Exploration spatiale

Magellan, 500 ans après, plus que jamais un modèle pour nous

C’était il y a exactement 500 ans. Le 6 septembre 1522, le dernier et plus petit des cinq vaisseaux de l’expédition de Magellan revenait à San Lucar de Barrameda, le port situé à l’embouchure du Guadalquivir, pas très loin de Séville, qu’il avait quitté 3 ans auparavant, le 20 septembre 1519, avec 250 personnes embarquées sur cinq caraques.

Magellan lui-même était mort pendant le voyage, le 27 avril 1521, sur un rivage de la petite île de Mactan, au cœur de l’archipel des Philippines, à 2km de l’île de Cebu, massacré par les indigènes. Il avait eu le temps et la joie de se prouver à lui-même et à ses compagnons, qu’il était possible d’atteindre par l’Ouest les fabuleuses Iles Moluques (aujourd’hui en Indonésie) d’où provenait la plus grande partie des épices consommées en Europe, richesse suprême à l’époque. Les difficultés rencontrées et surmontées, avaient été énormes, presqu’inhumaines. Il ne restait plus qu’à faire savoir ce haut-fait à tous ceux qui en Europe avaient douté qu’il fût possible de l’accomplir, et à remercier Carlos-1ro d’Espagne / Charles-Quint du Saint-Empire, qui l’avait soutenu, lui, humble marin portugais de petite noblesse. Il lui était profondément reconnaissant car au-delà de la rudesse de l’écorce, ce souverain austère, avait su voir de quel bois, lui le bourlingueur avisé, le soldat courageux mais aussi le marginal, il était fait. Réussite extraordinaire, à la fois extrêmement savoureuse et extrêmement amère pour Magellan, véritable couronnement pour l’ensemble de la vie d’homme hors du commun.

Pour écrire le présent article, j’ai relu un livre puissant et captivant, comme l’est le sujet, que j’avais passionnément aimé adolescent et que je recommande à tous de lire encore aujourd’hui, le Magellan de Stefan Zweig (traduction en Français par l’excellent Alzir Hella, publiée en 1938, la même année que celle de sa parution en Allemand). Je pense en effet que ce voyage est une prouesse que l’humanité entière devrait célébrer et que c’est aussi un exemple pour ce que nous-mêmes devons faire aujourd’hui, oser ce qui est à la limite du possible, oser nous embarquer pour Mars (ce « nous » étant la poignée d’individus capables, endurants et forts, intrépides, comme l’étaient à l’époque Magellan et ses équipages).

Les deux défis sont similaires sur bien des points. Partir vers l’Ouest à l’époque de Magellan en allant vers le Brésil nouvellement découvert (1500 Pedro Alvares Cabral), c’était un peu comme aller vers la Lune aujourd’hui, l’extrémité du monde connu. Mais l’Amérique fermait l’Océan d’une barrière semblait-il infranchissable. Malgré les tentatives on ne trouvait pas le “Passage” maritime qui permettrait de la traverser et que donc l’accès aux épices était impossible par ce côté-là du monde. Il restait réservé à ceux qui les premiers y étaient parvenus par l’Est, les Arabes et les Portugais.

Juan de Solis était bien descendu jusqu’au Rio de la Plata (qu’il nomma « Mar-dulce ») mais il n’avait pu vraiment explorer l’éventuelle possibilité ou impossibilité de l’utiliser pour aller jusqu’à l’autre Océan. Son séjour avait été bref et sanglant puisqu’il avait été tué, l’un de ses trois bateaux, perdu et les deux autres revenus piteusement à son port espagnol.

Il fallait donc aller encore une fois aussi loin ou peut-être encore plus loin, pour pouvoir trouver ce fabuleux Passage. Mais sans savoir sur quelle étendue d’eau nouvelle il pouvait déboucher, quelle serait la distance qui resterait à parcourir pour atteindre les Moluques, quelle durée prendrait la traversée, quels obstacles encore on pourrait rencontrer. Les Moluques c’était Mars aujourd’hui.

Il faut bien voir que pour affronter ce défi, on ne disposait que de navires poussifs, ces nefs ventrues et ces caraques qui avaient caboté le long des côtes avant, il y avait peu, de se lancer dans l’Océan. Il faut bien voir qu’il n’y avait nul moyen de « communication » et que les Européens seraient, par définition, absolument seuls de leur espèce dans cette immensité puisqu’aucun d’entre eux n’était allé au-delà du Brésil depuis Juan de Solis. Cela impliquait plus précisément qu’aucune aide technique propre à leur civilisation ne leur serait accessible.

Mais avant de partir dans la circonvolution, il avait d’abord fallu obtenir les appuis nécessaires et ce ne fut pas une mince affaire : cours au roi Manoël du Portugal, qui ne l’aimait pas et qui lui refusa son aide, fuite en Espagne, réinstallation dans ce pays et action pressante auprès des puissants. Il fallut ensuite procéder à la longue et minutieuse préparation du voyage.

Il fallait tout prévoir comme on devra le faire pour, encore une fois, partir aujourd’hui sur Mars. C’est ce à quoi s’appliqua Magellan pendant dix-sept longs mois. « Tout » c’était non seulement les vivres pour traverser les mers mais aussi les équipements pour réparer ce qui pourrait s’user ou casser. On ne pouvait compter trouver sur le chemin ce dont on aurait besoin puisqu’on ne savait rien de ce qu’on allait trouver. Sans oublier qu’il n’était pas question de se faire remarquer dans un port du Brésil où on aurait pu rencontrer des Portugais. En effet il faudrait être discret dans ce territoire puisque Magellan, rejeté par le roi Manoël avait fait ses offres de service au roi d’Espagne et qu’il était désormais un traitre en son pays, férocement concurrent de celui qui lui donnait assistance. La seule espérance c’était de l’eau douce et quelques aliments frais dans un havre « tranquille » car le plus éloigné possible.

Magellan atteignit le Brésil sans encombre, s’arrêta à Rio de Janeiro encore vide de tout européen, exactement ce havre tranquille juste évoqué plus haut. Puis il descendit le long de la côte jusqu’à la Mar dulce, devenue Rio de Solis et qui deviendra Rio de la Plata.  Son espoir était que celui-ci fut bien le Passage. C’est ce que son cartographe et un temps associé, Rui Faleiro, lui avait certifié, là-bas en Europe. Mais il fallut bien se rendre à l’évidence, ce n’était pas le cas, Faleiro avait affabulé à partir d’informations déjà inexactes. Le Rio de Solis se terminait clairement par l’embouchure de deux fleuves dans son extrémité occidentale. Il fallut repartir malgré la grogne de l’équipage, y compris celle des officiers, et continuer toujours davantage vers le Sud, dans un paysage de plus en plus austère et un climat de plus en plus froid.

C’est à partir du Rio de la Plata que se révèle dans son entier, le caractère de Magellan. Il aurait pu rentrer puisqu’il n’avait pas trouvé son passage et qu’en allant plus loin il pénétrait en terra incognita. Mais il persévéra, envers et contre tous, et sachant qu’il était exposé à des dangers beaucoup plus grands que ceux qu’avait affrontés Christophe Colomb : longueur de la mission, éloignement de sa base, baisse du niveau des vivres, climat (car on entrait dans l’hiver austral).

Mais il continua et, de proche en proche, dans le froid de l’hiver, il finit par le trouver son passage, notre « Détroit de Magellan ». L’eau est noire, le paysage austère, les sommets couverts de neige, le vent hurle, les bois du navire gémissent. Et il y entre et il passe et il traverse le continent et retrouve par-delà le Cap Désiré, le bien-nommé, un nouvel océan, le mal-nommé Pacifique, que Nunez de Balboa venait de découvrir en 1513, en traversant beaucoup plus haut mais à pied, l’isthme de Panama.

Il y a donc bien un Passage et Magellan pourrait s’en contenter, mais son but est d’aller jusqu’aux Moluques, notre Mars. Et il peut le faire puisque contrairement à Balboa il dispose d’une flotte (même si un de ses cinq vaisseaux, dirigé par un capitaine moins courageux que lui, lui a faussé compagnie à l’occasion). Et alors que ses marins sont épuisés, qu’il a déjà essuyé une révolte de ses capitaines, que ses vivres sont probablement insuffisants face à l’immensité qu’il ne peut évaluer car il n’a aucune carte, mais qu’il pressent, il se lance malgré tout sans hésiter dans la nouvelle phase de son aventure.

Trois mois, il lui faudra trois mois (28 novembre 1520, 06 mars 1521) pour revoir une terre, la petite île des voleurs (« Ladrones », aujourd’hui Guam) où il put se procurer de l’eau et des vivres. Et ensuite, il suivra un chemin de gloire, d’escale en escale jusqu’à Cebu où enfin il se pose. Il a vaincu l’Océan mais surtout il a vaincu la démesure et il a vaincu l’angoisse.

Magellan a réussi. Il a été confronté à toutes sortes d’imprévus. Il y a fait face et il les a surmontés, sauf bien sûr le dernier, celui de l’hostilité des indigènes de Mactan. Les valeureux astronautes qui le suivront au-delà de la Lune, guidés comme lui par les étoiles, seront dans des conditions évidemment différentes mais ils seront aussi exposés à l’incertitude et au danger.

Ce qui compte dans ces circonstances, comme nous l’a montré Magellan, c’est individuellement, vis à vis de soi-même, la volonté, la capacité à penser aux moindres détails sans oublier l’objectif, la ténacité, le sang-froid. Et dans le présent, comme à l’époque ce qui compte vis-à-vis des autres, c’est l’indifférence au « qu’en dira-t-on », à tous ceux qui pensent que le projet grandiose qu’on veut parvenir à concrétiser est inutile, grotesque, nuisible même aux autres intérêts vitaux en compétition.

Aurons-nous un Magellan pour aller sur Mars ? Un tel caractère est très rare, l’histoire nous l’a montré. Bien sûr la situation n’est pas totalement similaire aujourd’hui puisque l’amiral n’a pas besoin de partir avec ses marins ou, qu’autrement dit, Elon Musk n’a pas besoin de monter à bord de son premier Starship. J’imagine qu’il ne le fera pas avant de prendre sa retraite, ce qui sera sans doute bien après que cette première caraque soit partie pour Mars. En attendant il continuera à diriger son entreprise car son projet n’est pas seulement de montrer qu’on peut traverser l’Océan de l’espace mais bel et bien d’installer l’homme sur Mars. Mais pour reprendre l’analogie, il est certain que pour aller contre les modes et les tendances, pour bousculer les états et les agences, il faut être très fort mentalement et disposer de moyens financiers importants. Elon Musk a cette force parce qu’« il se moque du monde » et que, comme Magellan, il a prouvé sa valeur de capitaine.

Donc, espérons et, si vous en avez l’occasion en séjournant dans l’hémisphère australe, cherchez à identifier du regard ces très légers « nuages » d’étoiles indiscernables qui aujourd’hui portent le nom de Magellan. Ils sont froids et distants comme lui-même l’était ou comme les Moluques l’étaient pour lui par leur éloignement et leur mystère mais ils restent à tout jamais porteurs de son souvenir et une invitation éternelle au Voyage!

NB : Je profite de cet article pour rendre hommage à mon grand-oncle Pierre Godefroy, grand amateur de beaux livres, de musique classique et de tapis d’Orient. J’ai hérité de lui ce livre sur Magellan ainsi que bien d’autres dont une édition XIXème siècle du journal d’Antonio Pigafetta chroniqueur du voyage. Cet oncle était également grand admirateur de son contemporain Jules Verne dont il avait accumulé tous les « Voyages extraordinaires », édités par Pierre-Jules Hetzel et illustré par Edouard Riou. Je m’en délectais quand je séjournais chez lui. Pour moi, jeune adolescent, il n’y avait rien de plus magique que de plonger dans un de ces/ses livres aux reliures précieuses, enveloppé d’une symphonie de Beethoven ou d’une cantate de Vivaldi. Ce furent mes premiers voyages.

NB: Je fête aujourd’hui les 7 ans de mon blog…et les quelques 380 articles qu’il contient. N’hésitez pas à en feuilleter les pages en cliquant sur l’index ci-dessous:

Index L’appel de Mars 22 07 16

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