Le couperet tombe sur les blogs du Temps – ciao!

Le 3 mai dernier, après un an de silence radio, Le Temps informait les contributeurs des blogs de sa plateforme que cette dernière allait tout bonnement cesser d’exister dès le 1er janvier 2024. La décision tombe sans crier gare, annoncée comme un faux-semblant printanier via un courriel signé par l’Éditeur et administrateur-délégué Tibère Adler ainsi que la Rédactrice en chef, Madeleine von Holzen.

 

Après des remerciements liminaires du bout des doigts, les instances dirigeantes du quotidien se hasardent à expliquer leur décision en plusieurs points. Ceux-ci sont repris ci-dessous puis commentés.

 

  • Notre média et son environnement sont en constante évolution. Nous remettons régulièrement en question notre stratégie. Dans ce cadre, nos réflexions sur les aspects de diffusion des contenus, d’interactivité avec le public et de technologie nous ont conduits à décider l’arrêt de l’hébergement de blogs sur une plateforme fournie par Letemps.ch.

 

La stratégie générale n’est pas communiquée, il est donc difficile d’argumenter sur le bien-fondé de la décision. Il va de même pour les réflexions qui ne sont pas partagées. La constante évolution des médias ne date pas d’hier et il serait intéressant d’en apprendre plus sur les observations qui ont été faites, les leçons qui ont été tirées ainsi que les choix qui ont été faits afin de mieux saisir ce qui se cache sous une phrase somme toute très vague.

 

  • En termes de communication personnelle, internet et les réseaux sociaux offrent désormais d’immenses possibilités d’expression (souvent gratuitement) à tout un chacun, vous y compris. De nombreuses plateformes, dont WordPress, offrent la possibilité de publier sous forme de blogs. Un blogueur en 2023 peut s’exprimer et trouver son public sans devoir nécessairement s’appuyer sur un média.

 

Avec la cacophonie de nouvelles doublée d’un avènement d’intelligences artificielles (p.ex. génératives comme Bard et ChatGPGT), le gage de qualité des blogs sur cette plateforme confère à ses auteurs une certaine audience qui n’est pas aisément reproductible, comme il est insinué, par d’autres moyens (à noter que WordPress est un outil et non une plateforme en soi). Il est évident que tout un chacun peut sans difficulté créer son compte Medium, envoyer une newsletter avec Substack ou créer ses capsules audios ou vidéos mais rien ne garantira de trouver un écho dans la jungle médiatique des années 2020. Écrire sans être lu est le propre d’un journal intime, pas d’un blog.

 

  • Par contraste, la diffusion de blogs externes sous son nom, mais sur une plateforme externe, n’est plus une formule appropriée pour un média en 2023, en tout cas pour Le Temps. La formule crée de l’ambiguïté: le blogueur est en principe seul responsable du contenu, mais Le Temps est quand même interpellé comme responsable de la diffusion. Le Temps préfère désormais assumer directement et pleinement la responsabilité de tous les contenus diffusés sous son nom.

 

Depuis le début, le journal a sélectionné les contributeurs au cas par cas et ce dans une optique de garantir une certaine qualité, un rythme de contribution (éviter les coquilles vides silencieuses) ainsi qu’une pluralité de perspectives. Il me paraît trop facile de se désolidariser d’une base fidèle qui, en plus d’une lecture assidue et de longue date du quotidien, se double d’une action contributrice au débat généré aussi bien par les journalistes du Temps que par la société. N’oublions pas les récurrentes mentions de bas de page sur les articles périodiques de contributeurs invités qui indiquent que les opinions évoquées ne reflètent pas la position du Temps. Pourquoi ne pas faire la même chose avec les blogs si tel est un souci? Il faut également rappeler que les commentaires doivent être approuvés par les auteurs des blogs avant d’apparaître et qu’une modération est donc possible. Les lecteurs et les contributeurs manqueraient donc d’esprit critique pour laisser croire que le Temps est seul responsable de tous les contenus des blogs sur son site? Surprenante perception…

 

Mention de bas de page à la fin des articles de contributeurs invités

 

  • Le meilleur des blogs actuels, de bon niveau et intéressant le public, gagnera à l’avenir à être diffusé directement sous le nom du Temps, dans sa partie rédactionnelle. Dans d’autres cas, certains blogs ne remplissent pas les critères déontologiques ou d’intérêt que nous privilégions, d’autres sont trop peu actifs, d’autres encore n’ont jamais trouvé leur public. Enfin, le maintien d’une plateforme de blogs exige un important travail de modération des commentaires, pour des contenus dont Le Temps n’assume pas la responsabilité, ce que nous ne souhaitons pas poursuivre.

 

Qui est donc le ou la meilleur-e plume des blogs actuels? Aucun critère n’est mentionné et cela s’apparente à une décision purement subjective. S’agira-t-il du blog qui génère le plus de trafic? le plus de commentaires? qui est le plus republié? En effet, quelles métriques ont été utilisées pour choisir l’heureux-se élu-e? De tout temps, le journal pouvait faire le ménage dans les blogs de sa plateforme s’il estimait qu’un recentrage était nécessaire. Mais rien – ou si peu – a été fait.

 

  • Nous sommes conscients de l’impact que cette décision peut avoir pour vous. Nous tenons à vous assurer que cette décision n’a pas été prise à la légère et que nous avons évalué soigneusement toutes les options possibles.

 

Un sondage avec les contributeurs aurait pu lancer le débat, ce qui aurait eu le mérite de partager aussi bien les points de vue de la rédaction que ceux des contributeurs. Hors, rien de tel n’a été entrepris.

 

  • Merci infiniment pour votre engagement et vos contributions, parfois depuis longtemps. Merci également de votre compréhension. En espérant pouvoir vous retrouver à l’avenir au sein de la communauté du Temps, nous vous présentons nos meilleures salutations.

 

Non, je vous accorde pas ma compréhension. Espérez tant qu’il vous plaira! Désormais, il n’appartient qu’aux dirigeants du Temps et à ses journalistes de nous convaincre que la communauté en question saura nous satisfaire dans notre soif d’informations et l’exercice de notre esprit critique. Ambassadeur engagé jusqu’à présent, vous me trouvez désormais interrogé par une telle décision qui ne laisse pas de place à la discussion comme cela a pu être le cas par le passé. Vous mentionnez une autre vision qui se passerait d’ambiguïté selon vos mots: quel dommage de se priver d’une énième zone grise qui favorise l’échange dans la nuance, le respect, l’ouverture d’esprit et l’esprit critique.

 

À n’en pas douter, cette décision interpellera plus d’une personne et pas seulement chez les contributeurs dont je fais partie. À noter que la motivation première n’est pas de profiter d’un quelconque retour d’avantages, mais bel et bien de participer au débat public tout en partageant à qui veut bien nous lire des idées, arguments et opinions qui permettent de parfaire son esprit critique par l’écriture, la lecture et l’interaction qui en découle parfois. Aussi, les blogs complémentent à merveille les sujets que tous vos journalistes ne peuvent traiter et s’inscrivent à mes yeux dans votre volonté affichée de faire de votre journal le lieu privilégié de l’échange d’opinions.

 

Votre nouvelle mouture – où un seul blog non identifié aura eu grâce à vos yeux – reste à découvrir. Votre choix semble être malheureusement fait et sans appel. Je déplore cette porte fermée sans crier gare.

 

Philippe Labouchère

 

NB: les derniers articles peuvent être postés jusqu’au 30 juin prochain et l’espace blog sera fermé le 31 décembre de cette année.

 

9 réponses à “Le couperet tombe sur les blogs du Temps – ciao!

  1. Peut-être le plus regrettable est cette disparition soudaine des chemins de traverse que sont (qu’étaient ?) les blogs du temps….et qui sait…leur lecture…restée gratuite?
    On ne sait si la gêne est provoquée au final par l’aspect économique ou par des conflits de loyauté relatifs aux sujets traités (?) ….qui ne disent pas leur nom….. et/ou à une conception devenue plus linéaire de la société….
    A la lecture des propos du Temps’ on a l’impression qu’il faudra dorénavant que les blogueurs soient dehors ou dedans…ce qui signe une incapacité à tolérer plus avant l’espace intermédiaire de jeu pour la pensée, et pour les lecteurs de blogs, mais peut-être la politique du Temps s’est modifiée dans le temps, et qu’aujourd’hui, par l’absence de dialogue et de concertation avec les blogueurs, elle le fait savoir.
    Pour les lecteurs, il s’agit d’un deuil beaucoup plus important à faire que celui de simples ‘contenus’. Et c’est la représentation du journal qui en est endommagée.

  2. Je vais résilier mon abonnement !
    Je m’étais abonné à 5 blogs. J’en lisais beaucoup plus. Et justement ils nous permettaient d’élargir nos connaissances sur des thèmes divers.
    Merci de l’info !

    1. bonjour; j’ai résilié mon abonnement à Médiapart après l’arrivée de Macron à l’Elysée, et depuis les articles dézinguant le Pr Didier Raoult qui dirigeait l’IHU de Marseille; il n’y a plus de médias libres en France, sinon France Soir, entre autres; ainsi la presse mainstream s’élargit et le Journal Le Temps s’y aligne ! Le confort éditorial du Temps s’élargit enfin, car s’était bien drôle de lire Suzette Sandoz et de voir s’agiter votre sémillant Alain Berset; observons l’actuelle mode pro UE, alors qu’Ursula Von der Layen est en passe d’avoir porter de fameuses casseroles….

  3. Merci de cette information Cher Philippe.
    C’est dur à avaler.
    C’est une décision brutale un peu à l’image de tout ce que nous vivons ces temps.
    La place à l’échange fond comme nos glaciers!
    Dommage j’appréciais tout ce que tu apportais comme sujet de réflexions
    Merci pour tout

  4. Vous avez raison. Les “arguments” avancés pas la direction du “Temps” sont tout sauf convaincants. On sent bien qu’il doit y avoir une autre raison (ou d’autres raisons) derrière cette décision abrupte et non concertée avec les principaux intéressés (lecteurs compris). Comme on dit: “Quand on veut noyer son chien, on dit qu’il a la rage”! Je suis persuadé que, le “Temps” va perdre pas mal de lecteurs dans cette “aventure”; et après on viendra encore pleurer sur les difficultés de la presse, remplacée par les réseaux sociaux (vers lesquels le “Temps” lui-même semble vouloir diriger ses lecteurs)!

  5. Je suis de ceux qui pensent que la direction du Temps veut passer en force sur une ligne idéologique uniforme et dure, pro guerre en Ukraine, pro adhésion de la Suisse à l’UE (ou accord cadre institutionnel d’assujettissement de la Suisse), pro pharma, pro vaccin, pro pass sanitaire, pro surveillance de masseetc. C’est à dire une ligne de propagande et même de propagande de guerre. Les voix discordantes doivent être bannies.

    Il y avait parmi les blogs quelques voix discordantes par rapport à ce programme. La plus connue est celle de la valeureuse madame Suzette Sandoz, qui n’a plus vingt ans et qu’il était impossible de censurer car cela aurait signifié exclure toute la bourgeoisie libérale de doite de Suisse romande, qui doit bien faire encore le fond de la clientèle des abonnés de l’ancienne Gazette de Lausanne et Journal de Genève. Toute cette clientèle reste abonnée pour deux raisons: Suzette Sandoz et la feuille des morts, car ce sont des gens âgés qui ont besoin de savoir où et quand seront “ensevelis” les gens qu’ils connaissent. Et leurs enfants, en vieillissant, conservent le même réflexe. C’est un fond de clientèle sociologique.

    Suzette Sandoz n’a jamais mis d’eau dans son vin. Elle a toujours fait preuve de courage pour défendre la famille traditionnelle, la liberté vaccinale et concernant l’Ukraine, elle n’a jamais cédé à l’ivresse belliciste du Temps. En plus, comme elle était la seule à défendre ces positions, toujours de manière correcte et courtoise, elle avait un succès boeuf et des centaines de commentaires, la plupart enthousiastes, quelques uns critiques et même insultants, qu’elle publiait tous bravement.

    Une autre contributrice, Solange Ghernaouti, s’attaquait tout en finesse, à la société de surveillance et de traçage généralisé qui est à l’agenda de l’establishment. Elle gênait donc aussi, mais moins que madame Sandoz.

    Le Temps était donc confronté à un dilemme: comment faire taire Suzette Sandoz, sans paraître la censurer? Finalement ils ont décidé de fermer tous les blogs d’un coup. Comme ça le problème est réglé.

    Ils proposeront sans doute à quelques uns des contributeurs, ceux qui sont idéologiquement conformes, de continuer à publier, mais cette fois dans les colonnes rédactionnelles. Bref, c’est un formattage idéologique. Les mal-pensant seront exclus.

    C’est très dommage et manifeste un esprit excessivement mesquin. En tant que journal, Le Temps bénéficiait énormément du fait d’héberger un espace de liberté dans lequel pouvaient s’exprimer, sans engager la rédaction, des vues contradictoires et même parfois opposées à celles de la rédaction laquelle est sur une ligne en réalité très impopulaire dans l’opinion.

    Chaque contributeur s’exprimait sous sa responsabilité personnelle, donc le journal n’était pas compromis par les propos dissidents. Tant qu’il n’y avait pas de propos tombant sous le coup de la loi (et ça n’est jamais arrivé) rien ne pouvait être reproché au Temps.

    Mais voilà, ça les empêchait de dormir que des gens puissent exprimer des vues opposées à leur doxa progressiste, belliciste, woke et vaccinale. Avec un zèle digne de Torquemada, ils ont décidé de faire la police de la pensée.

    Il leur restera un problème Suzette Sandoz. Lui interdire de publier dans les colonnes du Temps serait un choix à haut risque, pour les raisons expliquées plus haut. Mais lui laisser une tribune libre dans les colonnes du Temps est impossible à avaler pour des zélotes progressistes comme eux.

    Je m’attends à ce qu’ils lui proposent, à contrecoeur, de publier des billets, mais avec un statut spécial: “Dans cette rubrique Le Temps donne la parole à des personnalités dont les opinions n’engagent qu’elles-mêmes et non la rédaction du Temps”.

    Mme Sandoz, si vous acceptiez une telle chose, vous me décevriez beaucoup.

    1. Le Temps fait le ménage dans ses colonnes ! Dommage que ce journal mainstream s’aligne sur ses confrères du même bord; j’adorais les écrits de Suzette Sandoz, portrait physique tout craché de ma mère; Simone de Beauvoir et Gisème Alimi, l’actrice qui dézinguait la ministre à la condition féminine crée par Chirac, toutes ces femmes gênent un max ces messieurs de la Haute, désireux de gérer le monde à leur guise ( à Davos). un blog a traité de l’allaitement en public; réaction outrée de quelque papy Mougeot à qui j’adressais toute mon empathie car cet homme ne supportait pas que les femmes en viennent à n’en faire qu’à leur tête ( au fait j’ai oublié ma résa au bordel) …Je contacterai le journal Le Courrier; peut-être quelque blogs à découvrir, gratuits; je n’ai pas 20€ dispos mensuellement .

    2. Vous fantasmez totalement: le Temps ne se vend plus. On peut lire les même titres sans dépenser un sous.

      Le niveau de ce journal s’est effondré. Exemple d’article du jour: “Contrairement aux idées reçues, les capsules de café ne sont pas une aberration écologique”

      Donc acheter son café au kilo serait plus polluant ? Etude “scientifique” à l’appui ?

      Ce journal ne vaut plus un clou et sa clientèle est partie ailleurs ainsi que dans les réseau sociaux.

      Les blogs quels qu’ils soient apportaient une richesse (gratuitement) et de l’audience. Leur fin va contribuer à affaiblir ce quotidien.

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