Exploration spatiale

Partir pour Mars à la recherche du bonheur (1- contraintes)

Comme ceux qui me lisent régulièrement l’ont sans nul doute déjà remarqué, j’appelle de mes vœux les plus fervents l’établissement de l’homme sur Mars. Je voudrais maintenant vous convaincre que la décision de partir répondra chez beaucoup à la recherche du bonheur. Je pense d’ailleurs que ce sera la vraie raison, profonde, d’une telle décision. La notion de bonheur est vague mais dans le cas présent, elle devrait correspondre à la satisfaction d’une pulsion immédiate et à la contemplation d’une vision à long terme. La pulsion c’est celle qui anime tout homme qui cherche à « comprendre ». En allant sur Mars, il s’agit de découvrir un nouveau monde et de le comparer à la Terre pour chercher à en percer les secrets et notamment ceux qui concernent l’émergence de la vie. Quoi de plus passionnant ? La vision c’est celle, pour chaque voyageur, de participer éventuellement, selon son choix, à une aventure extraordinaire, dans la ligne de celle que vécurent les pionniers européens qui partirent « vers l’Ouest » ouvrir une « nouvelle frontière », pour développer une nouvelle société dans le cadre de laquelle, il (se) donnera à lui-même et à l’espèce humaine, une « seconde chance ». Quoi de plus exaltant ?

Le problème est de savoir si cette pulsion et cette vision suffiront pour que des hommes se portent candidats à un voyage aussi dangereux, à un exil aussi lointain et acceptent de prendre des risques aussi importants puisque vitaux. Ce sont eux que nous allons considérer cette semaine. Ce n’est pas trop difficile car, contrairement aux colons qui autrefois partaient sans (presque) rien savoir de ce qui les attendait, ces risques ou ces points négatifs, aujourd’hui on les connaît.

Il s’agit d’abord de l’isolement. Au début le « village » humain sur Mars sera petit et les relations sociales de proximité à la fois réduites et intenses avec, de ce fait, de nombreuses possibilités de frictions. Le corollaire de l’isolement sera l’éloignement. Les colons n’auront la possibilité de revenir sur Terre qu’à des dates très espacées, de plus de deux ans (en fonction de la position respective de chaque planète sur son orbite) et après un voyage de plusieurs mois (minimum trois). Les communications radio et vidéo pallieront cet inconvénient mais la distance combinée à la vitesse de la lumière fera que les conversations directes seront entrecoupées d’un « time-lag » de 3 à 22 minutes dans chaque sens. L’impossibilité de liaison physique avec la Terre entre deux révolutions synodiques aura des conséquences pour les pièces de rechange. On pourra certes faire des réparations et remplacer des pièces en les reproduisant par impression 3D mais cela aura quand même des limites, surtout au début de la colonie (les matières utilisées supposent le développement de toute une industrie chimique, d’une industrie minière et d’une métallurgie, avec des degrés de pureté extrêmes).

L’environnement sera dangereux. Il faudra constamment s’en protéger. L’air extérieur sera irrespirable (absence d’oxygène et très faible pression) et contiendra des éléments toxiques (gaz carbonique, poussières très fines, sels de perchlorates). Le port du scaphandre sera obligatoire en extérieur ce qui pourra être considéré comme une gêne (ne serait-ce que pour passer sa main sur son visage !). Toute perforation de cette protection aura des conséquences graves et les procédures de sortie et de rentrée dans les bases seront longues et fastidieuses mais devront évidemment être scrupuleusement respectées (et les ballades en solitaire seront exclues !). Dehors il fera froid. Pendant la journée cela ne posera pas problème car la température pourra osciller autour de zéro degré Celsius mais pendant la nuit on atteindra facilement les -80°C (c’est le cas aujourd’hui dans le Cratère Gale). Il ne sera pas impossible de se protéger de ces températures extrêmes mais cela implique une importante consommation d’énergie (risque de panne ou de réserve insuffisante) donc des sorties courtes aux heures les plus froides et il ne sera pas question d’envisager une nuit entière « dehors ». L’exposition aux radiations spatiales représentera une autre contrainte. Les « Martiens » ne seront pas plus exposés que le sont les astronautes dans l’ISS mais ils seront quand même susceptibles de recevoir sans beaucoup de préavis (quelques heures) les rayonnements peu atténués des tempêtes solaires (protons). Ils devront donc se soucier avant chaque sortie, de la météo de notre étoile, porter sur eux un compteur de dose de radiations reçues et éventuellement pouvoir se mettre rapidement à l’abri dans des bunkers judicieusement répartis dans les régions qu’ils parcourront.

L’espace habitable sera limité. Les locaux de secours, juste mentionnés, seront exigus, d’un volume juste suffisant pour y passer le temps de la tempête (quelques heures, un jour ?). La base sera évidemment plus vaste, autant que possible. Elle devra l’être pour que la vie en commun soit supportable et pour abriter les différentes fonctions qui devront être assurées, sans oublier les laboratoires, les ateliers, certaines zones de stockage et les espaces de détente. On peut imaginer un ensemble de dômes de dix à vingt mètres de diamètre maximum (on ne peut envisager davantage compte tenu de la masse des structures) et de couloirs les reliant. A l’intérieur de ces dômes il faudra faire pousser des végétaux, cultiver des algues (spirulines) et sans doute faire ruisseler de l’eau (pour le plaisir). La couleur et l’eau manqueront en effet cruellement à un paysage ocré et aride (que l’on verra au travers de fenêtres protégées ou plus vraisemblablement sur des écrans captant les images de l’extérieur en temps réel). Au-delà de l’aspect visuel, l’alimentation de tous les jours risque d’être monotone. En effet il faudra « faire avec » les ressources locales et si on peut certes imaginer des serres (d’une surface estimée à 200 m2 par personne), elles devront être aussi « compactes » que possible et la variété des cultures sera faible, fonction du nombre des habitants, permettant les alternances d’espèces. Ces cultures devront être pratiquées avec le plus grand soin, très probablement en hydroponie pour faciliter les contrôles. Des épidémies pourraient frapper tout ce petit monde. Il faudra donc le cloisonner par petites surfaces et éviter l’intrusion de vecteurs de contamination. Les plantes sur Mars seront manipulées par des robots et davantage à regarder à travers des vitres qu’à caresser (sauf les quelques plantes d’agrément que l’on pourra faire pousser dans les lieux de vie).

Le risque de dérèglements microbiens existera aussi bien sûr pour les humains. Le plus grand soin devra présider au nettoyage et au recyclage de toutes les surfaces et de tous les volumes (qui devront être accessibles et modulaires) ainsi qu’aux équilibres microbiens et aux interactions des divers microbiotes au sein du microbiome commun de la Colonie. Comme on devra déjà donner beaucoup d’attention aux microbiotes des êtres humains, les animaux ce sera pour plus tard lorsqu’on pourra mieux contrôler leurs microbiomes spécifiques. Les soins à donner aux hommes seront assurés au mieux grâce notamment à la télémédecine mais il ne pourra y avoir d’intervention chirurgicale en direct par ce moyen compte tenu du “time-lag” entre la Terre et Mars. Il faut espérer qu’il y aura quelques bons médecins sur place et aussi qu’ils disposeront des stocks de médicaments  et des instruments d’intervention adéquats.

L’énergie sera difficile à obtenir car bien sûr il n’y aura pas de pétrole, ni suffisamment de vent ou d’eau courante pour actionner des turbines. Les seules possibilités proviendront du soleil, de l’atome et de la géothermie. Elle sera aussi précieuse car aussi essentielle pour la préservation de la vie que les diverses protections déjà mentionnées. Aucune panne ne sera acceptable au-delà d’un temps minimum de sécurité et ce minimum sera élevé pendant la nuit (froid) et les tempêtes de poussière qui pourront durer plusieurs mois. Il y aura bien sûr des redondances mais les systèmes d’alimentation (pompes, batteries, circuits) ou de régulation (jauges, radiateurs) fonctionneront dans des conditions extrêmes, tout à fait inhabituelles.

Les hommes qui iront sur Mars devront être des adultes responsables. Ils devront « faire face ». Dans une petite communauté « loin de tout », pas question de se défausser ou de se lamenter. Il sera souvent question de vie ou de mort, toujours de réactivité et d’inventivité. Mars sera un milieu particulièrement exigeant. Il n’y aura pas d’excuse ni de pardon. Les règles de sécurité seront donc strictes et il faudra absolument les respecter. Enfin vivre sur Mars sera un choix qui oblige et qui engage. L’environnement gravitaire est différent de celui de la Terre et comme nous l’avons vu, rien ne pourra vraiment empêcher la divergence entre populations terriennes et martiennes sur ce plan. Un Martien ayant vécu plus de dix ans sur sa nouvelle Terre ou né sur place, aura le plus grand mal à supporter la vie dans l’environnement d’une gravité terrestre dans l’hypothèse d’un retour. Il faudra choisir.

La semaine prochaine je vous parlerai de ce qu’on peut mettre sur l’autre plateau de la balance. Ne vous inquiétez pas, il y a aussi du « pour » et, pour beaucoup de Terriens, son poids sera tellement importants qu’il n’y aura pas à hésiter !

Image à la Une :

Quelque part en surface de Meridiani Planum, photo prise par le rover Opportunity, crédit NASA.

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