Exploration spatiale

Les défis des vaisseaux photoniques de Breakthrough Starshot

Depuis juillet 2010 on a vérifié avec l’expérience IKAROS*, que la force de la lumière (du soleil en l’occurrence) peut effectivement propulser un vaisseau dans le vide spatial. Les promoteurs de Breakthrough Starshot nous proposent d’aller (beaucoup) plus loin que notre environnement terrestre, jusqu’au système stellaire le plus proche (Alpha Centauri). Pour y parvenir dans un délai raisonnable par rapport à une vie humaine, il faut aussi aller vite et, pour ce faire, il faut que la masse propulsée soit réduite au maximum. Breakthrough Starshot vise une vitesse de 20% de la vitesse de la lumière (« 0,2 c »). Pour l’atteindre avec l’énergie dont on peut disposer et dont la puissance serait supportable par la voile photonique (100 GW dépensés sur 10 minutes pour un millier de voiles), il faut que la masse totale de chaque vaisseau n’excède pas 2 grammes. Cela pose une série de défis technologiques extrêmement exigeants mais que les promoteurs du projet pensent pouvoir relever au cours des 20 ans qui viennent.

*IKAROS de l’agence spatial japonaise, « JAXA », a une masse de 315 kg dont 15 kg pour une voile de 14,1 m2. Lancé en 2010 pour une mission de 6 mois, il tourne toujours autour du Soleil.

Pour mieux les appréhender, examinons les besoins en termes d’énergie, de voile et de charge utile.

L’énergie doit être émise, reçue et utilisée ; il en faut pour la propulsion (l’essentiel) et pour le fonctionnement du vaisseau. L’avantage de la propulsion photonique est qu’elle ne doit pas être embarquée ce qui réduit la contrainte de masse ; la difficulté viendra de la transmission et des pertes à la réception. Pour le fonctionnement (puisque, là, l’énergie sera embarquée), il faudra miniaturiser la source, le stockage et le dispositif de mise à disposition.

Voyons d’abord l’énergie propulsive. Elle sera émise par des lasers parce que c’est la seule façon de transmettre l’énergie photonique sur une très longue distance (jusqu’à 2.000.000 de km* d’après ce qui nous est annoncé) de façon cohérente. Les 100 GW, semble-t-il nécessaires, représentent une puissance énorme mais ils devraient être produits par plusieurs générateurs classiques de 100 MW. L’énergie serait accumulée et stockée en attente de libération lors de la phase de propulsion. Là encore on se heurte à une difficulté vue l’énormité de l’énergie à libérer en dix minutes*! Les lasers poseront peut-être moins problème car la transmission devrait se faire par un grand nombre d’appareils (« une forêt ») fonctionnant ensemble. La cohérence du faisceau de lumière est plus difficile à assurer pour des raisons tenant à l’appareil émetteur et au milieu à traverser avant de frapper la voile. Les lasers doivent projeter des rayons d’une longueur d’onde de 1 micron pour mieux traverser l’atmosphère, ce qui peut se faire mais les ondes devront ensuite parcourir quelques 60.000 km avant d’atteindre leur cible (voiles photoniques dans leur zone de largage) et ne pas se disperser ensuite sur les 2 millions de km de la trajectoire des vaisseaux pendant la phase d’impulsion. C’est évidemment très difficile et lié à un autre problème, la focalisation du rayon. A l’aide d’un retour de signal de chaque voile, il faudra atteindre une précision de focus de 0,4 millisecondes d’arcs, ce qui est extrêmement précis mais pas impossible. Pour atténuer les perturbations atmosphériques, il faudra localiser les lasers (et la centrale électrique) en altitude (plus de 5000 m) dans un environnement très sec. Le haut plateau andin où sont installés les grands télescopes de l’ESO semble l’endroit le plus approprié.

*NB: Il pourrait y avoir une certaine incohérence à ce stade très initial du projet Breakthrough Starshot, entre la durée d’impulsion initiale et la vitesse de 0,2c atteinte à la fin de cette impulsion. In fine la distance de portée des lasers pourraient être accrue ou bien la vitesse générée un peu plus faible.

Voyons ensuite l’énergie embarquée : On retrouve la contrainte de masse ; tout doit tenir dans 150 milligrammes, source et pile comprises ! Pour la source on devrait utiliser un petit morceau de matière radioactive (plutonium 238 ou americium 241) et un supercondensateur qu’on devrait pouvoir « allumer » et « éteindre » pour économiser le stock d’énergie produit. En fait il y aura très peu de besoins pendant le voyage : une correction de trajectoire entre 1 et 2 UA, une orientation de l’antenne pour vérification de position, le stockage et l’émission de quelques informations sur le milieu interstellaire. L’énergie sera surtout utilisée pour le fonctionnement de l’instrument d’observation lors de la traversée du système d’Alpha Centauri et de la transmission d’informations sur ce système. Il est cependant important de noter que le vaisseau pourrait alors utiliser la lumière de l’étoile voisine. Il faudrait pour cela couvrir la voile d’un film photovoltaïque (pas trop épais et surtout pas trop massif !).

La voile pose aussi des problèmes. Pour être efficace, elle doit être réflective, opaque, homogène et résistante tout en étant ultralégère. Il faudra pousser ces qualités à l’extrême (masse d’un gramme seulement !) compte tenu du choc que va lui causer la propulsion (la vitesse devrait atteindre 216 millions de km/h après seulement 10 minutes). Pour la réflectivité on vise 99,999%. Pour des raisons de masse, il faudra utiliser une monocouche sensible particulièrement à la longueur d’onde de la lumière reçue ; le graphène semble une piste intéressante. L’opacité signifie que la lumière doit le moins possible traverser ou entrer dans la matière de la voile (absorption minimum) ; la traverser serait perdre de la poussée et y entrer entraînerait un échauffement, dans les deux cas une perte d’énergie. La solution semble exister, ce serait “une couche de microcubes de silicone sur un substrat de dioxide de silicone”. L’homogénéité signifie qu’il ne peut y avoir d’irrégularité, de tache ou même de ride sur la surface réflective car cela risquerait de déséquilibrer le vaisseau. La solution, au-delà de la recherche d’une surface « parfaite » serait de faire tourner très vite la voile-miroir sur elle-même (« spin ») pendant les dix minutes d’impulsion (solution utilisée pour IKAROS). Une solution complémentaire serait de placer des charges minuscules qui s’écarteraient lors de la rotation vers l’extérieur de la voile et la maintiendraient étendue et plate.

La charge utile enfin doit être efficace et ultralégère. Il s’agit ici des éléments permettant l’observation, le traitement et le stockage d’information, la communication, tout cela dans un seul gramme (NB : l’antenne sera cependant dans la voile)! La pluralité des vaisseaux donnera une redondance indispensable en cas de défaillance de l’un ou de l’autre. Mais il faudra imaginer une coopération entre les vaisseaux, un peu comme des instruments fonctionnant en interférométrie, une partie d’information venant se joindre à d’autres pour donner une image d’ensemble. Les différents éléments devront aussi être protégés des radiations et des chocs pouvant survenir du fait de l’interaction avec le milieu interstellaire. Pour cela on pense à un revêtement des points sensibles par une matière particulièrement résistante et stable comme le bronze au béryllium.

Dans de nombreux cas de figure envisagés, on n’est pas encore au niveau nécessaire et l’accélération dont on a besoin pour atteindre la vitesse de 0,2c semble a priori difficile à atteindre en seulement 10 minutes. Il faut voir jusqu’où l’on pourra porter la vitesse réelle dans la limite de distance permettant la cohérence des faisceaux laser. On peut espérer la continuation des progrès (ils pourraient se situer du côté des lasers qui auraient une portée plus longue). Un des intérêts du projet consiste précisément en ce qu’il va pousser la recherche, dont on retrouvera forcément les retombées dans de multiples applications terrestres où l’efficacité, la miniaturisation, la précision et la résistance sont importantes.

La semaine prochaine je vous dirai comment Breakthrough Starshot veut mettre en œuvre cette recherche.

lien vers le site de Breakthrough Starshot listant les défis du projet:  https://breakthroughinitiatives.org/Challenges/3

Image à la Une : La forêt de laser en phase active d’émission de lumière. Crédit Breakthrough Starshot.

image ci-dessous: détails techniques du projet. Crédit Breakthrough Starshot.

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