Exploration spatiale

«Seul sur Mars» de Ridley Scott mérite-t-il vraiment tous les éloges?

Mercredi 7 octobre sort Seul sur Mars, un film de Ridley Scott d’après le roman d’Andy Weir, avec Matt Damon en acteur principal.

C’est une belle histoire dans l’espace… de laquelle la vraie Mars est largement absente.

Le film a des qualités et aussi des défauts. Je vais d’abord parler des défauts, pour me soulager des sentiments négatifs qu’ils m’ont inspirés et qui ont quelque peu gâché mon plaisir. Le manque de documentation et beaucoup d’incohérences, en fait beaucoup de négligence et de manque de sérieux, nuisent à cette histoire. Il semble, comme c’est hélas souvent le cas, que l’auteur ait recherché le spectaculaire sur fond martien mais qu’il ne se soit vraiment intéressé qu’à l’astronautique (magnifique vaisseau spatial) et à une certaine ingénierie, très peu à Mars. On a en fin de compte un film d’aventure dans l’espace alors qu’on aurait pu avoir, aussi, la découverte d’un monde nouveau dans toute sa vérité, sa complexité et sa richesse. C’est bien, parce que l’histoire a du «souffle», mais ce n’est pas assez et c’est dommage!

Lire aussi la critique du Temps (LT du 26 septembre 2015)

D’abord il est invraisemblable que la base martienne soit détruite par un ouragan. Il y a des vents très rapides sur Mars mais ils ne sont pas forts. Ils peuvent atteindre aisément 200 km/h mais, l’atmosphère étant très ténue, un tel vent ne serait ressenti que comme une douce brise de quelques 20 km/h. L’auteur aurait pu se renseigner sur ce «détail» qui prend une importance énorme dans l’histoire.

Ensuite on ne peut pas dire que la région d’Acidalia Planitia où est implantée la base d’Arès 3 (dont les coordonnées sont de plus, très précises) soit une vaste étendue plate (ce qu’elle est) et nous montrer un paysage très accidenté, genre Monument Valley. Il n’était quand même pas difficile de se référer aux images du relief martien que nous avons maintenant très nombreuses (notamment les photos de la caméra HiRISE sur l’orbiteur MRO dont la résolution est de 30 cm par pixel). A ce propos, la photo ci-dessous se situe sur les bords d’un cratère de Meridiani Planum (les aiguilles de roche au deuxième plan ne font que 2 à 3 mètres de hauteur).

Cratère Spirit of Saint-Louis, photographié par le rover Opportunity (Nasa/JPL-CalTech)

Le fait que le différentiel de pression  soit très important entre les locaux viabilisés et l’extérieur (quelques 700 millibars / 0.7 millibar) est à la fois vu et ignoré ; vu lorsqu’il s’agit d’évoquer des accidents de dépressurisations mais ignoré dans le dessin des volumes des véhicules ou de l’habitat. Ceux-ci devraient être sphériques ou très arrondis. Les angles sont des points faibles qui facilitent les ruptures. Il y en a beaucoup trop dans le film. On n’isolera pas non plus de l’extérieur un volume habitable par un film de plastique tenu par du scotch!

Autre point faible, les cultures. On savait, lorsque le livre a été écrit et le film tourné, que le sol de Mars était couvert de sels de perchlorates. On en a trouvé sur le site de Viking, puis sur celui de Pathfinder et sur celui de Curiosity ; les fameuses coulées saisonnières dont la NASA a beaucoup parlé le 28 septembre, sont aussi des saumures de ce sel. On ne pourra donc faire des cultures dans le sol martien qu’après l’avoir soigneusement nettoyé de cet élément chloré très agressif à l’encontre des molécules organiques.

L’importance des masses

Un des problèmes bien connus des séjours sur Mars est la faible protection de la surface contre les radiations en raison de la faible quantité d’atmosphère et de l’absence de magnétosphère. Certes les radiations ne sont pas plus dangereuses sur Mars qu’à bord de l’ISS (à la différence de l’espace profond) mais on cherchera à s’en protéger et on établira des écrans de protection au-dessus et autour des habitats. Ce problème est totalement ignoré et l’habitat est même doté d’un toit en verrière tout à fait improbable.

Je trouve bizarre qu’à une époque où l’on fait très attention aux dépenses, les premières missions martiennes habitées décrites dans le film soient si généreuses avec les masses utilisées. Pour mener à bien ces missions l’économie de masses sera clef et dans ce roman et ce film, il semble que ce ne soit pas un problème. Et bien si, c’en est un, très important! On apportera un minimum de masse et on utilisera largement l’impression 3D qui permettra de fabriquer sur place, à partir du sol martien, la plupart des structures et objets volumineux. Rien de tel n’est suggéré ici.

Les astronautes après avoir installé la base “Arès 3” dans Acidalia Planitia décident d’aller implanter la même infrastructure, “Arès 4”, dans le cratère Schiaparelli, distant de 3200 km. Ce n’est pas raisonnable ! Lorsqu’on aura, avec de grandes difficultés, créé un environnement habitable, on cherchera à le réutiliser. Pour explorer Mars, ce qui compte c’est d’être sur Mars et de pouvoir commander des robots en temps réel partout sur la planète à partir de la surface de Mars, pas de s’installer ici et là.

Et la pollution?

Après être arrivé sur Mars, on aura le choix entre repartir dans le délai d’un mois ou de rester dix-huit mois au sol compte tenu de la position respective des planètes. Il est étonnant que cette histoire qui se passe dans un contexte ou il y a suffisamment de vivres pour un très long séjour hors de la Terre et où l’on peut cultiver le sol martien, n’envisage pas une mission de dix-huit mois sur place. La rentabilisation d’un voyage aussi coûteux l’imposera.

D’ailleurs pourquoi n’envisager le retour du «cycler» (navette) Hermès qu’après quatre années alors qu’il doit rentrer sur Terre suffisamment tôt pour permettre un nouveau départ lors de la fenêtre de tir suivante (26 mois) ?

…et je ne parle pas de la pollution induite par toute cette histoire. Le héros s’en moque totalement!

Ceci dit.

Les couleurs martiennes (ocre rouge) sont belles, les impressions de solitude et d’éloignement sont bien rendues, le vaisseau spatial Hermès est magnifique, digne de la roue de 2001 Odyssée de l’Espace. L’image de la jolie commandante Melissa Lewis volant dans l’axe centrale du vaisseau, restera comme un des plus beaux moments des films du genre. La nécessité d’équiper le vaisseau avec une centrifugeuse pour créer une gravité artificielle pendant le vol n’est pas oubliée. Et surtout, pour la première fois, il n’est pas question de petits hommes verts ni d’intervention surnaturelle. C’est un très gros progrès pour l’imaginaire des Terriens.

Enfin l’histoire est forte. Elle nous dit que l’Homme doit aller sur Mars s’il choisit l’expansion, l’ouverture, l’aventure, l’avenir au lieu de céder à sa frilosité, à ses peurs et accepter sa mort. Seul sur Mars est l’histoire  d’hommes qui ont choisi la première voie, d’hommes qui refusent de renoncer, pour oser et pour faire. C’est l’histoire d’individus qui se «prennent en main» et qui dans des situations difficiles, ne subissent pas mais décident. C’est pour cela que le film est beau, lumineux et porteur d’espoirs. C’est pour cela qu’il faut aller le voir nous-mêmes et encourager nos jeunes à le faire, pour leur montrer que la vie qui mérite d’être vécue est avant tout une affaire de liberté, d’initiatives et de prises de responsabilités.

A écouter aussi: «Seul sur Mars passé au crible de la science», émission CQFD du 7 octobre, RTS la Première

 

Photo de une tirée de Seul sur Mars © 2015 Twentieth Century Fox.

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