Exploration spatiale

Les Tables de la Loi

Les règles qui s’appliquent à une société quelconque doivent évidemment tenir compte de son environnement. Il en ira sur Mars comme ailleurs. L’Universel sera tempéré, aménagé, en fonction des Circonstances de la vie sur la Planète-rouge, qui sont, comme vous avez pu le remarquer, très particulières. A partir de là on peut envisager ce qui sera écrit sur les « Tables de la Loi » locales. Il y aura pour les Martiens beaucoup d’obligations et quelques droits.

La première règle sera le droit au retour sur Terre. Tout arrivant sur la planète et aussi sa famille, devront avoir un billet gratuit pour exercer le choix de revenir vivre sur leur planète d’origine. Ce n’est pas une disposition de confort mais une nécessité sociale. Sans ce droit qui donc voudrait partir sinon quelques inconscients ? Mais ce droit va beaucoup plus loin. Il est la condition d’un traitement décent sur Mars. En cas de proposition de travail ou de traitement jugé inacceptable, tout résident martien pourra revendiquer cette liberté et, soit exercer son droit au retour, soit obtenir une proposition qui lui semblerait convenable. Ce droit est en fait un élément constituant essentiel de liberté et de rétablissement de l’équilibre dans les relations économiques.

La deuxième règle sera l’obligation de respecter les normes d’hygiène et de recyclage imposées par la communauté. Le danger de déséquilibre microbien sera en effet considérable dans un volume viabilisé petit et isolé et les conséquences de gâchis d’éléments organiques aussi bien que d’éléments manufacturés seront extrêmement dommageables*. Tout contributeur à cet environnement aura une responsabilité très forte à son maintien en bonnes conditions, beaucoup plus, proportionnellement, qu’un homme sur Terre qui ne représente individuellement qu’une partie infime d’un tout et qui peut compter sur un effet tampon immense.

*Le contrôle par des moyens “naturels” de l’équilibre de cet environnement microbien est l’objet de la recherche MELiSSA dont j’ai parlée dans d’autres articles de ce blog.

La troisième règle sera l’obligation d’effectuer la tâche confiée par la communauté, pour laquelle le séjour sur Mars aura été contracté. On est dans le même esprit que précédemment. Une personne dans une petite communauté a, par son action ou son inaction, un impact beaucoup plus grand sur celle-ci qu’un homme sur Terre perdu au sein d’une humanité de 7 milliards d’individus. Si l’on compte sur quelqu’un, on ne pourra s’offrir le luxe de sa défaillance. Il faudra bien sûr tenir compte des circonstances mais une personne responsable devrait au moins avertir ses compagnons aussitôt que possible de tout problème professionnel qui surviendrait et dont il serait conscient.

La quatrième règle sera l’obligation de respecter les contraintes de sécurité imposées par la communauté. Compte tenu de l’environnement martien, toute action mettant en danger la sécurité de la Colonie pourrait avoir des conséquences encore plus catastrophiques que de manier des substances toxiques ou explosives sur Terre car elle pourrait mettre en péril la poursuite même de l’établissement de l’homme sur Mars. Les protocoles de sécurité, à commencer par ceux d’entrée et de sortie des éléments viabilisés de la base, devront être scrupuleusement respectés.

La cinquième règle sera le devoir d’assistance à toute personne en détresse. Chaque vie humaine sur Mars sera précieuse, non seulement moralement mais aussi pratiquement, pour les raisons déjà exposées. Il n’y aura donc pas de sortie en solitaire, pas de sortie sans vérification préalable du fonctionnement des scaphandres, pas de sorties en période dangereuse ou douteuse (annonce de tempêtes de poussière ou de vent solaire) et celles qui devront avoir lieu la nuit seront exceptionnelles.

La sixième règle sera l’obligation d’accepter les contrôles médicaux, y compris psychologiques, et les traitements qui seront demandés par la communauté. Selon le principe déjà énoncé, la communauté aura besoin de tous et son intérêt sera de tout faire pour éviter qu’un de ses membres la mette en danger.

La septième règle sera le droit de chacun à l’oxygène, à l’eau, à la nourriture, aux soins vitaux et à un espace vital minimum. L’air que l’on respirera, l’eau que l’on boira, l’espace que l’on occupera ne seront pas des biens libres. Ils seront difficiles et coûteux à produire/à construire et à entretenir. Il faudra les faire payer par les utilisateurs pour éviter les gaspillages mais d’un autre côté on ne pourra pas envisager d’en priver des résidents puisque ce serait les condamner à mort. Une aide (un crédit ?) devra donc être donné à ceux qui ne pourraient se payer continûment ces « commodités » (alors qu’ils auraient dû en principe le pouvoir, d’après l’examen de leur candidature avant de quitter la Terre). On devra cependant demander un travail en contrepartie (dans la mesure où la santé de la personne le permettra).

La huitième règle sera le respect de la vie privée. Les contraintes de vie en commun et des risques encourus seront d’autant plus lourdes qu’il faudra que l’on donne à chacun un droit à la vie privée autant qu’il sera possible en dehors des obligations posées par ces contraintes. C’est une condition indispensable pour que la vie en promiscuité relative soit supportable. Cela implique en particulier la liberté d’opinion et de communication avec la Terre. Il ne saurait être question pour autant de tolérer quelque pression, quelque prosélytisme que ce soit. La liberté de chacun s’arrêtera strictement là où elle pourrait empiéter sur celle d’autrui. Dans cet esprit les personnes faibles devront être protégées de tout harcèlement et tout signe extérieur d’appartenance à une idéologie jugée dangereuse devrait être strictement banni (la société martienne sera évidemment une société laïque). Les Martiens ne vivront pas sur Terre et il faudra tout faire pour éviter d’importer sur Mars les conflits terrestres.

La neuvième règle sera le droit à l’accès aux bases de données de la Terre et de la Colonie. La créativité et simplement le bon fonctionnement de la base requerront un accès aussi total et rapide que possible à toutes données existantes. Cependant, comme dit ci-dessus, des restrictions imposées pour la sécurité seront inévitables. L’administration de la Colonie devra connaître l’identité des utilisateurs des réseaux de communication (interdiction des pseudo et accès à internet restreint aux seules identités vérifiées). Cela rendra impossible la consultation régulière des sites dangereux et permettra éventuellement de remonter aux causes des problèmes.

La dixième règle sera l’obligation de respecter l’environnement de la planète hôte. Mars est une planète fragile, en quelque sorte moribonde. Il n’est pas question de la brutaliser. Le passé des Terriens doit les inciter à ne pas recommencer le gâchis et les destructions perpétrés sur Terre. D’autre part, l’étude de Mars restera pendant très longtemps un objectif essentiel et précieux pour l’humanité. Il conviendra donc de préserver au maximum la virginité de ce nouveau monde. Ceci implique non seulement un recyclage aussi parfait que possible (principe de non-pollution) mais aussi le renoncement à tout projet de terraformation (toujours porté par l’hubris de quelques-uns de mes amis).

Voici donc mes « dix-commandements ». Comme je ne prétends pas me comparer à l’auteur des originaux d’il y a près de quatre mille ans (cf. image à la Une), j’accepte leur discussion !

Image à la Une :

Détail du code des lois d’Hammourabi, daté d’environ 1750 avant JC, gravé sur une stèle taillée dans un monolithe de basalte de 2,25 mètres de haut (Musée du Louvre). On peut imaginer que les premiers Martiens auront à cœur de marquer leur arrivée sur leur nouvelle planète par un monument quelconque. Une stèle de ce genre serait une excellente idée (et il y a beaucoup de basalte sur Mars)! Voir photo de la stèle entière, ci-dessous. Crédit image : Mbzt — CC BY 3.0https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=16931676

NB : Le code d’Hammourabi comprend 282 articles. Il n’est pas le premier code juridique. Le plus ancien dont nous ayons trace est celui du roi sumérien Ur-Nammu (vers 2100 avant JC) mais la stèle du roi babylonien Hammourabi est plus spectaculaire. En se plaçant strictement sur le plan du format, les fameux “Dix commandements” transmis par Moïse aux Hébreux (avant l’an 1000, peut-être vers 1300 avant J.C.), dans leur concision “lapidaire” ont évidemment beaucoup plus de force et devraient (comme ici) rester une source d’inspiration.

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