La Suisse et le monde

Nouvelle bataille du rail en France ?

La France a connu un réseau ferroviaire très dense de quelque 70’000 km à son maximum, au début des années 30. Un tel réseau, s’il avait été entretenu et modernisé, permettrait aujourd’hui relativement commodément de se passer de voiture sur l’essentiel du territoire: 45’000 km de réseau à voie normale, 25’000 à voie métrique sillonnaient le moindre recoin du pays. Mais cela n’a pas été l’option choisie. Ce magnifique outil, dont il reste un peu partout des traces tels que tunnels, ponts, bâtiments désormais sans utilité, témoins d’un immense effort d’infrastructure, a été systématiquement démantelé.

Une première vague de fermetures a eu lieu au moment de la création de la SNCF en 1938, frappant les dessertes dites secondaires. Puis les années 1950 et 60 ont connu la fermeture de pratiquement tout le réseau métrique subsistant ; actuellement ne reste guère que le réseau corse et de Provence. A la fin des années soixante, nouvelle coupe drastique dans le réseau SNCF, puis ensuite, chaque année, plusieurs dessertes voyageurs étaient arrêtées, et marchandises de même. Actuellement il ne reste au mieux qu’un tiers du réseau initial.

Passer de la logique comptable à la logique sociétale
Depuis des décennies, la perspective est rétrospective et comptable, ligne par ligne. On constate une désaffection du rail, réduit l’offre, prend acte de la poursuite, logique, de la perte d’attractivité. On réduit la voilure sur l’entretien. Puis doit réduire la vitesse en conséquence. Des milliers de kilomètres de lignes sont clairement sous-entretenues. Malgré ses 10 milliards de subventions par an, le fait que de nombreuses dessertes locales soient financées par les régions, la dette de la SNCF augmente, la recette ne suit pas. Le terme de rentabilité revient constamment, et c’est bien compréhensible. Mais qu’en fait-on ? Si au lieu de dire rentabilité insuffisante, on parlait d’utilisation insuffisante, dans une perspective sociétale et prospective ?

Il est temps d’intégrer dans les comptes publics et d’entreprises la notion d’externalités et de bénéfices sociaux, dans la gestion publique celle de péréquation territoriale. Or, en termes de consommation énergétique par unité transportée, le rapport est de 1 à 4, voire de 1 à 10 entre rail et route. Le rail transporte davantage de personnes dans un train qu’un bus ou de tonnage qu’un camion, fût-il de 60 tonnes – poids lourds encombrant les routes et autoroutes par ailleurs. Le rail, de par les lois de la physique, offre moins de résistance au déplacement que le bitume. Le confort de déplacement est bien meilleur, le parc de véhicules est notoirement amélioré. La sécurité aussi. Le pétrole ne paie pas ses coûts, c’est bien connu: l’aviation développe le low cost, le camionnage explose, et le rail décline.

Il serait judicieux qu’un pays qui a démontré son souci de maîtrise énergétique et climatique à travers la loi sur la transition énergétique de 2016, ou le fort soutien à l’Accord de Paris, fasse davantage le lien avec la mobilité. Si le pétrole venait à manquer ou si nous ne pouvons plus nous permettre d’en utiliser autant pour des raisons climatiques, si la voiture électrique ne tenait pas ses promesses, si le vieillissement de la population exclut toujours plus de personnes de la mobilité individuelle, on sera content de pouvoir bifurquer sur le bon vieux chemin de fer.

Un tournant ?
Dernier état du dossier : voici deux semaines a été rendu public un rapport établi par un ancien président-directeur général d’Air France-KLM, M.Spinetta qui réclame encore la rétraction de 9000 km de lignes insuffisamment rentables : https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/sites/default/files/2018.02.15_Rapport-Avenir-du-transport-ferroviaire.pdf Heureusement il semble que cette fois-ci les choses se passeront autrement, puisque le premier ministre vient de déclarer: “On ne décide pas la fermeture de 9000 km de lignes depuis Paris sur des critères administratifs et comptables. Dans bien des territoires, le rail est au cœur de la stratégie des régions pour le développement des mobilités”.

Et si le «mal français» venait d’une obsessionnelle fixation sur la seule capitale ? Peu de pays en Europe ont autant chanté la ruralité et l’ont autant négligée dans les faits. Ni l’Espagne. Ni l’Italie, ni l’Allemagne, ni la Grande-Bretagne. Le désespoir des campagnes, dont le retrait des services publics est un élément, est certainement, avec celui des banlieues, au cœur des difficultés de notre grand voisin. Et sans aucun doute la pierre de touche de la présidence Macron. La position du premier ministre donne l’espoir d’un changement de voie … politique. Et on en vient à rêver, plutôt que d’une exception corse, d’un fédéralisme à la française. Si le chemin de fer donnait le signal d’un recentrage sur les territoires ? La bataille du rail est clairement la bataille pour les territoires, l’égalité de chances et de droits indépendamment de son lieu de résidence. Une évidence pour nous en Suisse. Un combat ailleurs.

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