationales responsables, comment peut-on être contre?

J’ai beaucoup de peine à comprendre la virulence de certains milieux économiques à combattre à tout prix une régulation qui semble aller de soi. Lui préférer un contre-projet indirect qui instaurerait à la place de règles claires pour tous une obligation de produire des rapports est vraiment tendre la perche au “greenwashing” comme réponse à des situations inacceptables.

La règle doit être la même pour tous les acteurs économiques

On nous dit à longueur d’années que les entreprises multinationales font de leur mieux pour respecter l’environnement et les droits humains dans l’exercice de leurs activités. Que leur souci est la concurrence déloyale par des entreprises moins scrupuleuses et qui dès lors minimisent leurs coûts. Qu’on ne voudrait plus jamais voir tout un immeuble d’ateliers de couture s’écrouler (comme le Rana Plaza au Bangla Desh en 2013, faisant plus de 1000 morts et 2500 blessés). Qu’il n’y a pas de liberté (économique) sans responsabilité (écologique et sociale). Que de nombreux standards volontaires existent pour diverses filières, mais qu’ils ont malheureusement des exigences variables et des contrôles parfois laxistes et, surtout, qu’aucun ne rassemble toute la branche concernée.

Et voici qu’une législation apparaît qui mettrait toutes les entreprises ayant leur siège principal en Suisse sur le même pied, instaurerait l’égalité de traitement, obligerait à vérifier la qualité écologique et sociale de la chaîne de valeur… Et du coup c’est le tollé : non, pas ça, surtout pas… C’est à croire que, sur le fond, la vieille économie du profit financier maximum et en un minimum de temps ne veut pas abdiquer, qu’on veut bien affirmer certains principes, mais pas être obligé de les appliquer. On ne voit guère d’autre explication possible.

Un comportement environnementalement et socialement responsable : une exigence qui se généralise

Aux Etats-Unis, Trump va devoir quitter la présidence. Mais le poison de ses méthodes reste. Les adversaires de l’initiative n’hésitent pas à s’inspirer de ses célèbres Fake News. Que dire d’autre quand on lit de manière répétée dans des annonces publicitaires d’un comité « www.responsabilite-sans-faute-non.ch » que « Adopter une loi unique au monde affaiblit la compétitivité de l’économie. Aucun Etat n’a une loi similaire. La France y a renoncé. »

Dans le « Matin Dimanche » du 15 novembre, on retrouve ce message sur une demi-page, légèrement modifié (“Aucun pays au monde n’a une législation similaire. Même la France y a renoncé”) et garni des photos de 21 personnalités fort respectables du monde économique et politique. Ont-elles été correctement documentées, on peut en douter.

Car cette affirmation est un mensonge effronté, une Fake new de premier ordre. En France, la loi « relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordres » a été promulguée le 27 mars 2017. Pour les sociétés par actions employant en leur sein ou dans leurs filiales au moins 5’000 salariés en France ou 10’000 dans le monde, elle oblige à établir un « plan de vigilance ». Elle est toujours en vigueur et pour s’en convaincre, il suffit de consulter https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000034290626/

Ce plan concerne les activités de la société, de ses filiales directes ou indirectes, de ses sous-traitants et fournisseurs avec lesquels elle entretient une relation commerciale. Il comporte les mesures «propres à identifier et à prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes, ainsi que l’environnement».

Au Royaume Uni, le Modern Slavery Act de 2015 oblige les entreprises à prendre leurs responsabilités sociales sur toute la chaîne de valeur. Les Pays-Bas connaissent des dispositions semblables sur le travail des enfants. L’Allemagne prévoit de légiférer dans le même sens.

L’Afrique du Sud et l’Équateur ont pris l’initiative d’un traité sur la responsabilité des sociétés transnationales qui donnerait force obligatoire aux Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme édictés en 2011. En 2015, l’OCDE a établi des Principes directeurs pour les entreprises multinationales. L’UE prévoit une directive pour 2021 sur la base de la loi française.La régulation d’une mondialisation qui a dérapé et la durabilité, deux exigences clé de notre temps, passent par là!

Quelle économie voulons-nous ?

Voulons-nous être les derniers à inscrire de telles normes dans notre référentiel légal, juste pour pouvoir tirer profit le plus longtemps possible de pratiques négatives pour autrui ? Alors que dans peu de temps on s’apercevra que le label qualité, largement associé aux entreprises suisses et à leurs produits, devra inclure la preuve de la qualité environnementale et sociale de leur chaîne de valeur. Dès lors, les garanties demandées par l’initiative deviendront des avantages compétitifs. Car la qualité ne se divise pas.

Non seulement l’argumentaire des adversaires d’une régulation que l’initiative “affaiblira considérablement” “la compétitivité de nos entreprises” est fallacieux. Mais il vise à admettre une compétitivité obtenue au détriment de valeurs écologiques et sociales. Alors que les premières sont la condition du fonctionnement de l’économie, et les secondes son but.

Il apparaît très clairement qu’on n’est pas là dans un combat pour ou contre l’économie, mais pour ou contre une économie qui associerait à la création de valeur financière, une création de valeur écologique et sociale. Un vrai choix de société !

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