Pour la première fois de ma vie de militant, mon parti me demande de participer à un vote général, en l’occurrence sur la prévoyance vieillesse 2020. Malgré tous les défauts inhérents à un projet de compromis, durement acquis et à un coût important pour les gens que je prétends défendre, pour moi, ce sera oui, tout de même. Pourquoi?
Pour l’essentiel, parce que ce projet nous permet de gagner dix ans, dix ans pendant lesquels, s’il est approuvé cet automne, l’âge de la retraite ne passera pas à 67 ans.
Alors certes, dix ans, ce n’est pas suffisant pour pérenniser l’AVS, tout le monde le sait – c’est d’ailleurs l’une des critiques que la droite fait au projet, elle qui aurait voulu dès maintenant un projet qui permette d’absorber l’entier des futurs rentiers du baby-boom, à un prix exorbitant pour ces derniers. C’est vrai, dans dix ans il nous faudra remettre l’ouvrage sur le métier, réformer l’AVS une fois de plus.
Un an de gagné, voire deux, pour une génération: pas si mal pour un projet de compromis
Mais tout de même. Dix ans, ce n’est pas rien: c’est par exemple ce que l’excellente démographie de la dernière décennie nous a fait gagner sur les plans de l’époque de Pascal Couchepin – rappelons-le: retraite à 66 ans dès cette année (concernant donc les personnes nées depuis 1951), puis à 67 ans dès 2024 (concernant toutes celles et tous ceux nés depuis 1957 ); en comparaison, le projet actuel garantit jusqu’autour de 2030 une retraite à 65 ans – soit pour toutes celles et tous ceux nés avant 1966. En d’autres termes et malgré l’augmentation de l’âge de la retraite des femmes à 65 ans, toutes les personnes nées dans les années cinquante ont gagné une, voire deux années de retraite.
Et c’est probablement vrai aussi pour la majorité des natifs des années 1960: si d’aventure il fallait passer par une hausse de l’âge de la retraite dans dix ans, on l’échelonnerait probablement entre 2030 et 2035. Quand on y pense, une génération entière qui gagne un an de retraite, ce n’est pas si mal pour un projet de compromis – c’est en tous cas à comparer avec ce que la droite voulait – et veut toujours, et obtiendra en cas d’échec dans les urnes cet automne: une retraite à 67 ans, dans les plus brefs délais, soit dès 2020 ou à peu près.
Le milieu du gué pour les baby-boomers
Dix ans, c’est enfin la moitié du temps qui nous sépare de 2038, à savoir l’année où la dernière cohorte du baby-boom, celle de 1973, atteindra 65 ans. C’est dire que si prévoyance vieillesse 2020 ne règle pas tout, elle nous fait tout de même parcourir la moitié du chemin que nous devons parcourir afin d’absorber la vague du baby-boom, tout en nous laissant le temps de concevoir une manière équilibrée de franchir la seconde moitié du gué. Parce que dès 2038, la pression sur le système se relâchera nettement, car la taille des cohortes postérieures au choc pétrolier de 1973 sont très nettement inférieures à celles qui précédaient. En clair: dès 2038, il y aura beaucoup moins de personnes parvenant à l’âge de la retraite que dans les années qui précèderont.
Pour cette raison, le système de prévoyance vieillesse que nous aurons en 2038 sera très probablement durable. Tout l’enjeu, c’est de le faire parvenir en bonne forme jusque là. A ce titre, la votation de septembre nous confronte à deux modèles: un modèle imparfait et non durable, mais qui nous fait parcourir un bon bout de chemin vers la pérennisation de notre système de retraites sans trop de dégâts du point de vue social et en nous laissant le temps d’inventer la suite: ça c’est en cas de oui. Ou une réforme ultra-libérale extrêmement violente qui ne réjouira que les amoureux de l’équilibre financier et produira une génération de laissés-pour-compte qui verront l’âge de la retraite passer très vite à 67 ans: ça c’est en cas de non.
Parce que ne nous leurrons pas: passé septembre, il n’y aura pas de troisième voie.