Exploration spatiale

Lettre ouverte à mon neveu Etienne, pour lequel j’ai beaucoup d’affection mais qui est trop « bien-pensant »

Mon neveu Etienne, jeune adulte bien diplômé et travaillant dans un cadre qui lui donne toutes satisfactions, m’a envoyé au cours d’un échange personnel, le paragraphe que je cite ci-dessous. Je lui réponds ici publiquement car il formule bien ce que beaucoup (jeunes et moins jeunes) pensent à propos de l’installation de l’homme sur Mars et je crois avoir des arguments valables à leur opposer.

« …au-delà de la recherche scientifique et la satisfaction de la curiosité humaine, j’ai du mal à accepter l’exploration spatiale, et encore plus le “tourisme” des ultra riches. Comme beaucoup d’autres, je trouve ça complètement immoral de dépenser des milliards de dollars et émettre tant de CO2 dans l’atmosphère pour un tel caprice. Pour ce qui est de la terraformation de Mars, je suis de l’avis que même si elle était possible, il vaudrait mieux se concentrer sur les problèmes de notre planète. On a du pain sur la planche… »

La préoccupation première d’Etienne est visiblement « les problèmes de notre planète ».

Je pense qu’il a tort de considérer que l’exploration-spatiale ne fait pas partie des solutions à ces problèmes, comme je l’ai d’ailleurs exposé maintes fois dans ce blog. Cette « activité » (l’exploration) est d’abord un stimulus à la recherche-en-ingénierie puisque de nombreuses technologies doivent être sollicitées et améliorées qui pourront avoir un intérêt pour la vie sur Terre, surtout si on envisage que l’exploration soit effectuée avec une participation humaine sur place. Par ailleurs les missions habitées sont un facteur puissant d’amélioration de l’efficacité de la recherche-scientifique.

La mise au point de lanceurs réutilisables va aider à améliorer l’efficacité des transports terrestres, par exemple en permettant d’effectuer des vols « planétaires » des Etats-Unis en Australie en une ou deux heures, avec des fusées de type Starship, comme en a l’intention Elon Musk. Le Starship est prévu pour être propulsé avec du méthane brûlant dans de l’oxygène, ce qui effectivement produit du CO2 mais ces ergols sont conçus pour les missions martiennes afin de pouvoir utiliser le CO2 de l’atmosphère martienne pour les obtenir (réaction de Sabatier). Rien n’interdira pour les vols purement terrestres de brûler de l’hydrogène dans de l’oxygène, moyennant quelques aménagements apportés au Starship, ce qui donnerait de l’eau comme produit de combustion.

Les vols habités lointains vont nous obliger à considérablement développer les technologies de recyclage ou de culture agricole car il s’agit de partir dans l’espace avec le minimum de masse dans un minimum de volume et avec les technologies les plus fiables possibles puisqu’on sera par la force des choses livrés à nous-mêmes pendant une période de temps incompressible et longue. En effet en partant dans l’espace pour des destinations lointaines, comme Mars, où l’environnement ne sera pas viable, il s’agira de recycler aussi parfaitement que possible l’oxygène, l’eau, et nos déchets métaboliques pour faire pousser des aliments dont les déchets seront aussi recyclés dans une boucle aussi fermée que possible (le recyclage devra d’ailleurs être étendu, au-delà des déchets organiques, à tout ce qu’il sera possible de recycler). C’est toute la problématique que traite le Consortium MELiSSA (Micro Ecological Life Support System Alternative) développé par l’ESA (ESTEC). Pour l’efficacité de la production alimentaire, la Start-up Interstellar Lab (Barbara Belvisi et son équipe) développe un projet de culture sous serre avec une productivité extraordinairement élevée et un impact sur l’environnement extrêmement faible (volume clos, intrants totalement contrôlés, recyclage intégral).

Les vols habités vont aussi nous pousser à développer les technologies de protection contre les radiations puisque les voyageurs y seront particulièrement exposés et qu’il faudra absolument en atténuer les effets. C’est dans ce but que la société israélienne Stemrad à mis au point ses gilets de protection astrorad (protégeant notamment les organes producteurs de cellules souches) et bien sûr ces produits vont évoluer et s’améliorer.

Par ailleurs, si l’exploration spatiale peut se faire par vols robotiques, ce ne peut-être qu’à défaut de mieux c’est-à-dire de présence humaine à côté des robots pour qu’ils soient plus efficaces (capacité de réaction, d’adaptation, d’ajustement, à une situation nouvelle). Cette présence humaine est possible pour l’instant sur la Lune et sur Mars mais elle serait surtout indispensable sur Mars puisque la finitude de la vitesse de la lumière fait qu’on ne peut y commander en direct un robot et qu’on est obligé de procéder par courtes séquences avec des intervalles de plusieurs minutes voire dizaines de minutes entre ordre donné et résultat reçu.

La seconde préoccupation d’Etienne est le respect d’une certaine décence.

Comme beaucoup de jeunes, Etienne n’aime pas les « ultra-riches », surtout lorsqu’ils dépensent leur argent pour leur loisir. Mais pourquoi ne dépenseraient-ils pas une partie de ce qu’ils ont gagné pour satisfaire leurs besoins personnels ?! Lui-même, mon cher neveu, fait de même. Bien sûr les ultra-riches disposent de plus de moyens que lui mais le raisonnement est identique. En le faisant, ces riches alimentent l’économie donc la création de richesses pour tous (dans les domaines mentionnés plus haut) puisqu’ils achètent à des fournisseurs, et ils augmentent aussi la base imposable sur laquelle les états vont venir puiser pour effectuer leurs propres dépenses d’intérêt général.

Je ne suis pas d’accord pour dire que l’action des états est plus « noble » et plus « utile » que celle des personnes privées. C’est plutôt le contraire. Les dépenses « publiques » sont assez souvent effectuées pour satisfaire l’égo du décideur politique et/ou pour répondre à un principe idéologique et/ou par pure démagogie. Souvent leur efficacité pour la population est moins bonne que la dépense privée car cette dernière est faite avec plus d’attention (la personne privée perd réellement de l’argent si la dépense ou l’investissement n’est pas adéquat, la personne publique va juste augmenter ou perpétuer les impôts).

Si une personne est riche, à part le cas où elle a hérité de sa fortune, c’est qu’elle a effectué un travail (production ou service) que ses contemporains, clients et acheteurs, ont apprécié puisqu’ils l’ont acheté. Cette adhésion de fait est aussi « juste » qu’un vote, ou plutôt c’est une sorte de vote et il est effectuée en toute liberté (celle de la décision d’achat).

Enfin les touristes serviront à rentabiliser les installations créées sur Mars ce qui permettra d’éviter que l’Etat donc les contribuables, ait à payer quoi que ce soit pour cet objet. Pour être plus précis, il faut d’ailleurs comprendre « touriste » dans un sens large, plutôt comme « hôte-payant » et ces gens-là ne seront pas forcément des parasites. Ceux qui passeront 18 mois sur Mars, autrement dit qui, avec le voyage aller-retour, passeront 30 mois de leur vie en dehors de la Terre, voudront peut-être (euphémisme pour « très probablement ») en faire quelque chose, une œuvre d’art, tester une innovation, mettre au point un logiciel, etc…Il ne faut pas désespérer de l’humanité et surtout des gens qui ont « réussi » dans leur vie. Bien peu se satisfont du farniente, surtout quand il coûte très cher.

La troisième préoccupation d’Etienne c’est la pollution par le CO2.

On retrouve là l’expression d’une inquiétude générale mais comme beaucoup de contemporains, Etienne ne connaît pas l’importance relative des émissions de CO2 générées aujourd’hui par l’activité spatiale, ou qui le seront « demain ». Il faudrait en effet un nombre énorme de lancements de fusées pour approcher un tant soit peu de la pollution générée par les automobiles thermiques (je ne parle pas des véhicules électriques mais l’extraction du lithium à grande échelle est tout aussi polluante). En 2018 la production anthropique de CO2 a été évaluée à 37,1 Gt (1 Gt = 1 milliard de tonnes), la production de CO2 par un starship interplanétaire brûlant du méthane dans de l’oxygène pourrait être de 715 tonnes (200 tonnes « seulement » pour un starship planétaire, qui n’a pas besoin d’avoir la même puissance pour s’extraire du puits gravitaire terrestre et partir au loin). A raison d’une dizaine de tirs par fenêtre de vols pour aller sur Mars, la pollution occasionnée par l’utilisation du Starship serait de moins de 1 cent millième (0,001%) de la totalité actuelle du CO2 d’origine anthropique (et non pas sur une seule année mais sur plus de deux ans puisque ces vols ne pourront avoir lieu que tous les 26 mois !).

Par ailleurs comme je l’indiquais plus haut, rien ne fait obstacle à ce qu’on propulse nos lanceurs avec de l’hydrogène brûlant dans de l’oxygène. L’Isp (l’efficacité) de ce mélange est excellente. Il suffirait de construire des réservoirs plus gros (la densité de l’hydrogène est la moins élevée des gaz) donc un peu plus lourd et de ne stocker l’hydrogène que peu de temps (pour limiter les fuites car la molécule de ce gaz est la plus petite de tous les autres éléments chimiques).

La quatrième objection d’Etienne c’est qu’on ferait mieux de s’occuper de la planète.

Deux réponses à cela :

Comme je le dis souvent, beaucoup de monde s’occupe déjà de la planète et on ne peut pas tous le faire en même temps (sauf bons comportements civiques, tels que ne pas jeter ses plastiques partout dans la nature ou bien utiliser les bacs de recyclage pour ses déchets). Il faudrait que « tout le monde » soit qualifié pour le faire et qu’il y ait suffisamment d’objets pouvant recevoir de façon réactive les dépenses qu’on y affecterait. N’importe qui ne peut pas s’improviser technicien du retraitement de tel ou tel produit ou producteur d’énergie « décarbonée ». Cette attitude me fait penser à la production d’acier par la Chine pendant le grand-bond-en-avant. Les autorités avaient fixé des objectifs extrêmement élevés. Tout le monde se mit à faire de l’acier même dans les campagnes les plus reculées. Résultat beaucoup fut effectivement produit, les objectifs du plan furent atteints mais une forte proportion du métal était soit de trop mauvaise qualité soit inutilisable tout simplement parce qu’on ne savait qu’en faire. Ceux qui avaient fait cet acier auraient mieux fait, dans l’intérêt de tous, d’avoir une autre activité.

Par ailleurs mieux s’occuper de la planète c’est peut-être aussi chercher une solution de repli pour l’humanité en cas d’échec dans la correction de direction de notre navire planétaire. L’installation de l’homme sur Mars serait un moyen pour l’espèce humaine et la civilisation qu’elle porte, de survivre au cas où la Terre deviendrait invivable ou au cas où nous retournerions dans une sauvagerie digne du Moyen Age. De nos jours, l’un ou l’autre ne sont nullement exclus.

Alors mon cher Etienne, certes nous avons « du pain sur la planche » mais dans ce contexte, l’exploration spatiale n’est pas à rejeter par principe. Tout le monde peut en profiter.

Illustration de titre :

Illustration de la page internet de Stemrad pour son astrorad. Cette veste qui peut protéger un astronaute dans l’espace peut également protéger une personne sur Terre dans n’importe quelle situation qui la mettrait en danger d’être sévèrement irradiée.

Lien :

Stemrad : https://stemrad.com/astrorad-4/

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Index L’appel de Mars 22 06 10

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