Exploration spatiale

Mars, l’endroit le mieux protégé de l’espace, après la Terre

Les radiations (3/4)

Que se passe-t-il une fois sur Mars?

Lorsque l’on réalise que l’organisme humain accumule les radiations reçues (c’est-à-dire qu’il est durablement impacté par elles), il devient évident que l’homme ne peut, aujourd’hui, supporter de voyages interplanétaires plus longs que quelques mois sans dommages, le premier étant d’être privé de pouvoir répéter ces voyages de nombreuses fois. La durée « normale » d’un trajet jusqu’à Mars, six mois environ, est sans doute le maximum raisonnable. C’est un motif important pour ne pas chercher à mener des missions habitées plus lointaines en l’état actuel de nos technologies.

Mais que se passera-t-il une fois arrivés sur Mars ? On le sait assez bien aujourd’hui directement grâce à l’instrument « RAD » (pour « Radiation Assessment Detector ») embarqué à bord du rover Curiosity et indirectement grâce à l’orbiteur MAVEN (de la NASA) qui étudie actuellement la haute atmosphère martienne (entre 6000 et 125 km).

Le premier fait à noter, mais il est valable pour toutes les planètes où l’on pourrait se poser, c’est que la masse planétaire fait écran à la moitié du rayonnement spatial et, la nuit, à la totalité du rayonnement solaire, puisqu’on a cette masse sous les pieds.

La particularité de Mars est ailleurs, dans son atmosphère (de CO2). Elle est équivalente à une colonne d’un poids d’environ 20 g/cm2 (contre 1 kg/cm2 pour l’atmosphère terrestre). C’est peu mais suffisant pour arrêter les particules énergétiques solaires (« SeP ») d’une énergie inférieure à 150 MeV (en fait les particules “normales”). Attention cependant, il ne faut pas oublier que la densité de l’atmosphère varie avec l’altitude et cela est très sensible sur Mars où elle est ténue. Ainsi la pression passe de 611 pascal (0,006 bar) au niveau moyen (« Datum », équivalent du niveau de la mer), à 1150 pascal au fond du plus profond des bassins d’impact (Hellas) et à 30 pascal seulement au sommet du Mont Olympus (21 km au-dessus du Datum).

Malheureusement la planète Mars, contrairement à la Terre, n’a plus de dynamo interne donc pas de champ magnétique global piégeant une grande partie des radiations les plus énergétiques dans l’équivalent d’une Ceinture de van Allen. Elle dispose tout au plus d’une sorte d’ombrelle, l’onde de choc qu’elle génère par la vitesse de son déplacement par rapport au Soleil et, en dessous, d’une zone de concentration de particules magnétisées et ionisées. Ces voiles percés renforcent un peu mais pas beaucoup le bouclier atmosphérique.

Le résultat de ces conditions contradictoires, c’est qu’à l’altitude du Datum et au niveau de la moelle osseuse de l’homme, les résultats en « dose équivalente » de radiations étalés sur la durée normale d’un séjour sur Mars (18 mois) seraient de 12 rem pour le rayonnement galactique, « GCR », (mais de 18 rem à 12 km d’altitude). Il ne faut pas oublier d’y ajouter les doses équivalentes provenant des tempêtes solaires, les « SPE » (constitués de beaucoup de SeP très denses) mais celles-ci ne se produisent que sporadiquement. Pour exemple, le SPE de février 1956 a produit une dose équivalente de 6,6 rem à l’altitude du Datum (mais de 10 rem à 12 km d’altitude) et celui d’août 72 a produit 3 rem à la même altitude (NB : sur un séjour de 18 mois, il est raisonnable de prévoir deux SPE mais on peut en avoir zéro ou trois). Bien entendu on ne parle pas ici des rayons ultraviolets dont on peut se protéger beaucoup plus facilement (par le tissu épais d’un scaphandre ou la simple coque d’un module habitable transportés depuis la Terre, par exemple).

Si on prend en compte le flux normal de GCR (de 180 à 225 micro Gy/jour), on voit que les doses équivalentes totales reçues pour un séjour de 500 jours à la surface de Mars seraient égales aux doses reçues pendant les deux voyages de 6 mois Terre / Mars et Mars / Terre, un peu plus de 0,3 Sievert. On voit bien que ces quantités sont importantes mais acceptables par rapport au plafond fixé par les règles internationales de 1 à 4 sievert sur une « carrière » selon l’âge et le sexe (et au risque de cancer accru de 3%, seulement, qui en est la base). 

Vu sous un autre angle, on peut dire que les rem reçus en surface de Mars (au Datum), ne sont pas supérieurs à ceux reçus dans l’ISS, avec un bémol cependant, la forte force de pénétration des HZE des GCR (à étudier davantage).

Il ne faut pas oublier par ailleurs que le débit de dose (la quantité reçue pendant une durée déterminée) est aussi important que la dose. Autrement dit, un verre de vodka tous les jours pendant un mois n’a pas la même nocivité que la même quantité ingérée dans une seule soirée. De ce point de vue ce sont surtout les SPE dont il faudra se protéger et cela n’est pas trop difficile.

Il est de toute façon intéressant pour les séjours longs de prévoir des protections plus sérieuses que celles des vêtements ou des coques métalliques des modules habitables. A ce stade il y a deux solutions, le régolite martien ou l’eau martienne. Du fait des radiations secondaires (qui résultent de l’éclatement des noyaux atomiques de numéro atomique élevé, les « HZE ») sous l’impact des radiations primaires, l’épaisseur de régolite doit être beaucoup plus grande que celle de l’eau. Il faudrait 2 mètres de régolite ou 40 cm d’eau pour restituer un environnement radiatif de type terrestre. Mais pour les séjours relativement courts (18 mois, entre deux conjonctions des planètes favorables pour un voyage entre Mars et la Terre) on pourrait se contenter de 20 cm de régolite ou d’une dizaine de cm d’eau qui pourraient réduire déjà de 25% les doses équivalentes. (NB: cette observation implique que le sous-sol immédiat -le premier mètre en tout cas- ne contient pas de vie martienne nocive pour l’homme.)

Pour l’eau, cela tombe bien puisqu’on peut assez facilement en obtenir sur Mars (à partir de l’atmosphère ou à partir du sous-sol qui contient souvent de la glace d’eau, ou même des banquises enterrées en nombreux endroits des zones « tempérées » (sans compter les calottes polaires). Ces boucliers ne seraient pas trop difficiles à réaliser. L’eau pourra être stockée dans des sacs en plastique et, pour « profiter » du régolite, plutôt que de l’excaver et de le transporter, on pourrait aussi creuser des habitats dans des falaises ou équiper des cavernes. Evidemment on ne pourra rester tout le temps sous cette protection lourde mais les déplacements en scaphandre ou dans des véhicules en surface ne seront pas très dangereux compte tenu de leurs durées forcément limitées (on peut toujours envisager de se protéger temporairement davantage en cas de SPE).

Enfin, à l’intérieur des habitats, on pourra porter des vestes anti-radiations du type AstroRad de la société StemRad (voir ici mon article à ce sujet). Cela aurait l’effet positif annexe d’ajouter du poids aux personnes et donc de rendre leur réaccoutumance à la gravité terrestre moins difficile. Accessoirement, ce pourrait même devenir un article de mode!

Il faut bien voir que l’environnement radiatif martien est considérablement moins défavorable que celui des autres astres voisins, notamment de la Lune qui ne bénéficie d’aucune atmosphère (et qui est plus proche du soleil).

Mars peut donc bien être considéré comme l’endroit le plus sûr de l’espace en dehors de la Terre.

Lien : http://authors.library.caltech.edu/42648/1/RAD_Surface_Results_paper_SCIENCE_12nov13_FINAL.pdf

Image à la une : vue d’artiste du CME de Mars 2015. La projection de matière coronale solaire atteint Mars. Crédit NASA Goddard Space Flight Center 

légende graphe: mesure sur quelques heures, le 7 août 2012, des radiations en surface de Mars par l’instrument RAD à bord de Curiosity. La moyenne (200) est celle prévalant dans l’ISS soit la moitié des doses absorbées dans l’espace profond. Les pics sont provoqués par des impacts d’ions lourds (HZE). 

Credit: NASA/JPL-Caltech/SWRI

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