Une conseillère nationale verte installée dans le périurbain se bat contre la construction d'une villa lui ôtant son soleil. Des élus de gauche comme de droite combattent avec acharnement des projets touchant leur commune ou leur quartier. Décidément, LAT ou pas LAT, la densification n'est pas pour demain.
On a suivi avec une certaine consternation ces dernières semaines le dénouement d'un conflit entre la famille d'Adèle Thorens, propriétaire d'une villa Minergie à Montblesson, dans les quartiers forains de Lausanne, et ladite cité, concernant un droit à bâtir menaçant l'ensoleillement de la villa.
Evidemment, il est très facile de se gausser – et d'ailleurs c'est ce qui se passe sur les réseaux sociaux, et sur les blogs, par exemple celui de Julien Sansonnens. Et il est hautement surprenant qu'une politicienne aussi professionnelle et chevronnée qu'Adèle Thorens se soit laissé embarquer dans cette invraisemblable histoire, et qu'elle ne se soit pas rendu compte du gouffre qu'elle ouvrait ainsi à la critique: voilà donc qu'une politique, éthicienne de métier, prônant la parcimonie et la densification, non seulement ne se contente pas d'un appartement en ville, mais s'oppose même à une densification pourtant bien modeste du hameau dans lequel elle s'est fait construire une villa, au nom de cette tartuferie qu'est le standard Minergie. On s'en donnerait effectivement à coeur joie, si…
Si ça n'était pas un peu facile. Premièrement, Adèle Thorens n'est pas la seule verte de Montblesson, loin s'en faut, et le parti a été souvent représenté dans les plus hautes instances par d'autres périurbains ou ruraux célèbres, de Maracon, Lignières ou Bottens par exemple. Et bien au-delà des Verts, on trouverait facilement nombre de responsables d'associations environnementales, de partis politiques ou de services d'aménagement réclamant de strictes mesures contre l'étalement urbain tout en habitant de somptueuses villas avec terrain assorti en bord de lac. Et d'ailleurs, 37% des ménages suisses possèdent leur logement, en grande majorité des villas ou des fermes rénovées. Non, l'essentiel de cette histoire est ailleurs.
On ne compte plus les associations ad hoc s'étant constituées afin d'empêcher une construction ou un plan de quartier affectant directement leurs membres. Elles ont toutes d'excellentes raisons de le faire, et si leur argumentaire varie souvent, tant les cas sont divers, elles ont toutes quelques liens de parenté évidents. D'abord, elles transcendent les clivages politiques: votre voisin, qui est votre adversaire acharné au conseil communal, devient soudainement votre plus fidèle allié dès lors qu'il s'agit d'empêcher une construction qui viendrait boucher la vue que vous partagez sur les Alpes ou le Jura. Ensuite, leur mantra peut souvent se résumer à ce qui suit: la densification, le développement, c'est très bien, mais chez nos voisins. Pas chez nous. Pas dans mon jardin.
On peut tirer quelques enseignements de ce qui précède. Premièrement, le phantasme de la villa individuelle se répand jusque dans les sphères théoriquement les plus opposées à l'étalement urbain que ce mode de logement suppose – c'est dire s'il sera difficile à contrer. Deuxièmement, construire "vert" n'est pas exempt de contradictions: le chauffage par le soleil exige une distance minimale importante entre les bâtiments, encourageant ainsi la dispersion et l'étalement urbain. Et troisièmement, le citoyen peut s'identifier à l'intérêt général formulé en termes vagues et généraux – preuve en est l'acceptation somme toute massive de la LAT en mars dernier -, le propriétaire (et le locataire avec lui) s'inquiétera d'abord de ses intérêts privés, et tant pis pour le reste.
Reste maintenant à déterminer comment résoudre cette contradiction fondamentale. La densification n'est pas pour demain.
* Pas dans mon jardin