Exploration spatiale

De ce que, en tant qu’êtres humains, nous nous devons de faire

J’ai traité les semaines précédentes, de la situation de notre système solaire au sein d’un voisinage stellaire mouvant. Cet environnement par le simple fait qu’il est, nous présente un défi. Nous ne pouvons l’ignorer, détourner nos regards des étoiles et, si notre technologie nous le permet, refuser d’aller l’investir, sous des prétextes divers même s’ils semblent à courte vue justifiés (pollution atmosphérique non nulle ou utilisation de ressources rares). Nous devons au contraire, nous lancer avec enthousiasme vers l’espace profond. Nous le devons pour répondre à nos gènes qui, comme ceux de toutes formes de vie, nous poussent à réduire nos risques de mort, à survivre et à prospérer ; nous le devons à nos ancêtres qui nous ont transmis la Vie, la somme de leurs connaissances et leurs créations ; nous le devons à nos descendants à qui nous devons transmettre ces richesses reçues, accrues de ce que nous avons-nous-mêmes créé, et à qui nous devons ménager un avenir aussi ouvert que possible.

Que faire de cet héritage, de ce potentiel, de ce voisinage ?

Je pense qu’il faut étudier autant que nos télescopes et capteurs divers nous le permettent, le système d’Alpha-Centauri et plus particulièrement celui de son étoile « A ». Il faut imaginer et réaliser des vaisseaux qui puisse nous permettre d’aller physiquement sur place et tant pis si cela coûte de l’énergie et pollue un peu la planète ; il y a pire mal-usage. A défaut de pouvoir nous déplacer nous-mêmes, il faut étudier ce système avec des moyens robotiques. Il faut marquer notre passage par un repère durable dans le temps et porteur d’informations nous concernant. Enfin il nous faut aller sur Mars pour apprendre, nous donner confiance et envie d’aller plus loin.

Concernant le premier point, les astronomes de par le monde, font le nécessaire. Nous disposons de grands télescopes sur Terre et l’optique adaptative fait des progrès constants grâce à l’informatique afin de compenser les perturbations résultant de l’atmosphère. Pour court-circuiter ce problème, les télescopes spatiaux, malheureusement d’une surface de collecte moins grande que les terrestres, se développent de plus en plus. Citons au sol le VLT, le Keck et dans l’espace, bientôt le JWST en attendant peut-être un jour Darwin. Les techniques s’affinent, notamment celle des coronographes pour occulter la lumière de l’étoile dont on veut observer les planètes. A côté de l’observation directe qui permettra d’étudier l’atmosphère de ces voisines par spectrographie, la technique des vitesses radiales, du transit ou de la « microlentille gravitationnelle » (« microlensing ») fournissent beaucoup d’informations sur la masse, le volume (donc la nature rocheuse ou gazeuse), la distance à l’étoile.

Concernant le second point, nos moyens sont beaucoup plus réduits. Pour le moment nous ne disposons que de la propulsion chimique et cela est totalement insuffisant pour atteindre Alpha-Centauri. L’objet le plus rapide créé par l’homme, la sonde solaire Parker (PSP) atteint 175 km/s en approchant du périhélie grâce au « flyby » de Vénus. Il lui faudrait 6.711 ans pour atteindre Alpha Centauri à cette vitesse. La solution actuellement réaliste serait d’utiliser la propulsion nucléaire ou la propulsion photonique. Sans entrer ici dans les détails des différents projets, disons qu’on peut ainsi espérer des vitesses de l’ordre de 10 à 20% de la vitesse de la lumière, ce qu’on appelle des vitesses relativistes car à partir de ces grandeurs, on commence à ressentir la différence d’écoulement du temps que vit le voyageur par rapport à celui que vit la personne située au référentiel fixe. Mais la différence sera encore peu sensible à cette vitesse (elle commence à le devenir vers 0,4c où elle a un effet de réduction pour le voyageur d’environ 10%). Il faudra un peu plus de 19 ans au voyageur (et 20 ans à l’observateur terrestre) pour parvenir dans le domaine d’Alpha-Centauri. C’est bien le maximum que l’on peut envisager d’« infliger » à un être humain.

Une solution serait de construire des cylindres de O’Neill, au point de Lagrange L5, à partir du régolithe lunaire, avant de les envoyer vers Alpha-Centauri. Un tel vaisseau, une « Island 3 », pour reprendre le nom donné par Gerard O’Neill dans les années 1970, de 6,5 km de diamètre sur 32 km de longueur (650 km2 de surface interne), serait un moyen confortable de voyager pour un temps long, de plusieurs années voire dizaines d’années. Mais est-ce possible ? Le principal problème est de faire fonctionner les équipements nécessaires à la transformation des matières premières dans l’espace pour construire ces vaisseaux. Ce n’est pas gagné mais j’espère quand même qu’on y parviendra « un jour » !

Si l’on veut rester réaliste et actuel, il reste les sondes robotiques. C’est ce que veulent faire Youri Miller et Avi Loeb dans le cadre de leur projet Breakthrough Starshot dont j’ai parlé souvent dans ce blog. Ils veulent utiliser des voiles photoniques de très faible masse unitaire (2 grammes tout compris) pour pouvoir supporter l’accélération extraordinaire que leur impulserait une forêt de lasers rassemblant une puissance de 100 GW sur 10 minutes (au-delà, les voiles ayant acquis une vitesse de 0,2c seraient beaucoup trop éloignées de la source de lumière). Le problème après que l’on ait impulsé cette vitesse, c’est de ralentir une fois arrivé. Si l’on veut se contenter de prendre une ou deux photos « en passant » ce n’est pas grave mais si l’on veut observer davantage ou même rester dans le système, c’est plus difficile. Peut-être faudrait-il une double voile ? L’une recevrait l’impulsion initiale et la seconde, qui lui serait juxtaposée dos à dos, étant orientée vers l’étoile de destination, recevrait sa lumière, de plus en plus puissante en l’approchant, ce qui permettrait de ralentir la sonde jusqu’à ce qu’elle puisse se faire capturer par la force gravitationnelle de l’étoile voisine.

Il faut bien reconnaître que pour le moment, il n’y a pas de bonnes solutions à notre incursion dans ce système lointain malgré sa proximité relative, mais nous ne devons pas désespérer. Le passé nous a montré à de multiples reprises que l’impossible d’une époque devenait le possible d’une autre. Restons donc confiant dans l’avenir.

S’il se confirmait que nous ne puissions aller physiquement dans le domaine d’Alpha-Centauri en un nombre raisonnable d’années pour le voyageur, je pense qu’un jour nous devrions y envoyer des sondes qui y parviendront après un nombre acceptable de décennies. Et je voudrais, au-delà des observations que nous pourrons faire, que nous jetions dans ce nouveau monde « une bouteille à la mer ». Il s’agirait de faire plus que ce qu’a voulu Carl Sagan avec son disque d’or qu’il a confié en 1977 aux sondes Voyagers (« Voyager Golden record ») et qui se trouvent aujourd’hui à 153,7 UA (V-1) et à 126,7 UA (V-2). Ce pourrait être une stèle comme celles que les rois-des-rois assyriens ou perses faisaient sculpter avant notre ère au flanc des montagnes pour s’adresser aux générations futures et qui ont suscité l’admiration chez tous ceux qui se sont intéressés à notre passé lointain. On ne sculpterait plus dans la pierre, bien sûr, mais on pourrait construire des parallélépipèdes, bourrés d’information, équipés de « Pierre de Rosette » (autant que possible !) et d’outils de communication, comme les « monolithes » que l’on contemple avec crainte et respect dans « 2001 Odyssée de l’Espace » de Stanley Kubrick et Arthur Clarke. On les enverrait flotter dans l’espace à bonne distance de l’étoile de chacun des systèmes. Ces stèles des temps modernes conserveraient notre mémoire, ce que nous avons été, les hauts faits que nous avons accomplis, la quintessence de la beauté que nous avons créée à travers nos œuvres dans les divers domaines réceptifs à nos sens, l’expression des sentiments qui auront inspiré nos passions. Ils pourraient tout dire de ce dont nous avons été fiers à ceux qui éventuellement les trouveraient. Ainsi, dans cette espérance, quand nous mourrons nous ne serions pas totalement morts.

D’ailleurs nous pourrions envoyer d’autres monolithes dans les autres systèmes voisins, même s’ils ne sont centrés que sur des naines-rouges puisqu’elles pourraient elles aussi être explorées par « d’autres ». Comme chaque étoile que nous côtoyons aura sa propre route autour du centre galactique, elles porteraient notre message un peu partout dans la Galaxie, peut-être à personne, peut-être à quelqu’un. Nous pourrions même les laissez flotter en dehors de tout système stellaire, à la vitesse moyenne de rotation (LSR) comme cet ‘Oumouamoua qu’Avi Loeb a pensé être un objet artificiel servant au minimum de balise. Imaginez si nous trouvions un tel objet ? Quelle extraordinaire révélation ; que leurs auteurs aient disparu corps et bien depuis des millions d’années ou non et même s’ils nous étaient devenus totalement inaccessibles car distants de plusieurs centaines ou milliers d’années-lumière !

Dans un premier temps, j’ai eu presqu’envie de dire comme Guillaume le Taciturne, « il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer ». Mais je ne pense pas qu’il faille être aussi pessimiste car il y a « espoir » (même si celui-ci repose largement sur « souhait » et « désir ») porté par « volonté », et il y a « réussites » (même si les technologies nécessaires sont encore largement « brumeuses »). Et maintenant je dirais plutôt, « faisons sans attendre ce que nous pouvons, rien que ce que nous pouvons mais tout ce que nous pouvons ». Cela commence par aller sur Mars, dès demain. Si nous ne le faisons pas, nous renoncerions à l’espace. Si nous le faisons, nous nous engagerions à tenter d’aller plus loin un jour et nous nous entrainerions pour réussir. Nous aurions fait un « bout de chemin » et cela sera autant de moins à accomplir, pour les générations futures.

Illustration de titre: le monolithe de 2001 Odyssée de l’Espace, Capture d’écran du film de Stanley Kubrick…une de nos bouteilles à la mer possibles. Le monolithe est très sombre car il a besoin de toute l’énergie de son environnement.

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Dirigeable martien

Avec Claude Nicollier, j’ai accompagné l’année dernière un étudiant en master de l’EPFL, Roméo Tonasso, et deux jeunes femmes ingénieures spatiales, Laurène Delsupexhe et Alice Barthes, membres de l’organisation WoMars, pour étudier la faisabilité d’un dirigeable martien. Nos jeunes amis ont ensuite, en juin dernier, présenté leur travail au GLEX 2021 de Saint Petersbourg (conférence mondiale organisée par l’Institut Aéronautique Internationale et Roscosmos). L’EPFL Space Center, eSpace, a invité le petit groupe à faire une présentation actualisée de ce travail ce 27 Septembre, de 17h15 à 18h15. Compte tenu des circonstances sanitaires et parce que de ce fait les pratiques changent, la présentation aura lieu par ZOOM. N’hésitez pas à participer :

https://espace.epfl.ch/event/espace-webinar-can-an-airship-explore-mars-by-romeo-tonasso-alice-barthe-laurene-delsupexhe/

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