Exploration spatiale

Pour s’installer sur Mars l’homme devra utiliser les ressources locales

L’« ISRU », pour « In Situ Resources Utilization », est le concept qui, bien qu’il ait pu l’ignorer, a toujours été essentiel à l’homme pour explorer avec succès les terres lointaines. C’est ainsi que Lewis et Clark purent mener avec succès la première expédition du gouvernement des Etats Unis au travers du continent Nord-Américain (de 1804 à 1806) ; c’est ainsi que Roald Amundsen, avec ses chiens de traineaux, put prendre l’avantage sur Robert Falcon Scott, avec ses poneys, pour traverser le continent Antarctique (1911/1912). A un autre niveau les colons européens ne purent vraiment prospérer dans les pays où ils voulurent s’installer, qu’en acceptant de cultiver les produits locaux ou en élevant les animaux qui y avaient « toujours » vécu*. Nos explorateurs futurs réussiront d’autant mieux qu’ils voyageront dans le même esprit. Cette transposition est une des idées géniales qu’à exprimées en 1990, l’ingénieur en propulsion Robert Zubrin, fondateur de la Mars Society (en 1998). Elle a révolutionné la conception des missions habitées en les rendant possibles avec les technologies d’aujourd’hui.

*Les Américains ont été marqués par l’expérience catastrophique de la première colonie anglaise sur leur continent, Jamestown, fondée en 1607. Elle a failli échouer largement par inadaptation des colons au milieu.

Alors, sur Mars que peut-on trouver dont on puisse se servir ?

La réponse est « à peu près tout », moyennant bien sûr « quelques » adaptations.

(1) L’atmosphère d’abord. Contrairement à la Lune, sa rivale aux yeux des décideurs des politiques d’exploration, Mars dispose d’une atmosphère. Elle est certes ténue puisque sa pression est le plus souvent inférieur à 1% de celle de la Terre mais ses 611 pascals moyens (6 millibars) sont quand même « mieux que rien » et surtout elle est constituée pour 95% de gaz carbonique et pour 2% d’azote (laissons de côté les autres « petits » gaz). Or qui dit gaz carbonique dit CO2, c’est-à-dire oxygène et carbone donc, indirectement, méthane (CH4). Il est en effet facile d’obtenir ces deux molécules à partir du CO2. Il suffit d’ajouter un petit peu d’hydrogène (une partie pour dix-huit) pour mener à bien la réaction dite « de Sabatier » qui le permet. Et cet hydrogène on peut l’extraire de l’eau martienne. L’oxygène, vous savez ce qu’on peut en faire. On peut d’abord le respirer en ajoutant de l’azote (martien) afin d’obtenir un mélange relativement stable (risque d’embrasement de l’oxygène pur) et d’éviter l’hyperoxie (dommageable à long terme pour les organismes vivants, un peu comme de l’alcool trop fort). Par ailleurs le méthane brule dans l’oxygène et les deux constituent un couple parfait carburant / comburant (des « ergols ») pour alimenter les réservoirs des fusées de retour sur Terre (ou les transporteurs qui iront d’un point de la planète à l’autre). C’est autant qu’il ne sera pas nécessaire d’emporter de la Terre et cela tombe bien car nous avons précisément un problème de masse, aussi bien au départ qu’à l’arrivée. En attendant la preuve du bon fonctionnement de la fusée « BFR » (« Big Falcon Rocket ») d’Elon Musk, nous n’avons jamais eu de lanceur capable de placer plus de 130 tonnes en orbite basse terrestre (« LEO ») et de descendre plus de 20 tonnes en surface de Mars. Avec la BFR ces chiffres pourraient être portés à 180 tonnes en LEO et 100 tonnes sur Mars (le rapport masse en LEO et masse sur Mars étant amélioré par un réapprovisionnement des réservoirs du vaisseaux spatial en LEO par quatre vols de navettes cargo réutilisables). Mais de toute façon, même dans ce cas, on resterait confronté à un problème de capacité d’emport si on devait prendre avec soi les ergols minimum nécessaires au retour sur Terre en y ajoutant la masse du réservoir les contenant.

En fabriquant nos ergols sur place, on réduira de moitié la masse qu’il est nécessaire d’arracher à la gravité terrienne et de freiner pour descendre sur Mars. Il faut évidemment « sauter » sur cette idée. L’establishment du monde spatial a cependant été très long à le faire. Il a fallu la solide réputation de Mike Griffin** pour l’introduire officiellement dans la stratégie de la NASA après qu’il en ait été nommé Administrateur par le Président Georges W. Bush (en 2005). Après cela, il y eu encore plusieurs batailles d’arrière-garde contre le principe, au nom de la fiabilité des systèmes. Mais l’idée est tellement bonne qu’elle a survécu. Aujourd’hui, enfin, le test (partiel) du principe est à l’ordre du jour. Un générateur expérimental d’oxygène, « MOXIE », est prévu à bord de la mission « Mars 2020 » de la NASA. Reste à décider de tester la production de méthane. On y viendra ! Comme les institutions établies (y compris la NASA) sont excessivement prudentes, frileuses en face des idées non orthodoxes, et lentes à bouger, ce sera peut-être finalement Elon Musk et non la NASA qui le fera.

**Michael Griffin était Vice-administrateur de la NASA chargé de l’exploration en 1991 lorsque Robert Zubrin lui a présenté son concept. Il fut ensuite (1998) l’un des membres fondateurs de la Mars Society (américaine) à ses côtés.

A noter que la Lune, puisqu’elle n’a pas d’atmosphère, ne présente pas la même opportunités d’ISRU à partir de ces éléments. Ceci implique qu’on y apporte son carburant de retour. Il est certes plus facile de s’arracher à la gravité lunaire qu’à celle de Mars (deux fois plus forte) mais la consommation d’énergie supplémentaire est loin d’être négligeable. En fait comme le besoin en énergie d’une fusée spatiale est à plus de 95% constitué par la mise en orbite (LEO) et par la descente en surface (EDL), il n’est pas plus économique d’aller sur la Lune que sur Mars.

(2) L’eau évidemment. Il n’est plus nécessaire de démontrer que la glace d’eau est abondante sur Mars même si l’eau liquide est absente et donc l’environnement aride. On sait qu’en de nombreux endroits, même à l’équateur, des banquises enterrées seront accessibles à de simples engins de travaux publics. C’est là aussi une énorme différence avec la Lune où, en dépit de ce que ses partisans affirment, la glace d’eau est extrêmement rare. On en a certes repéré dans le fond, perpétuellement à l’ombre, de certains cratères des pôles mais cette eau serait difficile à extraire et ses volumes extrêmement limités. Sur Mars on pourra donc faire tout ce que sur Terre on fait avec de l’eau, en en étant économe tout de même (circuits fermés et recyclage).

(3) Le sol ensuite. Le sol de Mars contient tous les matériaux dont nous aurons besoin pour faire tous les objets dont nous aurons besoin, et envie ; le fer bien sûr mais aussi le carbone et l’hydrogène à partir desquels on pourra faire des plastiques, l’argile qui permettra les céramiques, la poussière qui une fois mouillée puis séchée donnera un excellent équivalent bêton, le « duricrete », et bien sûr on pourra faire pousser, dans des serres, ce qu’on voudra, soit dans le sol de Mars (après l’avoir débarrassé de ses sels de perchlorates et l’avoir fertilisé, bien sûr !), soit « hors sol » si cela s’avère trop difficile (ce sera certainement le choix au début). La clé pour l’ISRU du sol ce sera l’impression 3D. Archimède disait : « donnez-moi un levier et je soulèverai le Monde » ; en le paraphrasant, je dirais : « donnez aux pionniers qui se poseront sur Mars, une imprimante 3D et ils recréeront un Monde ». Bien sûr c’est un peu exagéré car il faudra beaucoup de temps avant que Mars dispose d’un artisanat et d’une industrie autonome lui permettant de fabriquer les instruments les plus sophistiqués et dont la vie de l’homme moderne ne peut se passer, mais fondamentalement la perspective semble vraiment crédible.

(4) Les sources d’énergie « locales » bien que réduites pourront être utilisées aussi pour faire fonctionner les machines martiennes. L’énergie libérée par la fission nucléaire sera très certainement nécessaire pour obtenir des puissances importantes et stables indispensables au fonctionnement d’une base martienne. Il faudra importer les premiers « générateurs » (petits réacteurs à fission type KRUSTY ou MegaPower) et les premières matières radioactives de la Terre car au début ces matières premières seront difficiles à produire et à raffiner sur Mars  mais on trouvera un jour des minerais les contenant et on parviendra à les traiter. L’énergie solaire sera aussi utilisée. Bien que l’irradiance solaire ne soit, à la distance de l’orbite de Mars, au mieux que la moitié de celle reçue à la distance de l’orbite terrestre, elle sera quand même suffisante au sol de la planète pour permettre l’utilisation de panneaux solaires. On pourra aussi recourir au solaire thermique en utilisant de grandes surfaces réfléchissantes. On peut enfin espérer pouvoir trouver quelques points chauds en surface qui nous permettront d’utiliser la géothermie, même s’il faudra probablement forer profondément pour trouver des différentiels de températures intéressants.

Comme vous voyez, l’ISRU a un bel avenir (et le commerce de masses lourdes entre la Terre et Mars en a très peu) non seulement parce que ce serait simplement utile mais d’abord parce que ce sera une nécessité. On peut penser que grâce à elle et au génie humain, l’évolution vers l’autonomie d’une colonie martienne se fera même si elle est longue et difficile.

NB: Je reprends le fil de ma série d’articles interrompue la semaine dernière pour donner mon opinion sur la nouvelle politique spatiale américaine. Vous pouvez (re) lire le précédent ici.

Image à la Une : Magnifique vue de Mars prise par le rover Spirit dans les Columbia Hills, à l’intérieur du cratère Gusev. Crédit Olivier de Goursac (lire son magnifique livre “Visions de Mars”, éditions La Martinière-Taillandier, publié en 2004). L’atmosphère de Mars est ici presque palpable.

ci-dessous: laboratoire MOXIE de la mission Mars 2020, crédit : NASA. Ce laboratoire expérimentera la production d’oxygène à partir de l’atmosphère de gaz carbonique de Mars.

Ci-dessous : photo de Robert Zubrin (à droite) lors de la démonstration d’une production de méthane et d’oxygène par réaction de Sabatier (1990).

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