Immobilier, énergie et administration

Le voici le voilà: le troisième volet et dernier rapport (6ème) du GIEC est sorti et se penche sur les aspects économiques pour limiter le réchauffement à 1.5°C à la fin du siècle. Un pic d’émissions repoussé de 2020 à 2025 (demain!) avant qu’elles ne redescendent d’ici 2030. “Il faut une synergie de moyens.” comme le commente Prof. Dominique Bourg dans la Matinale. Frugalité et efficacité énergétiques, innovations technologiques, décisions politiques: rien ne sera assez pour tenter d’inverser le cours des choses.

 

Penchons sur un cas très concret qui démontre tout le paradoxe actuel au niveau local dans le domaine du bâtiment. Un ami m’a récemment transmis un courriel pour me faire part de son désarroi par rapport à la situation kafkaïenne que déplore Marc Muller depuis un certain temps, à savoir notamment le manque de cohérence politique, une administration pléthorique et les forces inertielles des énergies fossiles dans notre société.

 

Au niveau national, selon l’Office Fédéral de la Statistique, les énergies fossiles (mazout et gaz) chauffent près de deux bâtiments sur trois. Le nombre de pompes à chaleur augmente fortement depuis 2000 pour équiper aujourd’hui près d’un bâtiment sur cinq. La crise ukrainienne ne fait qu’accélérer une situation qui est amenée à se tendre au vu des perturbations climatiques déjà en vigueur.

 

Dans le cas qui nous intéresse, le propriétaire (dans une PPE de cinq appartements avec jardins) a mandaté un bureau d’étude en systèmes de chauffage et installations (pompes à chaleur, solaires, etc.) afin d’étudier les différentes pistes pour s’affranchir des énergies fossiles. Les résultats sont édifiants:

 

  • Il serait quasi impossible de faire poser des panneaux solaires en toiture, étant donné que le bâtiment est classé.” Alors que Bâle-Ville passait une loi contraignante l’an dernier (imposer l’installation de panneaux solaires sur tous les toits, privés ou publics, nouveaux ou classés), les administrations de la majeure partie des cantons ne semblent pas vouloir bouger d’un iota pour adapter leurs réglementations. On fait donc l’impasse sur la pose des panneaux colorés tels que ceux de Solaxess? Quand mettra-t-on sur l’efficacité énergétique sur un pied d’égalité avec l’intégration dans le paysage (sans même parler d’habitabilité)?  La Confédération a même mis en ligne un outil pour calculer la quantité d’électricité ou de chaleur qu’il est possible de produire sur un toit. A quand une facilitation des procédures pour la pose de panneaux photovoltaïques ou solaires thermiques? La protection du patrimoine doit se faire un bon intelligence et non pas au nom d’un idéal pâlit au vu de l’impératif climatique.

 

  • La pompe à chaleur air-eau déconseillée car “trop bruyante et inesthétique, ce qui ne manquerait pas d’entraîner des plaintes de la part du voisinage.” De plus, “la géothermie serait très compliquée à mettre en place” puisque des forages devraient se faire sur des parcelles privées et que les coûts associés aux travaux extérieurs seraient rédhibitoires. Et malheureusement, le chauffage n’étant pas au sol (basse température), l’efficacité de tels systèmes ne serait pas optimale. Ne considère-t-on donc même pas de trouver des solutions pour bâtiments d’un certain âge qui sont légion en Suisse (à défaut de raser et reconstruire)? Ne capitaliserait-t-on pas également sur des projets prometteurs tels qu’EnergieÔ (géothermie sur la Côte)?

 

  • Il est suggéré de “prévoir un raccordement au gaz, avec une chaudière à condensation. Cependant, ce projet serait plus onéreux, du fait qu’il faudrait raccorder la chaufferie au gaz.” On oublie: énergie fossile. Certains cantons ont déjà banni ce genre d’installations (p.ex. Fribourg, Glaris).

 

  • L’option la moins onéreuse reste le remplacement de la chaudière actuelle par un modèle à mazout avec à condensation, qui permettrait d’effectuer des réglages plus précis et de ce fait de réaliser des économies sur la consommation de mazout.” On oublie: énergie fossile. Rappelons aussi que les cantons de Zurich, Bâle-Ville et Glaris ont banni ce type d’installations via votation populaire (d’autres s’y préparent).

 

De nombreux propriétaires se reconnaîtront le dilemme dans lequel cet ami se retrouve actuellement. Comme toute la population suisse ne pourrait se chauffer au bois, comment procéder? D’autres solutions existent aussi (biogas, hydrogène, raccord à un réseau de récupération de chaleur d’une usine d’incinération, triple vitrage, isolation, etc.), comment les mettre en place de façon incitative et cohérente?

 

“Malheureusement, les solutions envisageables ne permettent pas de sortir de l’énergie fossile avec un budget raisonnable.”

 

La messe est dite. Le Temps publiait un petit manuel de sobriété énergétique dont tout le monde devrait s’inspirer. Attendons, attendons, ça va bien finir par chauffer.

 

Captage du carbone atmosphérique: la grande inspiration

“L’appel à une sortie de crise sanitaire climato-compatible n’a pas été entendu.”

C’est par cette affirmation, découlant notamment des conclusions du dernier rapport du GIEC, que commence le dernier blog post de Sylvestre Huet, journaliste scientifique indépendant. Les preuves sont irréfutables, comme le démontrent les deux graphiques ci-dessous:

 

Émissions de CO2 dues à la combustion d’énergie et aux processus industriels, 1900-2021

Les émissions mondiales de CO2 provenant de la combustion d’énergie et des processus industriels ont rebondi en 2021 pour atteindre le niveau annuel le plus élevé jamais enregistré (+6% par rapport à 2020 alors que celle-ci enregistrait une baisse de plus de 5% en comparaison à 2019). A noter qu’une baisse équivalente – et par an – pendant trente ans serait nécessaire pour respecter l’accord de Paris sur le climat selon une interview de Jancovici (“Il nous faudrait un Covid tous les ans.“).

 

Variation annuelle des émissions de CO2 dues à la combustion d’énergie et aux processus industriels, 1900-2021

 

La guerre en Ukraine rajoute une pression supplémentaire sur le prix du gaz qui avait déjà commencé à exploser. Conséquence: un report de la production d’électricité vers du charbon, encore plus émissif en CO2, notamment aux Etats-Unis et en Europe.

 

Pour rajouter une énième “première” ou “record” (selon), l’Antarctique est également passée en mode printemps à la vitesse grand V avec des températures enregistrées de +38°C par rapport à la moyenne…

 

 

Alors malgré ces nouvelles alarmistes, intéressons-nous aujourd’hui à une technologie en plein essor, à savoir le captage direct de CO2 atmosphérique. La société suisse Climeworks faisait notamment la une de WIRED avec l’inauguration de son usine Orca en Islande. Les chiffres ne font cependant pas encore rêver: une belle dépense énergétique pour retirer l’équivalent de 4’000 tones de CO2 présent dans l’air, soit l’équivalent de moins de 1’000 voitures par an. Une broutille, mais l’entreprise promet évidemment des progrès futurs, pendant que les journalistes du monde entier prennent l’avion pour aller voir cette première usine.

 

Moins médiatisée mais innovante à souhait, l’américaine Verdox annonçait un tour de financement de $80mio pour développer son système de capture électrochimique pour éliminer le CO2 de l’atmosphère ainsi que des sources d’émissions industrielles. Affaire à suivre.

 

Récemment, The Conversation publiait un entretien de l’un des pères du mouvement de captage de CO2 atmosphérique, le Prof. Klaus Lackner, Directeur du Centre pour les Emissions Négatives de l’Université de l’Etat de l’Arizona.

 

“Il y a tellement de CO2 dans l’atmosphère aujourd’hui que la plupart des scénarios montrent que l’arrêt des émissions ne suffira pas à stabiliser le climat – l’humanité devra également éliminer le CO2 présent dans l’air.”

 

Comme il le souligne, toutes les émissions ne proviennent pas de sources importantes telles que les centrales électriques ou les usines (où le CO2 peut être directement capté à la sortie). L’autre moitié des émissions, celles des voitures, des avions, de l’agriculture, des systèmes de chauffage, etc. doit aussi être prise en compte. Cela signifie qu’il faut extraire le CO2 de l’air et cela n’est pas chose facile car les molécule sont très diluées dans l’air bien que leur concentration augmente depuis de nombreuses années. Cependant, comme ce gaz se mélange rapidement dans l’air, peu importe depuis où on le retire.

 

Ce qui est une bonne nouvelle: on peut l’extraire près de là où on compte le stocker. Par contre, il est nécessaire de réfléchir à une solution à long terme pour éviter de cacher cela au chat pendant seulement quelques dizaines d’années et laisser un cadeau empoisonné aux prochaines générations (si le gaz venait à se désorber des roches dans cinquante ans p.ex.).

 

National Academy of Sciences

 

Les défis de la recherche se portent principalement sur deux gros postes énergivores, à savoir le fonctionnement des ventilateurs (pour aspirer l’air) ainsi que le chauffage pour extraire le CO2. De plus, quid du stockage? L’attention se porte sur une forme de séquestration sous forme de roche. En effet, le CO2 est un acide et certaines roches sont basiques. Lorsque le CO2 réagit avec des minéraux riches en calcium, il forme des carbonates solides. En minéralisant le CO2 de cette manière, il est possible de le stocker de façon permanente et en quantité quasi illimitée. Il faut également considérer d’utiliser le CO2 pour “boucler la boucle” du cycle carbone, ce qui signifie que le CO2 est capturé et réutilisé à nouveau pour éviter de produire davantage de “nouveau” CO2 (comme p.ex. produire des carburant synthétiques).

 

Prof. Lackner aborde aussi brièvement les dynamiques du marché:

 

“Ce dont vous avez vraiment besoin, c’est d’un cadre réglementaire qui stipule que nous exigeons que le CO2 soit éliminé, et alors le marché passera de la capture de kilotonnes de CO2 aujourd’hui à la capture de gigatonnes de CO2.”

 

Il suggère entre l’autre l’idée de compensation 1:1 entre ce qui est extrait et ce qui est séquestré: pourquoi ne pas s’assurer que la balance soit respectée? Si tout le carbone est certifié dès qu’il sort du sol, il est plus difficile de tricher et chaque entreprise extractrice est tenue de rendre des comptes. Autre signal encourageant est que certaines entreprises telles que Microsoft ou Stripe sont disposées à acheter des crédits carbone et des certificats pour éliminer le CO2 à des prix assez élevés (ou serait-ce du greenwashing pure et simple?).

 

D’ici-là, polluons! Nous savons si bien le faire.