Exploration spatiale

Elon Musk se lance à la conquête de Mars

Le 27 septembre sera une date qui restera dans l’histoire. Ce sera le jour où Elon Musk aura présenté* pour la première fois son plan pour transporter sur Mars les hommes désirant y créer un établissement permanent et faire ainsi de l’être humain une espèce multiplanétaire. Nous soutenons sans réserve ce plan qui reprend beaucoup des éléments de l’architecture de mission proposée par Robert Zubrin, fondateur de la Mars Society, dès le début des années 1990 et qui ressemble beaucoup au projet qu’avait élaboré il y a quelques mois Richard Heidmann, fondateur de la branche française de la Mars Society (« Association Planète Mars ») qui d’autre part est ingénieur en propulsion et ancien Directeur Orientation Recherche et Technologie chez SNECMA (concepteur et constructeur des fusées Ariane).

*Au 67ème congrès de l’IAC (International Astronautical Congress) à Guadalajara, au Mexique.

Sur le fond, il s’agit d’envoyer sur Mars le maximum de masse utile au moindre coût et le plus rapidement possible, lorsque cette masse est composée d’êtres humains (problèmes des radiations et de l’apesanteur).

Elon Musk propose un vaisseau gigantesque de 49,5 mètres de haut, placé au-dessus d’un lanceur de 77,5 mètres (l’ensemble constituera ce qu’il appelle un “ITS” (pour “Interplanetary Transport System”); le diamètre est au plus large, de 17 mètres au niveau du vaisseau et de 12 mètres au niveau du lanceur. Ce lanceur monstrueux sera capable de monter 550 tonnes en orbite basse terrestre (les plus gros lanceurs tels que le Saturn V des missions lunaires Apollo ne pouvaient aller au delà de 130 tonnes). Il sera équipé de 42 moteurs Raptor (pas plus volumineux que les Marlin du Falcon 9 actuel de SpaceX mais capable de gérer une pression-chambre  de 300 atmosphères, 3 fois plus élevée que celle du Marlin!), tandis que le vaisseau spatial sera propulsé par 9 moteurs Raptor. La poussée totale sera de 13.000 tonnes (contre 3.500 tonnes pour la fusée Saturn V). Il s’agit de soulever 10.500 tonnes au départ alors que Saturn V ne pouvait soulever “que” 3000 tonnes. Pour alléger le poids au maximum, les réservoirs (c’est une première) seront en fibre de carbone.

L’idée originale d’Elon Musk est de positionner le vaisseau transplanétaire en orbite terrestre de parking sans carburant et sans passager ; puis de remplir les réservoirs par un vaisseau « tanker » identique au vaisseau mais rempli d’ergols, en fait un énorme réservoir ; enfin d’amener les passagers dans un vaisseau taxi. Bien entendu les lanceurs du vaisseaux habitat et du tanker, redescendront sur leur pas de tir, seront reconditionnés puis réutilisés (la réutilisation est un des apports majeurs d’Elon Musk à l’astronautique)

L’ITS, grâce à la quantité d’ergols emportée (méthane brûlant dans l’oxygène), peut rejoindre Mars en seulement 150 à 90 jours (la durée dépendra de la masse hors carburant transportée) au lieu des 180 jours minimum des missions actuelles.

Il se posera sur Mars en entier et à la verticale en utilisant la rétropropulsion à partir d’une vitesse de descente initiale de 8,5 km/s (comme la fusée de Tintin et toujours grâce à la masse énorme d’ergols importée de la Terre). Il est en effet trop lourd pour être freiné par parachute(s). Le retour du vaisseau seul (sans nouveau lanceur car le puits de gravité martien est moins profond que celui de la Terre) se fera avec des ergols produits sur Mars selon la technologie bien connue utilisant la réaction de Sabatier (recommandée par Robert Zubrin en 1990).

Compte tenu de ce système et en supposant bien sûr un grand nombre de vaisseaux (construits, entretenus, renouvelés) en service et réutilisés entre 12 et 15 fois , le coût du transport serait au début de l’ordre de seulement 200.000 dollars par passager (du fait des économies d’échelle). Il pourrait descendre rapidement à 140.000 dollars et à terme à 90.000 dollars. C’est parce que les prix seront bas que l’on pourra aussi compter sur de nombreux « clients ». Après une période assez courte (fin du XXI ème siècle?) la population martienne pourrait atteindre un million de personnes…et parmi eux certains commenceront à regarder encore plus loin (création de dépôts de carburant dans la ceinture d’astéroïdes, pour servir de relais vers les lunes de Jupiter ou de Saturne, Pluton et la ceinture de Kuiper).

Le lancement vers Mars du premier ITS est envisagé pour 2022. Dans l’immédiat SpaceX continue la mise au point du Raptor (première mise à feu réussie) et perfectionne sa capsule Dragon pour la rendre opérationnelle jusqu’à la surface de Mars (premier lancement en 2018 et second lors de la fenêtre de tir suivante, en 2020).

Un seul regret sur le plan astronautique : Elon Musk n’a pas parlé de remédiation à l’absence de gravité pendant le voyage. Richard Heidmann avait pensé comme l’avait préconisé Robert Zubrin, a recréer une gravité artificielle par force centrifuge. En l’occurrence, il faudrait lancer deux ITS en même temps, les relier par un filin et mettre le couple en rotation.

Le sujet du support vie n’est pas abordé non plus. Il faut espérer que l’on fasse des progrès pour qu’il devienne vraiment régénératif (MELiSSA). En l’état de nos connaissances, il devrait cependant être suffisamment performant pour un voyage court comme celui considéré. Une fois sur Mars on peut envisager, en dehors de la régénération naturelle de type MELiSSA, des correctifs chimiques produits sur Mars à partir des ressources martiennes.

La vie de l’homme sur Mars (au delà du support vie, la construction et l’entretien de la base, les transports planétaires) n’est pas non plus considérée. Disons que c’est en dehors de son sujet. Il dit d’ailleurs que son seul but est de rendre possible le transport (sous entendu d’autres devront se poser la question de la vie de l’homme sur Mars et y répondre).

La recherche scientifique n’est pas non plus évoquée. Il faut évidemment espérer que le peuplement de cette terre vierge se fasse avec le plus grand respect possible de l’environnement. Il faudra y veiller mais la rareté sur Mars des matières organiques et de l’eau, forcera à la non dispersion des déchets et à leur recyclage très complet.

Reste le problème du financement. Pour le moment Elon Musk n’a pas de solution précise. Il compte sur le succès de ses entreprises, la possibilité de lever des fonds dans le public et auprès d’investisseurs, au fur et à mesure de la progression positive de son projet. Il pense aussi que les agences suivront après démarrage de l’initiative. Mais de toute façon les sommes ne seraient pas énormes par les temps qui courent. Il les estime « seulement » à une dizaine de milliards de dollars.

Les dés sont jetés. On to Mars !

Image à la Une: “Premier regard sur Mars”. Flottant dans le vaisseau géant qui l’emporte sur Mars, une passagère jette un premier regard sur sa nouvelle planète. Crédit image: SpaceX.

lien vers la présentation d’Elon Musk diffusée sur YouTube (elle commence à la minute 21:55): http://www.spacex.com/Mars

Voir aussi l’article d’Olivier Dessibourg dans Le Temps du 28 septembre 2016, page 10 (sciences).

Images ci-dessous: coupe de l’ITS, crédit Space X. La première image (1) montre le lanceur (77,5 mètres) qui est le cylindre à gauche et le vaisseau spatial (49,5 mètres) qui est la pointe renflée à droite. La deuxième image, en dessous (2), montre le vaisseau après séparation du lanceur. La séparation se fait en orbite terrestre; le lanceur redescend sur Terre où il sera reconditionné et réutilisé; le vaisseau spatial part vers Mars propulsé par ses 9 moteurs Raptor. Il y arrivera après un voyage de 90 à 150 jours. Vous pouvez voir la baie vitrée de “l’image à la une” tout en haut de l’image (2), à la pointe du vaisseau.

(1)

(2)

Quitter la version mobile