Exploration spatiale

Pour survivre dans l’espace l’homme devra se déplacer avec sa coquille

ECLSS, ce sigle a priori peu « parlant », est l’abréviation d’« Environmental Control and Life Support System ». Il recouvre la nécessité pour l’homme de se déplacer « avec sa coquille » s’il prétend sortir de l’environnement terrestre, et aussi, implicitement, le fait que l’environnement spatial n’est pas naturellement le nôtre. C’est une clef pour comprendre les possibilités mais aussi les difficultés et les dangers de l’exploration spatiale par vols habités.

NB: Je continue le fil de mes articles sur les contraintes et les limites qui s’imposent à l’exploration spatiale par vols habités (lire ici le précédent). J’ai déjà publié un article sur le thème de l’ECLSS en juillet 2016 (“ECLSS, une bulle pour la vie”).  J’y apporte quelques précisions et (je l’espère) quelques améliorations.

La maîtrise de l’ECLSS est donc une condition des vols spatiaux. L’homme a besoin d’une atmosphère contenant certains gaz (environ 21% d’oxygène et 78% d’azote) et pas ou très peu d’autres (gaz carbonique notamment), d’une certaine pression (entre 0,7 et 1 bar), d’eau liquide au pH neutre et d’une atmosphère au contenu bactériologique contrôlé. Il a aussi besoin de se nourrir selon un régime équilibré qui permette à ses fonctions vitales de se perpétuer. Les vols dans l’espace proche aussi bien que lointain, nous forcent à chercher à répondre à ces exigences en utilisant le minimum en termes de masse et de volume. Cette nécessité implique la réutilisation, c’est à dire le recyclage.

Le problème est complexe et des progrès, lents, sont faits « tous les jours ». On voit bien l’intérêt que cela représente pour la vie terrestre sur Terre. Parmi les recherches qui sont menées sur le sujet, celles de Suren Erkman de l’UniL (écologie industrielle), de Théodore Besson de la Sté « ESTEE » (Earth Space Technical Ecosystem Enterprise SA) en Suisse, de Mike Dixon du CESRF (« Control Environment Systems Research Facility ») de l’Université de Guelph, au Canada, et celles du Consortium MELiSSA (Micro Ecological Life support System Alternative), coordonné et animé par Christophe Lasseur dans le cadre de l’ESA/ESTEC, sont sans doute les plus remarquables. Idéalement il faudrait pouvoir recycler 100% de ce que l’on consomme. Le « réacteur biologique » Terre y parvient tant bien que mal jusqu’à aujourd’hui (il semble connaître quelques problèmes – même peut-être avoir atteint ses limites – d’où ce qu’on appelle la pollution ou le réchauffement climatique). Cela est évidemment beaucoup plus difficile dans la bulle très restreinte que constitue un habitat artificiel hors de l’environnement terrestre. Aujourd’hui cependant on sait recycler à peu près complètement l’oxygène de l’atmosphère et l’eau, moins bien les matières. On sait aussi analyser la qualité microbiologique de l’atmosphère (détecteur MiDASS de EC/ESA/bioMérieux) mais c’est de ce côté qu’on pourrait avoir le plus de difficultés. En effet, sur Terre, le volume habitable et habité immense (notre biosphère), à peu près équilibré, résultat de notre très longue histoire mais toujours évolutif, permet de corriger (lisser, atténuer) les déséquilibres ponctuels (« buffer effect » ou effet tampon). Sur Mars et surtout dans l’espace, les petits volumes viabilisés qu’on peut considérer de ce point de vue comme des « microbiomes », subiront des pressions de déséquilibres relativement énormes du fait de l’absence d’effet tampon. Il faudra pallier cette situation par un contrôle et un ajustement constants pour éviter d’être rapidement débordés par la guerre que les bactéries mènent depuis des milliards d’années contre les métazoaires que nous sommes.

Le film « Seul sur Mars » met partiellement en évidence cette problématique mais la traite mal. On n’y parle pas du contrôle microbiologique (qui semble aller de soi dans le film !). Par ailleurs un ECLSS efficace doit absolument tirer parti de l’environnement lorsque cet environnement contient des éléments exploitables comme c’est bien le cas de Mars (à la différence de l’espace profond où l’on ne dispose que de ce qu’on a emporté). Dans cet esprit, l’auteur du roman à la base du film commet l’erreur de ne pas envisager l’utilisation de la réaction dite de Sabatier, bien connue et maîtrisée, pour obtenir à partir du gaz carbonique martien et d’un peu d’hydrogène, de l’oxygène (pour respirer et pour servir de comburant) et du méthane (pour brûler comme carburant dans l’oxygène en dégageant de l’énergie permettant de faire fonctionner les machines et les véhicules). Il n’envisage pas non plus, curieusement, d’exploiter l’eau du sol martien que l’on peut obtenir par forage et par chauffage (pergélisol omniprésent) et il néglige totalement le danger des sels de perchlorates omniprésents en surface.

Mais il ne faut pas non plus « voir trop grand ». Un ECLSS doit être réaliste et respectueux de l’environnement. Nous avons appris assez récemment que notre planète est un système complexe, cohérent et fragile. Mars l’est aussi. Un ECLSS doit être conçu pour protéger l’homme et lui permettre de vivre, non pour détruire les endroits où il veut s’installer. On ne peut à la légère envisager d’enclencher un processus de terraformation, irrespectueux de « l’autre » et par nature démesuré donc non contrôlable. La déclaration d’Elon Musk selon laquelle il faudrait faire exploser des bombes thermonucléaires sur les calottes polaires de la planète pour réchauffer et densifier l’atmosphère, apparaît à cet égard totalement inacceptable. Ces bombes, outre qu’elles contamineraient la surface et l’atmosphère de la planète, pourraient certes faire fondre les calottes polaires mais les conditions sur Mars sont telles que, probablement, l’eau retomberait aussitôt en neige plutôt qu’en pluie sur toute la surface et que la poussière et les particules de glace emportées dans l’atmosphère empêcheraient les rayons du soleil de parvenir au sol, déclenchant un hiver très long (à l’échelle humaine). Quel serait l’avantage pour le but recherché ? Par ailleurs, un tel bombardement serait une agression scandaleuse contre un environnement original (riche de ses différences avec la Terre) qu’il convient au moins d’étudier avant de le dénaturer. Compte tenu de ce que l’on constate aujourd’hui, il y a sans doute eu sur Mars une évolution vers la vie, qui mérite d’être recherchée et comprise. L’homme n’aurait-il rien appris des catastrophes qu’il a à plusieurs reprises causées à son environnement naturel ? Ce serait plus que dommage, un véritable acte de vandalisme.

Puisque nous passons cette nuit dans une nouvelle année, je vous adresse mes meilleurs vœux. Pour notre sujet, elle comportera deux événements majeurs: le test du lanceur Falcon Heavy d’Elon Musk et le lancement de la sonde Insight par la NASA. Je vous en parlerai bien entendu, en temps voulu.

Image à la Une: le modèle terrestre de la Boucle MELiSSA (crédit ESA/ESTEC/TEC-MCT).

image ci-dessous: la boucle MELiSSA (crédit : ESA/ESTEC/TEC-MCT), les différents compartiments du système MELiSSA (« Micro Ecological Life Support System Alternative ») que l’on pourra un jour utiliser pour les vols spatiaux et les séjours sur d’autres planètes. Il s’agit de recréer une boucle de vie, auto-régénérative, dans un volume aussi restreint que possible. Vous remarquerez que cette boucle reprend les différentes phases de fonctionnement de l’étang en « image à la Une »:

Liens:

http://www.esa.int/Our_Activities/Space_Engineering_Technology/Melissa

https://blogs.letemps.ch/pierre-brisson/2016/07/11/melissa-la-clef-de-notre-survie-dans-lunivers/

http://est2e.com/about/

http://www.ces.uoguelph.ca/

https://wp.unil.ch/geoblog/2016/07/les-ecosystemes-clos-artificiels-etudies-au-sein-du-programme-oikosmos/

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