La Suisse et le monde

Elon Musk ou l’aventurier anachronique

La relance de la conquête de l’espace est emblématique des errements des temps. La privatiser, offrir le ciel à la concurrence économique, en faire un marché et une source de profit souligne davantage encore les dérives de l’époque. L’Amérique en est là : durant dix ans, elle a dû passer par l’ex-rival russe pour pouvoir envoyer des astronautes rejoindre la station spatiale internationale.

Il a fallu le culot et l’esprit totalement décalé d’un Elon Musk pour changer la donne. Voici quelques jours, des Américains ont rejoint l’espace depuis la Floride, grâce au secteur privé. Tout est dit.

Et il s’agit bien du même Musk qui débite régulièrement des tranches de son programme délirant Starlink de placer au total près de 42’000 satellites en orbite. Six fois plus que tous les satellites lancés depuis le début de l’ère spatiale. Tout ça pour « communiquer mieux », tout cela pour dénaturer encore plus notre monde, notre nuit, notre horizon.

Tout ça pour Mars…

En point de mire de tout cela : la conquête de la planète Mars, notre énigmatique voisine.

Qu’il soit intéressant, voire utile scientifiquement d’y placer des outils de mesure, certes. Mais des colonies humaines ? Pour faire quoi ? Y semer des virus ? Y installer des habitats où tout serait artificiel, dont il n’est pas imaginable de sortir sans un harnachement invraisemblable? Où règnent des conditions pires que celles que connaîtrait notre Terre une fois qu’on y aurait tout saccagé ? Ou est-ce le besoin d’y laisser un témoignage qu’il y a eu autrefois de brillantes civilisations sur la planète voisine, la Terre ?

C’est ce dernier motif qui semble être celui du milliardaire fou. Le but de Musk est bien que d’ici 50 ans un million d’humains peuplent la planète rouge, pour, dit-il, assurer une pérennité à l’espèce humaine, une fois la Terre dévastée pour de bon. Nous aurions donc perdu la bataille contre nous-mêmes, sans autre issue que de rejouer la partie ailleurs, plus loin, en espérant réussir mieux…

La bataille pour notre Terre n’est pas encore perdue

Non, la bataille pour notre Planète, pour maintenir viable et vivable notre patrie commune n’est pas encore perdue. La biodiversité s’effrite, le climat s’emballe – deux conditions de base de la vie humaine subissent fortement les agressions d’un système techno-économique globalement incapable d’aller vers une durabilité pourtant exigée depuis 30 ans. Mais allons-nous vraiment laisser faire ?

Un milliard d’êtres humains n’ont pas de véritable toit, 700 millions pas d’eau de qualité potable, 2,4 milliards sont sans accès à des soins de base, 800 millions ne mangent pas à leur faim ou n’ont pas pu aller à l’école. Allons-nous vraiment les oublier et gaspiller des milliards pour des projets aussi pharaoniques que fumeux que de déménager sur Mars?

Toute entreprise, institution, collectivité, personne physique est appelée à choisir : faire partie du problème ou de la solution. Le choix de Musk est clair: c’est la fuite en avant, la politique de la terre brûlée, le narcissisme sans limites de l’enfant gâté fier de son jouet. En réalité ce faisant, il fait un peu de nous ses jouets.

Plutôt que d’aller polluer d’autres mondes, mettons donc en ordre celui qui est le nôtre. Musk se dévoile ici comme le parfait produit de l’ère Trump, son frère d’armes dans la décadence américaine. Restés fixés sur la conquête d’un Ouest conquis depuis longtemps, dédiés à la poursuite du toujours plus et de l’acharnement thérapeutique autour de valeurs et de modèles révolus, redevables de rien ni à personne, ces hommes-là incarnent parfaitement ce qui mène le monde à sa perte.

Irresponsables et immatures ils imposent au monde leurs obsessions infantiles de toute-puissance et de domination.Et si au lieu de nous infliger leurs tristes anachronismes, ils feraient enfin quelque chose d’utile pour leur pays qui va à vau-l’eau ?

Il y a bien mieux à faire

Fantasme des années cinquante et soixante, au faîte de la guerre froide et des 30 Glorieuses, la conquête spatiale a pris un sacré coup de vieux. Il y a tant de choses plus utiles à faire sur cette Terre. Vouloir remettre ça maintenant tombe complètement à faux par rapport aux enjeux de la décennie qui commence.

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