Exploration spatiale

Mars, de nombreuses falaises de glace renforcent les possibilités d’habitabilité de la planète

Une étude parue dans Science cette semaine* fait état de nombreuses « falaises » de glace d’eau coupant des terrains lisses de dépôts accumulés à la surface de Mars à des latitudes moyennement élevées (autour de 55°, surtout dans l’hémisphère Sud). Cela met en évidence la richesse en eau (solide et non liquide) accessible et confirme la possibilité pour l’homme de s’établir sur cette planète.

Ce n’est pas la première fois qu’on constate la présence de glace d’eau à la surface de Mars mais la particularité de cette découverte est le caractère à la fois massif et facilement accessible de cette ressource (une fois sur Mars, évidemment!). Les constatations proviennent de l’observation de données recueillies par divers instruments à bord de l’orbiteur MRO (« Mars Reconnaissance Orbiter ») de la NASA. Les scientifiques ont d’abord remarqué visuellement, dans les photos prises par la caméra HiRISE (High Resolution Imaging Science Experiment) de l’orbiteur, des lignes bleutées de plusieurs km de long, orientées vers le pôle et surplombant des puits chaotiques (huit à ce jour dont sept dans l’hémisphère Sud). Ils ont pu en déduire que les lignes correspondaient à des « escarpements » (en Anglais « scarp ») d’une centaine de mètres de hauteur et de pente forte (45 à 55°). Ils les ont faites analyser par le spectromètre CRISM du même orbiteur (Compact Reconnaissance Imaging Spectrometer for Mars) puis par un autre instrument de MRO, SHARAD (Shallow Radar). Cela a permis de constater que le bleu correspondait à la ligne d’absorption de la lumière réfléchie par l’eau (CRISM) et ensuite que la glace commençait très près de la surface (un à deux mètres en moyenne) et s’enfonçait d’une trentaine de mètres en dessous du sol (SHARAD), la base, au contact du socle rocheux, étant cachée par des éboulis. L’observation sur la durée ainsi que des examens thermiques ont ensuite pu prouver que les dépôts n’étaient pas saisonniers mais relativement stables (retraits saisonniers probablement de l’ordre du millimètres seulement).

La glace n’est pas totalement pure car elle contient quelques débris rocheux (sans doute morainiques) et un peu de poussière qui délimite des strates périodiques mais elle est presque aussi pure que celle des calottes polaires. NB c’est d’ailleurs les chutes observées de rochers de l’ordre du mètre, qui permettent d’apprécier la vitesse de recul du front de glace.

L’origine des dépôts est relativement récente car la surface du sol à proximité de ces falaises est très peu cratérisée. Elle doit résulter des dernières périodes de forte obliquité (inclinaison de l’axe de rotation sur le plan de l’écliptique) qui se reproduisent environ tous les 120.000 ans. En effet la planète n’étant pas stabilisée comme l’est la Terre par la Lune, cette obliquité varie de façon cyclique beaucoup plus forte en fonction du différentiel d’attraction gravitaire du Soleil au différentes latitudes de la planète (phénomène de précession). Lorsque l’axe s’incline aux environs de 35° (son maximum dans ce type de cycle), les calottes polaires sont exposées trop sensiblement aux rayonnements solaires et se subliment très largement dans l’atmosphère. L’eau s’y condense et compte tenu des faibles températures, retombe en neige en surface aux latitudes moyennes alors très peu exposées aux rayonnements solaires. Avec le temps et l’accumulation, la neige se tasse et se transforme en glace. Le processus n’est pas continu car en raison de l’aridité, les tempêtes de poussière doivent toujours sévir et certaines périodes doivent être plus chaudes ou moins neigeuses (en fonction notamment de l’excentricité de l’orbite).

NB : il est possible qu’à l’occasion de cette densification de l’atmosphère par la vapeur d’eau, la plage de températures permettant l’eau liquide s’étende quelque peu permettant un certain écoulement en surface…mais cela est une autre histoire.

Ensuite, lors du redressement de l’axe de rotation sur le plan de l’écliptique, la glace non protégée ou mal protégée se sublime aux latitudes basses et moyennes et retombe en neige aux pôles mais les plaques de glace situées en hautes latitudes doivent persister très longtemps (aux environs de 55°, la glace est stable à une profondeur de seulement 10 cm de profondeur). Les banquises pourraient donc rester cachées jusqu’à la prochaine période de forte obliquité et c’est probablement ce qui se passe en de nombreux endroits (où l’on trouvera de la glace très ancienne). Mais il peut y avoir des raisons pour lesquelles des failles verticales se manifestent (la glace n’est pas homogène) et ces failles peuvent mettre à nue de la glace pure qui va se sublimer. On note d’ailleurs que partout où l’on a observé ce type de relief, des failles ont été repérées près du front d’escarpement et aussi que l’escarpement dominait un piedmont puis un chaos résultant de la libération des moraines par l’effondrement jusqu’au socle rocheux sous-jacent puis la disparition par sublimation progressive du front. Par ailleurs le vent peut aussi jouer son rôle érosif et dégager des plaques de poussière mettant à nue la glace pure.

Les résultats de cette étude sont à rapprocher des découvertes des buttes glaciaires repérées dans l’Ouest d’Utopia Planitia, entre 40 et 50° de latitude Nord, à l’Est de Nili Fossae (cf mon article sur ce sujet). La différence est, dans le cas des buttes, un manteau protecteur plus épais, sans doute d’origine volcanique et une sublimation superficielle laissant un sol poreux de plusieurs mètres ne contenant plus ou peu de glace. Il s’agit pour la NASA de découvrir jusqu’à quelle latitude le phénomène des falaises de glace s’est produit (initialement la recherche n’a porté que sur les zones de latitude supérieure à 50°). Il est certain que tout phénomène similaire repéré à des latitudes plus basses serait encore plus intéressant puisque les conditions de vie en hiver aux environs de 55° sont évidemment assez dures (donc plus consommatrices en énergie). Si on en découvre à moins de 50°, on doit toutefois s’attendre à ce qu’ils soient moins spectaculaires c’est-à-dire que la sublimation s’effectuant plus vite et le sol superficiel étant moins froid, l’accessibilité à la glace soit moins bonne. Ce seraient en quelque sorte des intermédiaires entre les « falaises » et les « buttes ».

Contrairement à ce qui a été rapporté par la presse en général, il faut noter que visuellement on ne sera pas face à de vraies falaises, car les pentes ne sont pas assez fortes pour justifier ce terme, mais il est quand même certain qu’on devrait voir de la glace vive sur une hauteur impressionnante et que la pente des premiers mètres avant le sommet doit être très raide.  Cela ajoutera surement de la variété au paysage martien et surtout facilitera beaucoup la vie des futurs colons (encore plus que les buttes puisque la glace y sera plus accessible). Sur le plan scientifique, on pourra toujours rechercher si la pression a pu générer de l’eau liquide sous la banquise (et chacun sait que cet élément est un vecteur puissant pour toutes sortes de transformations). Par ailleurs les strates permettront d’avoir une lecture de l’histoire récente de Mars donc de mieux connaître ses cycles, notamment celui de l’eau, et de remarquer des phénomènes globaux particuliers (épisodes volcaniques) ou même d’autres événements non cycliques que l’on pourrait rapprocher d’événements climatiques terrestres et qui serait le témoignage d’une activité particulière solaire ou galactique. Ce serait une autre opportunité pour que l’étude de Mars soit utile à la compréhension de la Terre.

*“Exposed subsurface ice sheets in the Martian mid-latitudes” par Colin M. Dundas et al. in Science 359, 199 (2017) DOI: 10.1126/science.aao1619, publié le 12 janvier 2018. Colin Dundas est géologue à l’Astrogeology Science Center de l’US Geological Survey

Image à la Une : ligne de front d’un escarpement glaciaire. La couleur bleue a été renforcée (crédit NASA, MRO, HiRISE)

Image ci-dessous : effondrements (au premier plan) dégageant un front de glace. Les vagues de terrain parallèles dans la zone effondrée témoignent du recul progressif du front. Crédit NASA/MRO/HiRISE.

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