Exploration spatiale

WFIRST pourrait nous éclairer sur le mystère de l’énergie sombre

Selon la théorie la plus communément admise en cosmologie, mais pas par « tout le monde », la matière « ordinaire » (baryonique) ne constitue que 4,9% de la masse de l’Univers. Se pose dès lors le lancinant problème de la nature et de la localisation de « tout le reste ». On a déduit, sans pouvoir le confirmer par observation, qu’il se compose d’« énergie sombre » (68,3%) et de « matière noire » (26,8%). Le télescope WFIRST de la NASA a été conçu pour nous aider à élucider ce mystère.

L’origine de cette déduction vient de ce que plusieurs faits observés ne concordent pas avec ce qu’ils devraient être en application des théories de la cosmologie classique. Par exemple l’expansion de l’univers, qui semble accélérer ou encore la vitesse de rotation des galaxies, plus rapide en leur périphérie qu’elle devrait l’être. C’est cela qui a conduit les astrophysiciens et les physiciens dans leur immense majorité*, à adhérer à l’hypothèse de l’énergie sombre** dans le premier cas et de la matière noire** dans le second.

**Energie sombre: supposée en 1998 par Huterer et Terner; présente partout, elle induirait une sorte d’antigravité;

**Matière noire: supposée en 1933 par Fred Zwicky puis en 1970 par Vera Rubin; localisée, elle « alourdirait » les galaxies d’une masse invisible.

*Seules quelques voix discordantes dont celle d’André Maeder (voir ci-dessous) s’élèvent contreElles sont très minoritaires, au moins pour l’instant.

Il n’est pas question de « voir » l’énergie sombre ou la matière noire mais d’en constater les effets, avec autant de précision que possible, et sur des objets différents, afin de la comprendre. Pour en démontrer la réalité et en percevoir la nature, les tenants de cette théorie doivent donc utiliser les moyens dont ils disposent c’est-à-dire les ondes électromagnétiques que l’on reçoit et parmi elles celles qui sont les plus pertinentes c’est-à-dire celles qui mettent le mieux en évidence les « anomalies » qu’ils recherchent.

WFIRST (« Wide Field Infrared Survey Telescope », en français « Télescope d’étude infrarouge grand-champ ») a été conçu principalement pour cela. Il s’agit d’un télescope qui capterait les longueurs d’onde de l’infrarouge proche (juste un peu plus longue que celles du spectre visible) jusqu’à 2 µm et qui étudierait plus finement les variations à travers le temps exprimées par ces rayonnements, du taux d’expansion de l’univers. Les télescopes à infrarouge ont une capacité différente des télescopes à lumière visible ou à rayons X puisqu’ils ne voient pas les sources chaudes, les plus énergétiques, mais les sources froides (on devrait dire « moins chaudes »). Ils peuvent nous donner beaucoup plus d’informations que les autres télescopes à ondes plus courtes puisqu’ils repèrent beaucoup mieux la multitude d’objets lointains « ordinaires » qui s’enfuient à grande vitesse de nous (effet Doppler-Fizeau) du fait de l’expansion de l’univers. Par ailleurs la localisation dans l’espace de WFIRST permettrait de ne pas souffrir de l’absorption de ces rayonnements par les gaz et l’humidité atmosphérique. Le grand-champ (100 fois celui de Hubble !) serait d’autant plus utile que l’on ne recherche pas à voir un astre précisément mais plutôt des environnements au travers de ces astres pour les comparer. Pour étudier les effets de l’énergie sombre via le taux d’expansion, ses promoteurs veulent mesurer les « oscillations acoustiques des baryons »* ou la distance de luminosité des supernovæ de type « 1a » (à explosions thermonucléaires ≠  des supernovæ à implosions du fait de l’effondrement de leur cœur) dont la luminosité absolue est connue, et étudier les lentilles gravitationnelles faibles, sur la plus grande profondeur possible de l’espace. Selon la distance, les effets de l’énergie sombre doivent avoir varié pour des masses semblables compte tenu de l’accélération de l’expansion sur la durée.

*avant la période dite « de recombinaison », des ondes acoustiques se propageaient dans le plasma primordial. On retrouve les effets de ces ondes étirées par l’inflation cosmique dans la distribution de la matière au sein des amas de galaxies.

WFIRST pourrait certes ne pas confirmer la tendance à l’accélération mais ce n’est pas le plus probable. Alternativement, la confirmation de l’expansion accélérée mais avec des résultats non concluants en ce qui concerne les effets d’une énergie sombre ou d’une matière noire sur la matière baryonique donnerait toutes ses chances à la théorie sur les propriétés du vide développée par André Maeder, publiée en janvier 2017 dans « The Astrophysical Journal ». André Maeder, professeur émérite à l’Université de Genève, ne nie pas la réalité de l’accélération, bien au contraire, mais considère qu’elle devrait être « simplement » une conséquence du vide à grande échelle (dans le cadre duquel les règles de la relativité générale s’appliquent), en prenant pour hypothèse « l’invariance d’échelle du vide », hypothèse selon laquelle l’espace vide a les mêmes propriétés à quelque échelle qu’on le considère. Et dans ses calculs, cette invariance fait apparaître un terme très petit d’accélération de l’expansion qui s’oppose à la force gravitationnelle…Juste ce que l’on recherche ! Toute énergie sombre ou matière noire deviendraient donc inutiles pour expliquer l’accélération. Les personnes intéressées peuvent lire sa démonstration dans l’étude scientifique vers laquelle je donne le lien ci-dessous.

WFIRST, projet du Goddard Space Center de la NASA depuis la revue décennale de 2010 (« Decadal Survey » du « National Research Council » de la « National Academy of Sciences ») a bénéficié de l’offre d’un miroir gratuit de la NRO (« National Reconnaissance Office ») qui n’en a plus l’usage par suite de l’abandon d’un projet de satellite espion pour qui il avait été construit. Le miroir, de type Richtey-Chrétien comme celui de Hubble, est plus grand que celui prévu à l’origine (2,4 mètres, comme celui de Hubble, contre 1,5 mètres) et gratuit. Cela abaisse évidemment fortement le coût de l’ensemble, ramené à 1,7 milliards de dollars (contre 2 milliards pour Hubble, mais en 1990). Il serait doté d’un imageur grand-champ, d’un spectromètre et d’un coronographe (pour occulter les sources lumineuses trop violentes par rapport aux sources froides recherchées). Il aurait une masse de 7,5 tonnes à laquelle il faudrait ajouter trois tonnes d’ergols nécessaires à la circularisation de l’orbite d’observation et aux ajustements de cette orbite durant les six ans de la mission.

WFIRST serait positionné de préférence au point de Lagrange L2, en opposition au Soleil (dans l’ombre perpétuelle de la Terre), où la température est froide et stable et la pollution lumineuse du soleil absente. Alternativement (antérieurement) il aurait pu être positionné en orbite géostationnaire de la Terre.

WFIRST a des objectifs accessoires (mais importants pour justifier la mission vis-à-vis des décideurs), notamment l’observation des exoplanètes en exploitant l’observation des lentilles gravitationnelles faibles (puisque les planètes sont des sources froides et que le télescope disposerait d’un coronographe très innovant par son adaptabilité à la surface stellaire devant être occultée) ; un passage de planète devant l’étoile en premier-plan entraînant une augmentation de la masse de l’ensemble et donc un accroissement de son effet de lentille. C’est intéressant pour les planètes se situant à plus de 0,5 UA de leur étoile car cela comblerait un manque : on observe généralement, par la méthode du transit ou des oscillations radiales, plus facilement les planètes plus proches de leur étoile et avec les coronographes classiques les planètes beaucoup plus lointaines (40 UA) de leur étoile ; or les planètes « habitables » (celles que l’on recherche en priorité) doivent se situer ni trop loin, ni trop près de leur étoile (la température doit permettre l’eau liquide en surface).

Le projet a été validé en février 2016 et le lancement pourrait avoir lieu mi-2020. Malheureusement le dernier budget de la NASA proposé par la nouvelle administration américaine veut y mettre fin car elle a « d’autres priorités ». En fait le gouvernement américain lance la NASA sur le projet ultra-coûteux et a priori totalement inutile mais spectaculaire, de station spatiale en orbite autour de la Lune (« Deep Space Gateway » devenu « Lunar Orbital Platform-Gateway »). Beaucoup de beaux projets risquent d’être sacrifiés à ce « machin » sans aucun intérêt qui n’est que la continuation de l’ISS dans un environnement plus hostile. Il reste un espoir, le refus du Congrès de suivre la proposition du gouvernement.

NB : Après de nombreuses vicissitudes (y compris à cause des retards et des augmentations de coût du JWST, successeur de Hubble), la NASA a finalement accepté d’aller de l’avant et décidé, en Mars 2020, d’allouer un budget de 3,3 milliards pour le projet. Ce montant permettra la réalisation du télescope, son lancement (en 2025) et 5 ans de fonctionnement.

Illustration de titre : représentation artistique du télescope WFIRST (crédit NASA, Goddard)

Liens :

“An alternative to the ΛCDM model: the case of scale invariance”, par André Maeder, dans “The Astrophysical Journal”:

http://iopscience.iop.org/article/10.3847/1538-4357/834/2/194/meta

article paru dans Le Temps sur l’étude d’André Maeder :

https://www.letemps.ch/sciences/un-professeur-genevois-remet-question-matiere-noire

Article de Huterer et Terner sur l’énergie sombre:

https://arxiv.org/pdf/0803.0982.pdf

articles de la NASA sur le projet WFIRST:

https://www.nasa.gov/feature/goddard/2017/nasa-s-next-major-telescope-to-see-the-big-picture-of-the-universe

https://wfirst.gsfc.nasa.gov/

PS : Je salue Stephen Hawking avec respect, admiration et émotion. Il a démontré de la façon la plus brillante la domination de l’esprit sur la matière. Il est un exemple pour tous.

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