Créer un «hub» technologique: l’exemple de Boston dans le digital health

Lors d’une récente rencontre, un interlocuteur helvète me lança: «sur quoi les politiques se basent-ils pour prendre de telles décisions?» Il y avait effectivement de quoi rester abasourdi par les 500 millions récemment promis par le Gouverneur de l’Etat du Massachusetts Charlie Baker pour le soutien aux sciences de la vie sur les cinq prochaines années. Précisons qu’un milliard avait déjà été engagé depuis 2007. Ces montants laissent pantois.

Quel constat? Boston est LA Mecque dans ce secteur et tient fermement à conserver cette place, qui lui est enviée aux quatre coins de la planète. Beaucoup ont tenté de copier cette fameuse «recette», ce miracle étatsunien. Ne nous leurrons pas: le liant de tous les aspects dynamiques et innovants du Grand Boston (et, par extension, de la Silicon Valley, d’Austin, et j’en passe) sont propres au lieu. Bien évidemment, certains piliers sont nécessaires, on peut citer la qualité de la recherche, le volume d’investissements et d’autres.

Plusieurs conditions cadre favorisent cet engouement général pour l’innovation et l’entrepreneuriat, mais pas seulement.

Quel rôle les politiques jouent-ils afin de permettre cet essor? Dans l’Etat de la Baie, on assiste à une forte convergence de la recherche, des startups, des grandes entreprises, des investisseurs et des politiques, qui donne lieu à un écosystème qui se développe à vive allure. Rajoutez à cela le penchant nord-américain à voir grand et le cocktail explosif propulse la Côte Est sur le devant de la scène. L’effet boule de neige se charge du reste, sans pour autant que les acteurs se reposent sur leurs lauriers. Le résultat est sans appel: c’est ici que cela se passe, la région n’a rien à envier à la Californie.

Prenons l’exemple du «digital health» qui est un des secteurs en plein boom et qui vise à intégrer les évolutions digitales dans le monde de la santé. L’approche du monde politique est multi-sectorielle:

  • Soutien gouvernemental: l’état a multiplié les partenariats public-privé pour encourager les initiatives dans le secteur. Citons par exemple les accélérateurs PULSE@MassChallenge et TechSpring qui ont bénéficié d’un soutien global de 250 000 dollars. Ces laboratoires de l’innovation facilitent l’entremise entre partenaires stratégiques, les talents et les experts dans l’industrie. S’ensuit un énorme gain de temps lors du lancement de projets pilote, ce qui entretient, par voie de conséquence, l’excitation des acteurs dans le milieu. Les politiciens s’entourent de conseillers triés sur le volet qui sont des spécialistes renommés. Cela permet également un meilleur dialogue entre les mondes du privé et du public afin que des initiatives progressistes voient le jour. On crée des mesures incitatives et on enlève les barrières.
  • Activités universitaires: sans talents, la recherche, l’innovation et l’entrepreneuriat ne pourraient pas subvenir à leurs énormes besoins en employés qualifiés. Le Massachusetts partage ce problème avec la Suisse: c’est un des rares états côtiers à assister à un «brain drain». Toutefois, il semblerait que cet exode de têtes pensantes ralentirait, grâce notamment à des projets tels que le MIT Medicine Hackathon, compétition réunissant des spécialistes (médecins, ingénieurs, designers, etc.) issus de domaines variés afin de plancher, un weekend durant, sur des solutions innovantes et disruptives dans le domaine de la santé. Encore une fois, on simplifie l’échange plutôt que de renforcer des comportements de tour d’ivoire.
  • Collaboration entre les acteurs de la santé: bien que les startups actives dans le digital health et les hôpitaux aient en commun le but d’améliorer les soins, les collaborations ne sont pas toujours aisées à mettre en place. Pour remédier à cette situation, prenons l’exemple de l’iHub du Brigham Women’s Hospital. Cette cellule de l’innovation fait partie intégrante de l’hôpital afin de trouver des solutions aux diverses requêtes des médecins, infirmiers et patients. Ces solutions sont soit achetées à des startups existantes, co-réalisées ou alors développées en interne dans leur intégralité. Aussi, les startups extérieures sont invitées à bénéficier des ressources de l’institution en termes de bases de données, de conseils et d’expériences du corps médical et peuvent valider leurs approches, produits et marchés. La transformation numérique peut s’opérer de la meilleure des façons grâces à de telles entités directement implantées au sein des hôpitaux et permet d’accélérer la commercialisation d’idées innovantes dans le secteur.
  • Investissements: bien que les sommes engagées par les venture capitalists soient encore dominées par les projets biotech, medtech et pharma, les investisseurs n’ont pas tardé à diversifier leurs portfolios pour y inclure des jeunes pousses dans le domaine du digital health. En 2015 seulement, 378 millions de dollars ont été investis dans ces startups bostoniennes. En 2016, les accords dans ce secteur totalisaient 966 millions dans le Grand Boston, juste derrière la région de la baie de San Francisco. Tout cela a contribué à créer un formidable élan qui attire de plus en plus d’investissements et favorise l’émergence d’initiatives innovantes dans le domaine.

Au final, les cercles vertueux ne se basent pas uniquement sur les politiques publiques, mais ces dernières peuvent montrer l’exemple et concrétiser mesures qui encourageront à leur tour les autres acteurs de l’écosystème à monter dans le wagon de l’innovation.

L’innovation et ses exponentielles

«Exponentielle» – au même titre que «renouvelable», cet adjectif est devenu nom commun dans le jargon étatsunien de l’innovation. Il désigne les domaines qui ont démontré une évolution vertigineuse, ceux où le maître mot est vitesse. Un vrai raz-de-marée.

Il y a encore quelques années, des technologies émergentes telles que le graphène, la génomique, les robots, la réalité virtuelle, l’intelligence artificielle, etc. prenaient de vitesse la loi de Moore. A savoir que leurs performances relatives au coût (et à la taille) faisaient plus que doubler tous les douze à dix-huit mois. On assiste désormais aux effets de ces mêmes technologies sur les industries, sur les modèles d’affaires ainsi que sur les stratégies d’entreprises.

Lors d’un récent sommet organisé par Singularity University à Boston, Jennifer McNelly, présidente du conseil de compétitivité des Etats-Unis, martèle: «Nous devons investir sur le long terme et se distancer du modèle traditionnel des venture capitalists [qui choisissent systématiquement un retour sur investissement à court terme].»

Ce message est à méditer car le défi est de taille : trouver de nouveaux moyens de financement afin de répondre aux besoins, ainsi qu’au rythme extrêmement soutenu – exponentiel – du développement technologique.

«Nous allons devoir mettre en place de nouvelles mesures incitatives afin de passer de «start-up» à «scale-up» en termes de production industrielle.» rajoute-t-elle. Et celles-ci devront é également être mises instaurées par les politiques.

Les «exponentielles» représentent des opportunités et il est nécessaire de ne pas laisser nos peurs s’y cristalliser. L’animateur radio Tom Ashbrook lançait la semaine passée: «L’innovation : elle n’est pas tout le temps bienvenue mais elle s’invite quand même chez vous.» Conscient de ce constat, il est donc indispensable  de souligner que d’énormes retombées sont à attendre du côté de la santé, de l’éducation, des matériaux, des modèles d’affaires et j’en passe.

Toutefois, il est légitime devant ce tsunami de nouveautés de se demander comment intégrer  de telles avancées dans les entreprises actuelles? La question est pertinente car la nécessité d’assimiler les opportunités qu’offre cette intense période sera la seule façon de se prolonger la durée de vie d’une entreprise. Rappelons un fait, l’espérance de vie d’une grande entreprise dans le fameux «S&P 500» est passée de 33 ans en 1965 à 20 en 1990 et les analystes suggèrent 14 ans en 2026.

Comme le mentionnait Geoff Tuff de Deloitte par rapport à la stratégie que doit adopter une société: «Il est judicieux de méthodiquement prévoir les étapes à suivre afin d’avancer dans ce brouillard d’opportunités.» La marche à suivre suggérée est la suivante:

  • Etudier certaines «exponentielles» liées à son industrie et envisager leurs les conséquences
  • Explorer leurs potentiels
  • Expérimenter avec des prototypes
  • Etre programmatique: le temps est révolu de ne se fier qu’à son inspiration dans le monde de l’innovation.

Pour beaucoup, le défi est colossal et la nécessité d’une plus grande collaboration est primordiale. La Confédération se doit aussi de participer à ces efforts en contribuant à l’accompagnement ainsi qu’au soutien des entreprises dans cette transition brutale due aux exponentielles.

Pour tous, l’important est de ne de pas s’endormir dans l’inaction. Il faut se préparer hic et nunc au chamboulement en cours.