Exploration spatiale

Mars, quoi qu’il en soit

Les cylindres de O’Neill seraient une solution pour vivre dans l’espace mais c’est une solution plus difficile à mettre en œuvre que d’aller se poser sur le sol de Mars. Pour commencer notre expansion dans l’espace, il faut donc à tout prix aller sur Mars. La suite ira de soi.

La solution « îles de l’espace » est difficile à mettre en œuvre pour toute sorte de raisons. Nous avons vu les semaines précédentes que l’essentiel de la matière ne peut venir que des astéroïdes ou de la Lune. La possibilité de transformer la matière dans l’espace est théoriquement possible grâce à l’énergie solaire mais on n’a jamais encore pratiqué ce type d’industrie. Les dimensions des îles sont gigantesques et les réaliser exige donc la robotisation très poussée d’un grand nombre de machines utilisant beaucoup d’énergie. Même avec beaucoup de moyens, le temps nécessaire à la construction s’étalera sur de nombreuses années. Les sommes dépensées seront énormes et le retour sur investissement, lointain sauf si on peut les employer à construire des SSPS*pour la Terre, mais la faisabilité de ces centrales attend encore d’être testée.

*Space Solar Power Station imaginées par Gerard O’Neill. Il s’agit de collecter l’énergie solaire par des miroirs évoluant dans l’espace sur orbite géostationnaire et de la retransmettre sur la Terre par micro-ondes sur des capteurs qui ensuite desserviront le réseau de distribution d’électricité.

A noter qu’une île de l’espace ne sera vraiment utilisable que lorsqu’elle sera terminée.

Aller sur Mars est beaucoup moins difficile. Il « suffit » de finaliser un lanceur super lourd réutilisable, comme peut l’être le Starship. La rentabilisation viendra des missions scientifiques payantes, du tourisme et des utilisations du même lanceur pour des vols planétaires autour de la Terre ou à destination de la Lune.

A noter donc que, contrairement à une île de l’espace, une installation légère sur Mars peut être rentabilisée sans attendre la création d’une ville. Comparer les deux c’est observer d’un côté une suite de mutations avec rejet brutal de la coquille et de l’autre un corps qui grandit en acquérant petit à petit de nouvelles facultés.

L’installation sur Mars pourra en effet être progressive avec un développement technologique parallèle à la progression du nombre des voyages et à l’accumulation des séjours. D’abord l’homme pourra vivre pendant la durée de 18 mois des premières missions à l’intérieur du Starship qui l’aura amené. Sur la durée, il devra (et pourra) se protéger des météorites et des radiations mieux que ne peut le faire la coque d’une fusée. On évalue l’épaisseur nécessaire pour se protéger aussi bien que sur Terre des radiations solaires (SeP* sous forme de SPE* ou même de CME*) à 40 cm de glace d’eau. Cela sera possible sans grande difficulté en surface de Mars dont le sol est relativement riche en eau.  Ce sera plus difficile de se protéger des rayonnements galactiques (GCR), plus pénétrants et plus énergétiques. Mais pour les missions de deux ou trois cycles synodiques et a fortiori pour vivre une durée indéfinie sur Mars, le mieux serait d’habiter des cavernes puisqu’il faut une épaisseur de deux mètres de régolithe pour bénéficier d’une protection adéquate contre ce second type de radiations.

*SeP = Solar energetic Particle (protons), SPE = Solar Particle Event, CME = Coronal Mass Ejection

Ces cavernes pourront être soit naturelles, soit creusées par l’homme. En premier lieu on utilisera les tubes de lave ou les cheminements créées par l’eau dans le sous-sol proche de la planète. Ces cavités sont nombreuses (région d’Arsia Mons ou d’Ebrus valles, par exemple). Elles seront d’autant plus facilement exploitables qu’elles auront des ouvertures accessibles et horizontales. On a vu de nombreux gouffres de dimensions adéquates (80 à 200 Mètres de diamètre) à partir des satellites-orbiteurs mais ces gouffres supposent qu’on les équipe d’un système d’ascenseurs pour y pénétrer et en ressortir (problème de consommation d’énergie et de sécurité). D’autres cavernes doivent avoir un accès à l’horizontale. On n’en a pas encore identifié (sauf un gouffre à moitié comblé de régolithe ce qui a créé une pente, raide, qui permettrait d’accéder au fond et sans doute à une extension souterraine) mais cela est certainement dû à l’impossibilité de détecter de tels accès par satellite puisqu’ils ont une vue verticale avec un angle d’observation très peu ouvert.

Une alternative serait de forer le mur d’un cratère ou plus généralement d’une falaise (par exemple au fond de Valles Marineris) avec un tunnelier après s’être assuré contre le risque d’éboulement au-dessus de l’entrée. Une autre serait de creuser un fossé circulaire de quelques 5 mètres de profondeur et d’une trentaine de mètres de diamètre, dans un sol à peu près plat et, à partir de ce fossé, d’évider l’intérieur par des forages transversaux en laissant un « plafond » d’au moins deux mètres d’épaisseur (solidement étayé !). Un cylindre d’un diamètre ainsi déterminé pourrait donner l’habitabilité d’un petit immeuble. Le fossé circulaire pourrait être protégé par une toiture en verre (obtenu à partir de la silice martienne) et pressurisé, ce qui donnerait une surface cultivable de plus de 500 m2, suffisante pour nourrir une dizaine de personnes (des miroirs sur le pourtour du fossé, en haut et au fond, permettraient d’augmenter le rayonnement lumineux au fond et peut-être de cultiver un autre niveau, en étagère).

Ces habitats semi-enterrés sont un exemple de ce qu’on pourrait faire. J’en ai fait réaliser une illustration par le dessinateur Manchu (Philippe Bouchet) au début des années 2000. La seule difficulté, me semble-t-il, serait la consistance du sol martien. Jusqu’à présent on n’a fait qu’effleurer la surface (forage d’InSight) et l’expérience s’est avérée déconcertante. Il faudrait donc tenter l’expérience avec une excavatrice robotisée (ce qui pourrait aussi servir à accéder au sous-sol profond pour en étudier la biochimie). A noter que les premiers mètres du sol martien étant très froid, on aurait intérêt à creuser en dessous du niveau de l’habitat un sous-sol pour créer une isolation…et à y entreposer les machines (conditionnement de l’air, informatique, etc…) pour maximiser la possibilité de capter leur chaleur pour les hommes. Comme partout sur Mars, l’énergie serait nucléaire et solaire (la surface du cercle étant couverte de panneaux photovoltaïques). Pour le moment l’énergie géothermique n’est qu’un espoir mais il existe certainement des points-chauds. Le problème étant la profondeur nécessaire du forage car le gradient de températures est très raide !

A partir de la première base martienne on pourrait extraire par minage robotique de Phobos commandé en direct, (presque) toutes les matières premières nécessaires pour créer une première île de l’espace, sans doute une Île de type « 1 », sphère de Bernal de 500 m de diamètre, soit 785.000 m2 de surface interne, et l’envoyer ensuite dans la Ceinture d’astéroïdes toute proche pour y construire d’autres îles, encore plus grandes. Une telle sphère conçue en 1929 par le physicien britannique John Desmond Bernal et revisitée en 1970 par Gerard O’Neill, pourrait générer une gravité de type terrestre sur sa bande équatoriale moyennant une rotation de 1,9 tours par minute. Plus elles seront grandes plus la force de Coriolis y passera inaperçue au sol et moins l’homme aura l’impression d’y être enfermé.

Aller sur Mars et s’y installer lèvera le tabou selon lequel il n’y a de vie humaine possible que sur Terre. Les êtres humains s’étant affranchis de ce paradigme, tout deviendra possible. Ils pourront concevoir de construire et de conserver l’environnement qui leur est nécessaire, rien que cet environnement, sans aucun élément extérieur inutile, pour vivre n’importe où. Ils deviendront un peu comme un bernard-l’hermite lorsqu’il s’empare d’un coquillage pour protéger sa vie des menaces extérieures auxquelles son faible corps ne pourrait résister. Mais à la différence du bernard-l’hermite l’« hommo-spatialis » saura concevoir et organiser aussi son environnement extérieur pour y puiser juste ce dont il aura besoin. Poussé par la nécessité il aura renoncé à l’inutile et utilisera la matière dont il aura besoin avec le souci constant de la réutiliser pour ne pas avoir à se procurer à nouveau des roches vierges contenant les éléments indispensables à sa survie et sa prospérité.

Illustration de titre : Une sphère de Bernal telle qu’étudiée par Gerard O’Neill. Les tores sont les zones agricoles. La lumière pénètre indirectement à l’intérieur par des chevrons dont les faces sont revêtues de miroirs, ce qui permet une bonne isolation contre les radiations. Vue d’artiste, Rick Guidice / Ames Research Center.

Illustration ci-dessous :

« Back to the Rabbit Hole », crédit Manchu (Philippe Bouchet). La base martienne évoquée dans le texte ci-dessus. Les panneaux solaires occupent le toit de l’habitat. Le sas se trouve à droite, de là on descend en pente douce dans la tranchée périphérique. Plusieurs grandes baies vitrées donnent sur cette tranchée qui est pressurisée et cultivée. Sur la droite on voit des hangars, des stocks, des antennes. Entre l’antenne de communication vers la Terre, un évent permet d’évacuer le gaz carbonique. Derrière la base, devant la colline, un site de forage permet d’accéder à un aquifère. Derrière la colline un réacteur à fission nucléaire procure à la base l’essentiel de son énergie.

Référence : https://wbase.net/CylindreONeill.html

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Index L’appel de Mars 21 10 31

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