Exploration spatiale

EMC18. Des robots et des hommes sur Mars sous le regard du Temps

Du 26 au 28 octobre la Mars Society Switzerland invite les membres des autres associations européennes de la Mars Society ainsi que le public intéressé par l’exploration de Mars par vols robotiques et la perspective des vols habités, à se réunir à La Chaux-de-Fonds. L’occasion est notre congrès EMC18, autrement dit « 18th European Mars Convention ». Vous, lecteurs fidèles ou qui venez de découvrir ce blog et qui l’appréciez, êtes les bienvenus à venir écouter (en Anglais !) les spécialistes parmi les mieux informés, faire le point sur la recherche mondiale ou leur propre travail et à leur poser des questions. Vous pouvez dès maintenant vous inscrire.

Notre hôte sera le Musée International d’Horlogerie (MIH). A cette occasion cette institution de la Suisse des microtechniques fera une exposition sur les horloges atomiques et leurs applications spatiales. Vous pourrez donc approfondir ou mettre à jour vos connaissances sur les méthodes et les instruments de mesure du Temps (avec ou sans guide). Vous réaliserez ou vous aurez la confirmation que l’aventure spatiale ne serait pas possible sans sa maitrise avec une précision toujours plus grande. Il s’agit en effet lors de l’injection sur une trajectoire transplanétaire, de mettre à feu les moteurs à un instant très précis en fonction de la position du vaisseau spatial, de la position future de l’astre à atteindre, de la puissance de poussée dont on dispose et de la masse à propulser ou bien, dans le processus de descente sur une planète (EDL), de dérouler une séquence d’interventions se succédant à de très courts intervalles, avec les « complications » nécessaires pour agir sur des éléments matériels (les moteurs, les ergols, la portance et la traînée du vaisseau) en fonction de conditions locales très lointaines et changeantes (la pression atmosphérique, les vents, éventuellement la poussière), avec un handicap résultant du décalage dans le temps causé par l’éloignement qui oblige à prendre en compte la vitesse de la lumière. Et rien n’est simple puisque cet éloignement varie entre 56 et 400 millions de km en conséquence de la vitesse relative des planètes sur leur orbite respective, donc entre et 3 et 22 minutes-lumière.

Le « temps » c’est aussi l’évolution du temps-court (journée et subdivisions) constaté sur Mars en même temps que sur Terre. La planète Mars tourne sur elle-même en 24h39 (un « sol »), ce qui est presque mais pas tout à fait notre jour de 24h00. L’homme pourra sans doute s’adapter à cette légère différence. Des expériences menées dans des cavernes (le spéléologue Michel Siffre pendant deux mois dès 1962 puis plusieurs fois ensuite) ont montré que notre rythme circadien se stabilisait vers 24h30. Ceci dit, dans ce cadre journalier, ni la subdivision horaire (pris pour 1/24ème d’un sol), ni les subdivisions inférieures (minutes, secondes) n’ont les mêmes durées sur Mars que sur Terre. Alors, devra-t-on vivre sur un temps martien ou garder le temps terrestre dont la base, la seconde, a été très précisément définie pour être universelle* ? La réponse n’est pas simple car d’un côté toutes nos machines fonctionnent avec le temps terrestre et les Martiens auront pendant encore très longtemps besoin de les importer ou, également, d’être en interactions très fréquentes avec la Terre ; d’un autre côté, ne vivre dans un environnement temporel martien qu’avec des référentiels différents de celles de la réalité vécue poserait problème car il faudra évidemment tenir compte de l’évolution de l’éclairage naturel au cours du sol et de la nuit. Par ailleurs, si l’on gardait les référentiels terrestres en ajustant chaque sol la durée du jour, quand ferait-on l’ajustement quotidien; la nuit ? Mais quand donc est « la nuit » sur une planète qui comme la Terre est en rotation sur elle-même ? Devrait-on ajuster son instrument de mesure du temps de 61minutes et 37 secondes ou d’un multiple de cette durée en changeant de fuseau horaire ? La réponse la plus simple serait de garder les deux référentiels de temps, de porter des montres ou de consulter des horloges « dual-time » comme celle réalisée par l’entreprise Vaucher Manufacture Fleurier (avec mes conseils) qui sera exposée au MIH pendant EMC18.

*« La seconde est la durée de 9 192 631 770 périodes de la radiation correspondant à la transition entre les deux niveaux hyperfins de l’état fondamental de l’atome de césium 133 ».

Le « temps » c’est aussi le temps-long (année et subdivisions). Mars parcourt son orbite en 686,971 jours (soit 668,5991 sols) à comparer à nos 365,256 jours. Bien que Mars connaisse comme la Terre des saisons (son axe est incliné de 25°19 sur l’écliptique à peu près comme la Terre qui est, elle, inclinée de 23°44), subdiviser son parcours autour du soleil en douze mois égaux regroupés en quatre saisons égales ne serait pas satisfaisant car ces mois en moyenne très longs (55,66 jours), ne correspondraient de ce fait pas aux nôtres dès le début de l’année (après 31 jours) et leur durée moyenne serait peu significative car la vitesse de la planète sur son orbite est très inégale (26,5 km/s au périhélie et jusqu’à 21,9 km/s à l’aphélie) compte tenu de l’excentricité de son orbite ( de 206,7 à 249,2 millions de km du soleil). La saison d’hiver de l’hémisphère australe est ainsi beaucoup plus courte que son été (situation évidemment symétrique pour l’hémisphère boréale) et il faudra cependant pouvoir se repérer facilement pour prévoir efficacement les programmes d’actions annuels, d’autant que le climat est extrême et les contraintes qu’il impose, incontournables. Là aussi les Martiens (résidents permanents comme temporaires) devront prendre en compte le déroulement du temps sur leur planète aussi bien que rester informés de celui de leurs correspondants sur Terre. Un référentiel martien avec des saisons martiennes (inégales avec des mois plus courts autour du périhélie) sera inévitable et le « dual time » s’imposera encore. Vous verrez comment suivre les deux à la fois sur l’extraordinaire horloge de Vaucher Manufacture Fleurier.

Le « temps » c’est encore celui de l’histoire de la planète. L’un des domaines principaux de recherche sera l’exobiologie. Or l’objectif principal sera sans doute de trouver des traces d’évolution organique remontant à plus de 3,5 milliards d’années et de les comprendre. Malgré la très faible érosion, cet éloignement dans le temps est considérable et les traces organiques ont forcément évolué y compris et surtout du fait du bombardement radiatif. Savoir lire cette évolution ressort sur Terre de la science bien établie de la « taphonomie ». Sur Mars elle devra trouver de nouveaux repères, d’autant plus difficiles à définir qu’on ne connaît pas le point de départ. Jusqu’à quel point les molécules complexifiées par le « réacteur biologique » martien ont-elles été ensuite altérées, est la grande question. Comment auront résisté au temps les polymères et leurs assemblements (pour ne pas parler d’organismes)? Les éléments chimiques seront-ils restés suffisamment expressifs au niveau isotopique ou structurel (énantiomères) ? Pourra-t-on se contenter de simples biomorphes sans risquer de prendre pour vivant ce qui résulte d’un processus naturel rare ? Au-delà, le temps a-t-il manqué pour que la vie commence (jusqu’à la « découverte » du processus de reproduction), ou au contraire la vie naissante s’est-elle arrêtée avant d’avoir atteint un niveau de complexité et de résilience suffisant, compte tenu de la détérioration des conditions environnementales ?

Le « temps » c’est enfin celui que nous mettrons, nous humains, pour nous décider à aller physiquement sur Mars, à nous y installer et faire le nécessaire pour acquérir une nouvelle autonomie planétaire. Elon Musk aura-t-il le temps (outre les moyens financiers et le succès technologique) pour concrétiser son rêve d’implantation humaine ? S’il échoue parce qu’il ne réunit pas les moyens financiers suffisants ou que son BFR ne peut voler, quelqu’un prendra-t-il la relève ? La NASA parviendra-t-elle à faire voler son SLS et se décidera-t-elle un jour à aller vers Mars plutôt que de s’encalminer sur la Lune ? Si cette étape est franchie, rien ne sera aisé sur Mars où aucune structure n’existe et où les conditions sont si difficiles (mais moins difficiles qu’« ailleurs »). Les premiers hommes pourront-ils supporter l’isolement, la vie encapsulée, la nourriture peu variée, les pannes énergétiques, les proliférations microbiennes dans les habitats ? Pourront-ils le supporter toute une vie et voudront-ils imposer ces contraintes à leurs descendants ? Les Terriens auront-ils de leur côté la patience de maintenir « à bout de bras » (c’est-à-dire de milliards de dollars) une colonie martienne pendant longtemps ? L’échappatoire serait la création de relations économiques fructueuses aussi bien pour les Terriens que pour les Martiens. Ce n’est pas impossible. Mars pourrait devenir un centre de recherche privilégiée pour toutes les technologies de l’environnement, du recyclage, de la production agricole, un laboratoire, peut-être une université, une « mine » de brevets, dans une certaine mesure un havre de tourisme. Et surtout, Mars n’étant pas la Terre, elle pourrait être un refuge aussi bien pour toutes les formes de vie que pour les hommes, un véritable conservatoire de la Terre…Mais le concrétiser sera forcément long.

L’homme est engagé dans une course contre le temps pour devenir une espèce multiplanétaire et se donner une chance d’éviter la décadence et/ou la disparition sur sa planète d’origine surpeuplée et saccagée*. Trop peu de nos décideurs semblent avoir conscience du danger, très peu de la crédibilité de la possibilité martienne. Aurons-nous le temps ?

*PS : Si les hommes parviennent à arrêter leur explosion démographique et la destruction de leur environnement terrestre avant qu’il ne soit trop tard, ce sera tant mieux mais cela n’exclut aucunement l’intérêt du saut vers Mars. Dans ce cas l’établissement sur une autre planète devrait être vu comme un ensemencement permettant le déploiement d’une seconde branche de l’humanité et donc un potentiel d’enrichissement civilisationnel.

Image à la Une: Le Mont Sharp au centre du Cratère Gale. Mosaïque de photos prise par le MastCam de Curiosity et assemblées le 22 mars 2018 (Crédit: NASA/JPL-Caltech/MSSS).  Cette zone est particulièrement riche en argile, donc très intéressante pour la recherche exobiologique…Bien entendu la présence de l’horloge atomique qui se trouve sur la droite de l’image résulte d’un montage. Elle illustre le fait que nous ayons choisi de tenir notre congrès EMC18 au MIH de la Chaux-de-Fonds et que le MIH prenne cette occasion pour faire une exposition sur les horloges atomiques et leurs applications spatiales.

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