OMEGA met la barre de la chronométrie encore un cran plus haut

La marque phare du Swatch Group, Omega, annonce qu’elle met la barre encore plus haut en termes de chronométrie[1] avec une tolérance de 0/+2 secondes par jour sur ses mouvements mécaniques équipés de l’échappement co-axial[2]. Ce tour de force en termes de précision est réalisé grâce à un nouveau système de réglage du spiral en silicium et qui porte le nom de « Spirate ». Ce dispositif permet un réglage diaboliquement performant – permettant à l’horloger de régler le point d’attache du spiral sur le pont de balancier – du cœur de la montre permettant d’obtenir une précision de marche jamais atteinte pour un mouvement de série industrialisé.

Pour situer le débat, cette tolérance de déviation de marche de 2 secondes par jour est deux fois plus précise que celle admise par Rolex – +2/-2 secondes par jour = 4 secondes d’écart journalier – qui revendique pourtant un label « superlative chronometer officially certified ». Ce label qui est plus un terme marketing, car le « officially » fait référence uniquement à la certification du mouvement et non pas la double certification (mouvement et tête de montre) qui elle est faite en interne, est une valeur cardinale de la marque à la couronne.

Et par ailleurs il faut comparer les 2 secondes d’écart revendiquées par Omega avec les 10 secondes par jour admises par la norme ISO 3159 que le COSC (bureau officiel suisse des chronomètres) certifie.

Balancier spiral “Spirate” avec un spiral en Si14 et un système excentrique de réglage du point d’attache du spiral

 

Pourquoi la chronométrie devrait être un sujet pour les marques horlogères

La précision de marche d’une montre mécanique n’est certainement plus un sujet d’une importance absolue depuis 1969, année de lancement de la première montre bracelet quartz par Seiko. Le quartz a permis de supplanter la précision du mouvement mécanique le plus précis par un facteur d’au moins 10[3].

Autrefois les concours de chronométrie permettaient aux marques horlogères de prouver leur maîtrise de la mesure du temps et pour certaines de se déclarer « maître chronométrier ». Aujourd’hui ce sont quelques rares marques – et pas forcément uniquement celles que l’on attendrait sur ce terrain – qui se positionnent dans ce domaine d’excellence mécanique.

Beaucoup de prétendants peu de certifiés

Beaucoup de marques prétendent à l’excellence chronométrique peu le prouvent au-travers d’une certification officielle comme le COSC (contrôle officiel suisse des chronomètres) qui certifie uniquement le mouvement ou d’autres instances comme par exemple l’Observatoire Chronométrique de Genève ou l’Obervatoire de Besançon qui certifient la précision de marche d’une tête de montre (mouvement emboîté) et non plus uniquement le mouvement. La plus-value de ces tests – à part le fait de prouver que vous faites réellement de la chronométrie et pas seulement du marketing – est un joli fascicule qui est un bulletin de marche de chronométrie calligraphié qui accompagnera la montre.

Bulletin de marche de chronométrie de l’Observatoire de Besançon pour un tourbillon de la maison Laurent Ferrier

On peut donner du crédit à des petites marques de niches comme Laurent Ferrier ou Akrivia qui ne font certes pas certifier l’entier de leur production, mais qui se donnent les moyens d’obtenir des bulletins de marche de chronométrie à l’Observatoire de Besançon si le client le souhaite.

On peut déplorer le fait que le terme de « Chronomètre » n’est pas protégeable légalement – car générique – et que certaines marques abusent de ce label. Zenith – qui se revendique championne historique de la chronométrie – a par exemple commercialisé une montre avec la maison de ventes aux enchères Phillips qui bien qu’étant dépourvue de tout certificat de chronométrie mentionnait sur le cadran « Chronomètre » et « Observatoire ». Pour essayer de lui donner une caution morale on a associé l’artisan horloger Kari Voutilainen qui en a décoré le mouvement.

Ou encore un grand prix d’horlogerie de Genève 2022 décerné dans la catégorie « Chronométrie » à un tourbillon Grand Seiko (par ailleurs magnifique et techniquement abouti) dépourvu lui aussi de tout certificat officiel de chronométrie.

Une certification d’excellence manufacturière et de tradition horlogère : le poinçon de Genève

Timelab à Genève propose une certification qui mélange des aspects de bienfacture (la décoration des mouvements), l’origine des composants (le canton de Genève) et le respect de certains principes de construction des mouvements mécaniques horlogers. Les têtes de montres sont aussi testées par rapport à leur précision de marche et la déviation ne doit pas dépasser la minute en 7 jours soit 8,5 secondes par jour ce qui est plus exigeant que la norme du COSC.

On peut déplorer le fait que très peu de manufactures se donnent la peine de se conformer à cette procédure assez contraignante : Chopard pour ses montres L.U.C, Roger Dubuis ou encore Vacheron Constantin. Elles ont d’autant plus de mérite de le faire qu’elle permette de maintenir une tradition porteuse d’excellence dans le monde en acceptant de produire, assembler et régler les gardes-temps certifiés dans le canton de Genève.

Le graal de la précision chronométrique : une double certification le « master chronometer »

La certification ultime étant celle où l’on certifie le mouvement par le COSC, puis la tête de montre. Et là les marques ne sont plus qu’au nombre de deux à passer une procédure de certification contrôlée par un organe officiel qui est le METAS (Institut fédéral de métrologie) : OMEGA et Tudor (marque sœur de Rolex) et qui leur décerne le label « master chronometer » après une procédure de tests suivant un protocole et des normes techniques et qui concernent :

  • La certification du mouvement du mouvement par le COSC

Puis une batterie de 8 tests – selon un protocole établi par le METAS – qui vont faire subir à la montre une multitude de chocs magnétiques (le magnétisme est présent partout à travers nos portables, etc.), de changements de positions pour simuler le porté de la montre au poignet (la gravité terrestre a une incidence négative sur la précision de marche) et de changements de températures. Pour finalement vérifier son étanchéité et certifier la précision de marche.

Une marque a toujours revendiqué l’excellence chronométrique

Rolex a eu très tôt l’intelligence marketing d’inscrire le terme « superlative chronometer officially certified » qui en soit constitue déjà un concept marketing plus qu’un label officiellement certifié. En effet chaque mouvement Rolex – la marque fabrique exclusivement des mouvement mécaniques – passe la certification de chronométrie auprès du COSC*. Chaque montre subit en interne une deuxième certification de chronométrie qui atteste de la précision de marche sur la tête de montre et non plus du seul mouvement. En soi ceci représente une exigence déjà nettement plus élevée que la seule certification du mouvement en instaurant une double certification.

Les critères de certification retenus par Rolex sont beaucoup plus exigeants que celles du COSC avec une déviation de marche de maximum +2/-2 secondes par jour ce qui fait 4 secondes d’amplitude maximale. Le COSC admet +6/-4 secondes – équivalents à 10 secondes par jour – selon une norme ISO 3159 qui définit très précisément les mesures et les résultats à atteindre pour obtenir le sésame de « chronomètre ».

Seul petit bémol : Rolex soumet uniquement le mouvement à un organe de contrôle officiel qui est le COSC, mais procède aux autres tests – qui sont calqués sur la procédure de contrôle mise au point par Omega avec le METAS – en interne. Ce qui lui enlève une légitimité officialisée par une instance étatique.

Nouvel enjeu pour Rolex face à Omega

 Dans une démarche très provocatrice, Rolex avait lancé en mai 2021 – longtemps après Omega en 2015 – la certification « master chronometer », mais uniquement pour Tudor, sa marque B. Ce qui peut sembler banal était en fait une provocation destinée à l’attention d’Omega et du Swatch group qui voulait dire : Rolex n’a pas besoin d’un sceau officiel pour prouver sa suprématie revendiquée – mais non officialisée – la certification du Master Chronometer étant déjà à la portée de la petite sœur.

Presque deux ans plus tard il n’y a qu’un seul modèle de Tudor qui est certifié Master Chronometer et on peut se demander si cette certification n’avait pour but unique de vouloir prouver à la marque concurrente de Rolex que son excellence chronométrique officiellement certifiée n’était pas aussi exceptionnelle. Sauf que … OMEGA fait certifier 95% de ses mouvements mécaniques (dont 99% sont équipés d’un échappement co-axial) soit 500’000 montres labelisées « Master Chronometer » et le solde étant certifié COSC. Ce qui représente une tout autre performance horlogère et industrielle que les quelques milliers (est. < 5’000 pièces) de montres certifiées par Tudor.

Le défi est lancé et il sera intéressant de voir comment la marque à la couronne va le relever !

 

Speedmaster Super Racing dotée du calibre co-axial master chronometer 9920. Prix public CHF 11’000

 

For the english version : https://watchesbysjx.com/2023/01/omega-spirate-hairspring.html

[1] Pour éluder tout malentendu, un chronomètre est selon le Larousse une « montre de précision réglée dans différentes positions et sous des températures variées, et ayant obtenu un bulletin officiel de marche ». Un chronographe est une « montre de précision, munie d’un compteur qui permet de mesurer et d’afficher des intervalles de temps ». Et pour compliquer le tout un chronographe peut être chronomètre, mais un chronomètre n’est pas forcément un chronographe.

[2] Echappement inventé par l’horloger anglais Georges Daniels et breveté en 1980 et mis au point puis industrialisé par Swatch Group pour sa marque OMEGA et présenté à Baselworld en 1999.

[3] la certification de chronométrie – selon la norme ISO 3159 – par le bureau officiel suisse des chronomètres (COSC) exige des mouvement quartz une déviation maximale de 0,14 s/jour, alors qu’un mouvement mécanique peut se permettre 10 s/jour (+6/-4 sec. /Jour) de déviation, soit un facteur 70.

 

Une marque renaît de ses cendres avec un magnifique coup de pub, nom de code “MoonSwatch”

Swatch et OMEGA ont réussi ensemble un coup de maître en réalisant une collaboration, dont les deux marques tirent profit, en lançant la MoonSwatch. Le nom du produit est la contraction du produit iconique d’Omega – la Speedmaster Professional rebaptisée Moonwatch depuis l’alunissage en 1969 – et Swatch icône du renouveau de l’horlogerie suisse dans les années 1980. Le lancement de cette nouveauté a créé un engouement que la marque n’avait plus connu depuis les années 1990 et ses séries limitées en formes de légumes qui avaient suscité les passions des acheteurs à tel point qu’ils passaient la nuit devant les points de vente pour être les premiers lors de l’ouverture.

Le 26 mars de cette année les mêmes scènes se sont reproduites presque partout dans le monde avec des files interminables devant les 110 magasins sélectionnés pour vendre cette nouveauté. Selon la taille et l’emplacement du magasin l’allocation était de 100 à plus de 1’000 montres, mais l’achat limité à deux pièces par client puis par la suite à une pièce.

 

Lire également : https://www.letemps.ch/economie/retour-folie-swatch 

L’histoire se répète… en sens inverse

Petit client d’œil historique : dans les années 1980 Swatch a sauvé l’industrie horlogère suisse – et notamment sa marque sœur OMEGA – en prouvant qu’il était possible de fabriquer un produit en Suisse à un prix extrêmement compétitif avec un look branché et les codes d’une marque disruptive. Swatch a vendu plus de 20 millions de montres par année quand elle était au zénith de sa trajectoire fulgurante et approximativement 700 millions au total depuis son lancement. Ce chiffre est descendu cependant à 3 millions de pièces vendues annuellement ces dernières années et un chiffre d’affaires estimé à un peu plus de CHF 200 millions, mais surtout une perte estimée à CHF 150 millions annuellement (estimations Morgan Stanley x LuxeConsult sur la base des ventes 2021). Ces chiffres sont à mettre en perspective avec une industrie qui a exporté moins de 16 millions de montres l’année passée (15,75 millions selon les statistiques douanières).

Swatch collection “one more time” 1991 x Alfred Hofkunst

Aujourd’hui l’association de Swatch et OMEGA permet à la première de reprendre son envol en s’appuyant sur la légitimité de la seconde. A quarante ans d’intervalle l’histoire se répète en sens inverse et cette MoonSwatch – vendue CHF 250 en boutique – va probablement permettre à Swatch – marque structurellement déficitaire depuis de nombreuses années – de revenir dans les chiffres noirs. Et à OMEGA de recruter une clientèle plus jeune qui ne connaît pas encore forcément sa montre iconique. La hausse de fréquentation dans les boutiques Swatch – seules certaines des boutiques gérées en direct par la marque sont autorisées à vendre la MoonSwatch – et dans les boutiques OMEGA pour découvrir la montre originale semble prouver que l’équation est réussie pour les deux marques.

 

Une nouvelle famille de produits pour Swatch

collection MoonSwatch

Swatch est une marque qui vit de couleurs et de déclinaisons produits. La MoonSwatch honore cette tradition en proposant 11 modèles qui incarnent chacun une mission, la plus emblématique et la plus convoitée aussi, étant la « Mission to the Moon » qui est la copie exacte dimensionnelle et visuelle de la Speedmaster « Moonwatch ». La grande différence étant bien sûr la motorisation avec un mouvement quartz pour la MoonSwatch et un magnifique mouvement chronographe mécanique à remontage manuel pour la Moonwatch. L’autre particularité de cette nouvelle Swatch est que le matériau utilisé est bio-compatible en utilisant de la biocéramique pour le boîtier qui est en fait un mélange d’un plastique bio-sourcé d’une huile végétale – le ricin – pour un tiers et de deux tiers de céramique conventionnelle.

 Ce qui est intéressant dans ce contexte est le fait que Swatch avait lancé un an auparavant une ligne de produits (Swatch Big Bold Ceramic) qui n’a pas rencontré un succès fulgurant, puis une Swatch NASA qui elle n’a pas non plus déclenché une hystérie collective auprès des acheteurs potentiels.

 

Analyse du succès

Si les clients ont unanimement répondu présents lors du lancement, les concurrents ont été tout aussi unanimes à critiquer l’opération par rapport à son impact potentiellement négatif pour Omega. La marque biennoise est devenue au fil des années le joyau de la couronne du Swatch Group et contribue à plus de 50% au bénéfice opérationnel du Groupe (53% de l’EBIT selon l’estimation Morgan Stanley/LuxeConsult) et à presque un tiers de ses ventes.

Grégory Pons – journaliste spécialisé et commentateur avisé de l’actualité horlogère – a interrogé 17 CEO des plus grandes marques horlogères suisses et tous ont répondu qu’ils comprenaient l’intérêt de cette collaboration pour Swatch, mais certainement pas pour Omega. Tous ont répondu que le fait de banaliser un produit iconique – la Moonwatch – en le déclinant dans un produit d’entrée de gamme était une très mauvaise idée.

Plutôt que de verser dans l’analyse raccourcie et symptomatique d’une industrie habituée à ne pas se remettre en question, je vais essayer d’analyser avec des éléments plus tangibles et objectifs.

Lire également : https://businessmontres.com/article/les-medias-qui-parlent-de-montres-sont-lhorlogerie-ce-que-la-gynecologie-est-lerotisme-swatch-omega-moonswatch-watchesandwonders

 

1ère règle d’une collaboration fructueuse : associer les antagonismes

OMEGA Speedmaster Professional x MoonSwatch “Mission to the sun”

 

Pour créer l’intérêt il faut privilégier les antagonismes, car les extrêmes créent une tension.Swatch et Omega ne pourraient pas être plus différentes l’une de l’autre : d’un côté une marque historique (créée en 1848) et de l’autre une marque lifestyle lancée en 1982 dont les codes sont la couleur, l’humour et les références à l’art sous toutes ses formes. Les modèles ne sont pas faits pour durer, mais font partie de collections qui comme dans la mode sont biannuelles et disparaissent une fois les lots de production vendus. Ce sont des objets faits pour être éphémères et saisonniers, mais qui pour certaines sont devenues des classiques.

Chez Omega ont vit de collections faites pour durer et qui pour certains modèles deviennent des icones. Il s’agit notamment de la Seamaster 300m qui est devenue la montre de James Bond ou de la Speedmaster Professional « Moonwatch ».

D’un côté on peut se permettre d’expérimenter avec des nouveaux matériaux, des designs qui ne suivent pas forcément une logique, sauf celle de disrupter sans cesse. De l’autre on est face à une marque institutionnelle qui se doit de respecter des codes, mais surtout les attentes de ses clients. La dialectique entre deux territoires d’expressions, à priori antagonistes, permet de créer la tension qu’il faut.

2ème règle : associer les compétences

Swatch Group possède un avantage concurrentiel unique qui est son outil industriel lui permettant de développer et fabriquer un projet comme celui-ci 100% en interne. Le revers de la médaille est que cet outil industriel doit être « nourri » pour être efficient, mais surtout rentable. Les volumes des marques Tissot, Longines et Omega (un total annuel estimé de 5,5 millions*) ne suffisent pas à compenser entièrement la baisse de volume de la marque Swatch avec 3,2m* de pièces vendues estimées l’année passée.

ETA – la principale manufacture de mouvements du Swatch Group – a amené les solutions techniques, notamment la chaîne de fabrication de la biocéramique (fabrication 100% en Suisse). Omega a pris le lead du développement produit et cela se voit par rapport aux différents détails et la cohérence du tout. Et finalement Swatch apporte la touche colorée et son réseau de vente, même si l’on peut se demander si la vente en boutique monomarque Omega ne serait pas un bon moyen de légitimer le produit et d’amener les jeunes clients directement dans une boutique dont ils ne franchiraient pas forcément la porte.

 

3ème règle : chauffer la salle avant l’arrivée de la star

Campagne Instagra

Aujourd’hui le drop shipping est devenu presque la norme avec l’annonce sur les réseaux sociaux de l’arrivage imminent d’une paire de sneakers ultra limitée (quelques milliers dans le monde) vendues dans quelques points de vente sélectionnés (quelques dizaines). Le public plutôt jeune et habitué à attendre dans une file se prépare souvent tôt le matin à attendre des heures pour toucher le graal.

Et dans ce cas Swatch et Omega ont utilisé tous les moyens à disposition pour créer un buzz en mettant des annonces dans les quotidiens et le relayant sur les réseaux sociaux en annonçant une date avec un message faisant allusion à une date précise, le 26 mars, et vous enjoignant de changer votre Swatch ou dans la deuxième version votre Omega. Dès que le message est sorti les rumeurs ont commencé à courir et le buzz à s’amplifier.

 

4ème règle : une distribution ultra sélective… mais adaptée à la clientèle cible

Afin de concentrer l’effet de surprise les ventes se font uniquement dans des boutiques Swatch sélectionnées et en quantités très limitées par rapport au potentiel de vente. Pour faire simple ce sont 110 points de vente dans le monde qui ont reçu chacun entre 100 et 1’000 pièces pour cette journée événement qui a déclenché la ferveur à tel point que par exemple à Singapour des clients ont campé devant le magasin pour être les premiers lors de l’ouverture du magasin. Des scènes jamais vues depuis les temps glorieux des séries limitées de la Swatch dans les années 1990. Inutile de préciser que les points de vente ont été dévalisés en très peu de temps, même si Swatch avait pris soin de limiter l’attribution de 2 pièces maximum par client.

Dans une récente interview accordée au blog horloger fratellowatches, le CEO de Swatch Group a exclu toute vente de la MoonSwatch sur internet. Cette décision pour le moins surprenante Nick Hayek l’explique par le fait qu’ « Il n’y a pas d’émotion dans l’achat en ligne. Il s’agit d’une montre Swiss Made fabriquée avec soin et non d’une marchandise. Après que le monde entier ait dû rester à la maison pendant deux ans à cause du COVID, il était temps de faire la fête et de ramener les gens dans les rues, de se rencontrer et de faire revivre les magasins traditionnels ». On peut être d’accord sur le fait que l’événement créé à travers le monde est le fruit d’un événement physique (et non dans le metavers), mais de là à interdire par exemple aux chinois cantonnés chez eux de pouvoir acheter une montre aussi cool est pour le moins questionnable.

Lire également : https://www.fratellowatches.com/swatch-group-ceo-nick-hayek-about-the-moonswatch/#gref

 

5ème règle : séquencer l’effort

 Le concept est adéquat dans la mesure où les marchés n’ont pas été inondés en quantités lors du lancement, bien au contraire et ne le sont toujours pas trois mois après le lancement. On peut estimer que lors du weekend de lancement plus de 50’000 montres ont trouvé preneurs et que depuis 100’000 pièces supplémentaires ont été vendues. La cote sur le marché secondaire est d’ailleurs restée relativement stable avec un prix réaliste de transaction à CHF 600 – après être monté à CHF 1’500 et plus – soit 2,5 fois le prix public recommandé, soit un gain de presque 150% pour les spéculateurs.

Cote de la MoonSwatch “Mission to the Moon” le 07 juillet 2022. copyright chrono24.ch

N’aurait-il pas été plus judicieux de séquencer le lancement des 11 modèles par collection de peut-être 3 modèles ? En entretenant la curiosité des clients et de venir à la fin avec la star de la collection « Mission to Moon » par exemple le jour anniversaire du premier alunissage le 20 juillet et d’en faire une série ultra-limitée de 1969 pièces ? et de créer une pièce unique – qui serait la seule à être motorisée par le mouvement mécanique calibre 1861 qui équipe la fameuse Speedmaster Professional d’OMEGA – vendue lors d’une vente aux enchères caritative du type « ONLYWATCH » ? Imaginez le buzz médiatique en vendant une pièce en « plastique », certes biosourcé, à plus d’un million de francs !

 

Est-ce que les objectifs ont été atteints ?

Pour Swatch, une marque en perte de vitesse à la recherche de volumes pour faire tourner les usines du Groupe aussi bien pour les mouvements que l’habillage (cadrans, aiguilles, boîtiers) l’exercice est bien sûr extrêmement bénéfique. Pour comprendre les enjeux il faut comparer les volumes du temps de la splendeur dans les années 1990 – plus de 20 milllions de montres vendues par année – à 2021 et 3,2 millions de Swatch vendues dans le monde (estimation Morgan Stanley & LuxeConsult). Selon une estimation faite par Morgan Stanley après le lancement de la MoonSwatch, il pourrait s’en vendre jusqu’à 500’000 pièces cette année pour générer un chiffre d’affaires estimé à CHF 125 millions, mais surtout une marge brute phénoménale estimée à 90% , ce qui correspond à CHF 112 millions, qui permettrait quasiment de ramener la marque à l’équilibre.

En tenant compte du fait que la montre n’a pas encore été lancée en Chine – pour cause de fermetures des points de ventes liées à la Covid – et que par voie de conséquence les ventes en ligne n’ont pas encore débuté (pour autant qu’elles débutent un jour; v. point 4 ci-dessus), on peut estimer le potentiel des ventes annuelles pour cette seule montre à 1 million d’unités par année soit un chiffre d’affaires de CHF 230 millions qui permettrait de plus que doubler le chiffre d’affaires actuel, tout en améliorant la rentabilité de la marque et en apportant le volume de production à l’outil industriel du Swatch Group.

La collaboration a sensiblement augmenté le trafic dans les points de vente Swatch, mais surtout il a permis de faire découvrir la Speedmaster d’Omega à un public plus jeune qui ne connaissait pas forcément cette icône de l’horlogerie.

 

Des critiques ? Et des explications

MoonSwatch “Mission to the Moon”

 

 

Le plus beau succès marketing et commercial de l’horlogerie suisse de ces 20 dernières années aurait pu être encore plus conséquent si les points suivants avaient été mieux gérés :

  • la famille de produits est composée de 11 modèles, dont le modèle « Mission to the Moon » qui est une copie exacte de la montre originelle d’Omega en taille et esthétique globale. On peut se demander s’il est judicieux de copier quasiment 1 :1 son produit le plus iconique en le vendant pour un vingtième du prix (CHF 250 au lieu de CHF 5’050).
    • À l’inverse cette copie – presque conforme, car l’amateur reconnaît au premier coup d’œil les différences, notamment les compteurs du chronographe – a permis aux clients cibles de découvrir la vraie Moonwatch.
  • De même que le fait d’installer cette collection dans le temps et de ne pas en faire une collaboration limitée dans le temps, soit une collection capsule ou un « drop shipping », est questionnable.
    • On peut penser qu’au vu du succès de cette première collaboration Swatch, on verra d’autres initiatives par exemple sur la Sistem 51 qui est tout simplement l’un des mouvements mécaniques industriels le plus abouti de l’horlogerie suisse. On peut associer d’autres icones de l’horlogerie du groupe Swatch ou …. en-dehors du groupe.
  • Ma plus grande critique est liée à la politique de communication de Swatch qui n’en n’a pas fait un de ses axes prioritaire en amont et après le lancement. Aucune communication spécifique n’a été faite à part quelques posts sur le compte Instagram de Swatch et une campagne d’annonces dans les journaux et dès lors on peut se poser la question de la pertinence par rapport à la cible visée des générations Z et Alpha qui ne lisent plus aucun média imprimé.
    • Les médias spécialisés de l’horlogerie – dans leur immense majorité – n’ont tout simplement pas compris l’impact de cette montre, ni le succès rencontré. Il y a ceux qui mettent ceci dans la rubrique animation marketing et d’autres qui pensent qu’elle va nuire au prestige d’Omega.
    • la règle d’or de la communication d’une marque est la répétition et la cohérence du message et ce ne sont pas quelques maigres posts sur le compte Instagram des deux marques qui font la différence.
  • Et puis finalement au-delà de se réjouir des cohues provoquées devant les magasins et la file d’attente de plus de 500m devant le siège de Swatch à Bienne, on peut regretter les bagarres entre clients et le racket organisé devant les magasins, notamment à Genève. Une meilleure coordination et communication auraient certainement contribuer à rendre ce succès encore plus beau.

 

En conclusion : un cas d’école d’une action marketing – presque – parfaitement planifiée et vendue comme du « guérilla marketing » qui a bluffé tout le monde et qui a volé la vedette aux marques présentes au salon Watches & Wonders qui démarrait quelques jours plus tard. Et pour conclure, je me risque à prédire d’autres collaborations de Swatch avec des marques institutionnelles internes ou externes au groupe. Affaire à suivre…

 

 

Les modèles de la collection MoonSwatch sont vendus CHF 250,00 TTC dans des boutiques Swatch sélectionnées à travers le monde https://www.swatch.com/fr-ch/bioceramic-moonswatch.html 

Omega vend sa Speedmaster Professional “Moonwatch” à partir de CHF 4’850,00 TTC https://www.omegawatches.com/fr-ch/watch-omega-speedmaster-moonwatch-professional-chronograph-42-mm-31133423001001

*rapport “The Magnificent Seven” publié le 07.03.2022 par la banque Morgan Stanley et auquel LuxeConsult a contribué

“Les 7 magnifiques” : Morgan Stanley publie son rapport annuel sur l’industrie horlogère suisse

Basé sur les chiffres d’exportations de l’industrie horlogère suisse qui ont enregistré un record historique à CHF 22,3 milliards en 2021 (CHF 21,2md pour les montres-bracelets), la banque d’affaires américaine Morgan Stanley – en collaboration avec le cabinet LuxeConsult spécialisé dans le monde horloger – publie ce jour son rapport annuel.

  • La principale bonne nouvelle est que nous avons retrouvé le niveau pré-Covid des ventes avec un résultat en hausse de 31,2% par rapport à 2020 et même 2,7% au-dessus de 2019
  • La mauvaise nouvelle est que – malgré l’augmentation de 2 millions d’unités en une année – nous sommes encore 4,9 millions en-dessous de 2019.

 

Rolex intouchable et largement en tête

Sans surprise Rolex reste le leader absolu des marques horlogères suisses en prenant 29% des parts de marché de l’industrie horlogère suisse avec un chiffre d’affaires estimé à CHF 8 milliards en 2021. Sur la deuxième marche du podium on retrouve Cartier avec CHF 2,39 milliards ce qui correspond à 40% de progression en une année. Omega descend d’une marche avec CHF 2,2 milliards de chiffre d’affaires.

Rolex réalise non seulement le meilleur exercice de son histoire depuis la création de la marque en 1905, mais surtout elle le fait après une année 2020 qui avait vu une réduction de sa production de presque 20%.

Source: LuxeConsult, Morgan Stanley Research. © Ce graphique ne peut être reproduit sans l’autorisation expresse de Morgan Stanley.

Pour mieux illustrer la performance de Rolex on peut aussi mentionner le fait que :

  • Rolex détient autant de parts de marché que les cinq concurrents suivants additionnés
  • Le chiffre d’affaires de Rolex est supérieur de CHF 1 milliard à celui du Swatch Group qui résulte de 17 marques
    • Si l’on ajoute les ventes de la marque sœur – Tudor – avec CHF 510 millions, Rolex réalise CHF 8,5 milliards de ventes, soit 20% de plus que le Swatch Group.
  • On estime la part de marché de Rolex sur les deux marchés clés d’exportation de l’industrie horlogère à 40% pour les USA (marché no. 1) et 35% au Royaume-Uni (5ème).
    • Aucune autre marque de luxe ne possède une position aussi dominante sur son marché respectif.

 

Une industrie plus que polarisée

On assiste depuis plusieurs années à une polarisation accélérée d’un marché horloger dans lequel quelques marques surperforment et sont dans un cycle vertueux. Le taux de croissance des marges devient dans ce cas supérieur à celui du chiffre d’affaires. Pour faire simple : plus la marque vend et plus sa rentabilité augmente et lui donne des moyens supplémentaires pour être plus visible.

Derrière le club des 4 marques qui affichent une croissance presque insolente depuis plusieurs années, Rolex, Audemars Piguet, Patek Philippe et Richard Mille on peut ajouter un deuxième groupe composé notamment de Cartier, Omega, Longines et IWC.

  • Les 5 plus importantes marques représentent plus de la moitié du marché (53%)
  • 13 marques prennent 75% de parts de marché
  • 25 marques prennent 90% du marché

Ces chiffres sont à comparer avec les 350 marques horlogères Swiss made en activité.

 

Les grands gagnants en 2021

 Même si la base comparative de 2020 est forcément très basse, on peut mettre en avant :

 

  1. La polarisation accrue du marché entre quelques marques qui surperforment maintenant depuis des années (l’édition 2018 du rapport Morgan Stanley avait été le premier à le relever) et qui sont en mains privées : Rolex, Audemars Piguet, Patek Philippe et Richard Mille. On peut désormais ajouter Breitling à cette liste qui réalise une remarquable progression à +40%. Ces 5 marques représentent presque la moitié du marché horloger suisse avec 43% de la valeur totale.
  2. Cartier détrône Omega et monte à la deuxième place du classement avec CHF 2,39m de ventes (+40%). Ceci reflète le dynamisme d’une marque qui a su connecter avec une clientèle plus jeune sur quasiment tous les marchés. La performance de Cartier est d’autant plus remarquable que : a. son segment joaillier a connu une croissance encore plus forte que la division horlogerie et que b. Omega a fait une très bonne année avec un plus de 30%.
  3. Audemars Piguet gagne deux places et se place en 4ème position et accomplit une année record, la meilleure de son histoire. Elle dépasse son concurrent historique Patek Philippe qui malgré ses succès d’estime et le buzz créé par la sortie de collection de sa mythique Nautilus 5711, ne connaît pas la même dynamique vertueuse qu’AP. Audemars Piguet surfe sur une vague interrompue du succès de sa Royal Oak qui fête cette année ses 50 ans et qui sans aucun doute contribuera à faire de 2022 une nouvelle année record. On peut estimer que quasiment 90% de ses ventes sont dues à son produit le plus iconique (Royal Oak et Royal Oak Offhsore), mais la collection Code 11 :59 lancée en janvier 2019 commence à faire sa place et génère déjà 5% des ventes de la marque. Le chiffre d’affaires est généré par un nombre croissant de boutique monomarques (75% de son chiffre d’affaires) qui procurent les avantages de : a. capturer la marge du détaillant, b. connaître ses clients finaux (sell-out) et c. de mieux gérer ses stocks pour éviter de perdre des ventes pour une marque qui est en rupture de stock perpétuelle.
  4. Le club des marques milliardaires compte à nouveau 7 membres avec l’arrivée de Richard Mille qui se place en 7ème position avec des ventes de CHF 1,1md.
  5. Les gagnants de la reprise en 2021 sont aussi dans le groupe Richemont avec notamment Cartier (division horlogère) à +40% et Vacheron Constantin à +53%. Il faut aussi mentionner les montres Hermès qui réussissent une performance à +73%, même si le chiffre d’affaires de CHF 364m ne la place qu’en 19ème position, la progression reste phénoménale et est le fruit d’un travail entrepris depuis plusieurs années : a. de repositionnement de l’offre horlogère vers le haut et b. de la désirabilité de la marque de maroquinerie.
  6. La premiumisation* s’est renforcée en 2021 avec les segments de prix au-dessus de CHF 2’000 prix exports qui affichent une croissance aussi bien en volumes qu’en valeurs. Ces montres correspondent à un prix public de CHF 4’000 et au-delà. Ce segment de prix ne représente que 16% des volumes, mais 82% des valeurs exportées.

*une montée en gamme de prix par une offre concentrée sur le haut de gamme et la rareté (réelle ou artificielle) de l’offre.

  1. La répartition des marges est encore plus polarisée que celle des chiffres d’affaires où les 4 marques championnes prennent 41% des ventes, mais 62% de la marge opérationnelle totale. Rolex, Audemars Piguet, Patek Philippe et Richard Mille atteignent des rentabilités auxquelles peu de marques de luxe peuvent prétendre.
© 07.03.2022 Morgan Stanley x LuxeConsult, reproduction interdite sans autorisation préalable

 

  1. L’entrée de gamme de l’horlogerie suisse subit indéniablement l’assaut des montres connectées, dont 80 millions se sont vendues l’année passée pour même pas 16 millions de montres pour l’ensemble de l’horlogerie suisse. Ce chiffre est à mettre en comparaison de 2016, année de démarrage de l’Apple watch (présentée en 2015) qui reste leader absolu de ce segment avec plus de 50% des parts de marché : 22m de montres connectées vendues cette année-là pour 25m de montres Swiss made dont 18 millions de quartz.
  2. Rolex reste intouchable et vient d’achever sa meilleure année depuis sa fondation en 1905. Les produits sont devenus quasiment introuvables malgré une augmentation de la production à 1’050’000 une quantité jamais atteinte auparavant. La cohérence entre le message d’excellence de la marque et son offre produits est imparable. Rolex a aussi entrepris des efforts dans le seul domaine où elle possède encore une grosse marge de progression, son réseau de détaillants qui n’est parfois pas à la hauteur du prestige de la marque.
  3. Swatch Group a réussi une très belle année avec un plus de 30,7%, mais ce chiffre est légèrement inférieur au taux de progression affiché par l’ensemble de l’industrie horlogère à 31,4%. Logiquement il perd des parts de marché – 22% – et vient se positionner derrière Rolex et ses 30,5% (incluant la marque sœur Tudor). Ce qui est surtout inquiétant est l’accélération de Rolex par rapport à son principal challenger Omega, dont la part de marché (7,5%) correspond à un quart de celle de Rolex. Le Swatch Group est de plus en plus dépendant de 3 marques sur un total de 17 dans son portefeuille aussi bien pour ses ventes que pour ses marges : deux-tiers de son chiffre d’affaires sont générés par Omega, Longines et Tissot qui génèrent la quasi-totalité de son résultat opérationnel (EBITDA). On peut estimer qu’Omega génère à elle seule plus de la moitié de marge du groupe.
  4. Les groupes ne sont pas à la fête à l’exception notable de Richemont, car LVMH perd des parts de marché, malgré une très bonne performance (+45%) d’Hublot. Zenith a selon nos estimations quasiment doublé ses ventes, mais son résultat net est tout juste à l’équilibre et son poids relativement marginal dans les comptes du groupe.
  5. Kering – 2ème groupe mondial du luxe et propriétaire de Gucci – a jeté l’éponge début 2022 en cédant ses marques Ulysse Nardine et Girard Perregaux qui n’ont fait que dégringoler depuis leurs reprises par le groupe français. Leurs chiffres d’affaires sont devenus anecdotiques et surtout elles génèrent les deux des pertes. Kering ne garde une activité horlogère que pour sa marque Gucci où elle semble avoir la main plus heureuse.
  6. Les marques de niche indépendantes, telles que F-P Journe, Greubel Forsey, Kari Voutilainen, MB&F ou Laurent Ferrier connaissent un succès absolument phénoménal autant sur le marché primaire (montres neuves) que secondaire (ventes de seconde main, ventes aux enchères et marché « gris »). Pour certaines les listes d’attente atteignent désormais plusieurs années et quelques-unes ont décidé de ne plus prendre de nouvelles commandes pour ne pas décevoir des collectionneurs. Cette tendance aussi réjouissante soit-elle et importante en termes d’image et de préservation de savoir-faire artisanaux, a un impact marginal sur les valeurs – nous estimation celles-ci à 1% du total – et encore moins sur les volumes avec une estimation à 0,05%.
  7. Marché secondaire: estimé à approximativement la moitié de celui des montres neuves, soit CHF 20md, il est très révélateur de la désirabilité des marques. Les cotes de reventes donnent une très bonne idée de la rareté de l’offre sur le marché primaire avec des primes « coupes files » qui atteignent parfois 50-150% du prix de vente recommandé. En-dehors des marques et produits iconiques comme la Rolex Daytona, la Patek Philippe Nautilus ou encore la Royal Oak d’Audemars Piguet, les prix sont à des niveaux historiquement élevés et peuvent faire craindre l’éclatement d’une bulle spéculative. Lorsqu’une Patek Philippe Nautilus « Tiffany » se vend à USD 6,2m c’est une bonne chose pour la communication, mais ceci engendre aussi une fièvre spéculative qui a été notamment alimentée par les gains des crypto monnaies.

 

*méthodologie : contrairement aux autres industries notamment des biens de consommation (FMCG), l’industrie horlogère est une « boîte noire ». Très peu de chiffres sont publiés, notamment ceux des exportations qui sont recensés dans les statistiques douanières suisses et reprises par la fédération de l’industrie horlogère Suisse (FH). Ces chiffres présentent certes le désavantage de valoriser le « sell-in » (ventes des marques aux distributeurs ou détaillants) et non pas le « sell-out » (ventes aux clients finaux), mais ils reflètent des tendances. Certes un décalage temporel existe – plus ou moins important selon les marques – entre le moment où la montre est livrée et le moment où elle se trouve au poignet du client, mais celui-ci n’est pas aussi important que certains commentateurs le prétendent. En effet les marques les plus désirables et par définition celles qui pèsent le plus dans les comptes sont aujourd’hui dans l’heureuse position d’avoir une circulation de stocks extrêmement rapide.

La méthode adoptée par Morgan Stanley x LuxeConsult est de convertir ces données de ventes en parts de marché retail (les ventes du détaillant au client final) en tenant compte : a. des ventes des 65 plus grandes marques Swiss made (25 marques représentent 90% du marché) b. nous recoupons des informations publiquement accessibles avec des interviews d’acteurs de l’industrie, c. nous faisons une estimation du degré d’intégration de la distribution de chaque marque, d. nous intégrons les marges données au distributeurs ou détaillants ce qui nous permet finalement d’obtenir un prix public moyen et de calculer les parts de marché.

 

 

Les marques d’horlogerie qui plaisent aux ultra-riches Chinois

Le succès d’une marque est mesuré sur la base de ses résultats financiers, mais parfois d’autres indicateurs sont plus pertinents pour son capital de marque (“brand equity”) comme sa cote auprès de son public cible. Pour les marques horlogères le fait d’être désirées sur un marché aussi référent que la Chine, qui reste leur principal marché d’exportation*, est un signe qui ne trompe pas !

La banque d’affaires Morgan Stanley analyse, dans une note publiée ce jour**, un classement publié par Hurun de la désidérabilité des marques horlogères en Chine , société qui est la référence des études de marché dans ce pays. Le classement est établi sur la base d’un sondage de 750 HNWI*** et UHNWI*** dont le patrimoine net moyen est de 42 millions de RMB (= USD 6,6m).

 

Classement Hurun
  • Premier constat : Rolex grimpe à la première place – devant Patek Philippe qui détenait la 1ère place depuis 2010 ! – en termes de désidérabilité sans toutefois être le leader du marché chinois, dont les deux premières places sont trustées par les marques du Swatch Group OMEGA et Longines. OMEGA apparaît en 6ème position du classement Hurun et Longines ne figure pas dans le top 10, mais ceci s’explique par le panel de clients qui reflètent beaucoup plus les préférences d’un segment de clientèle très haut de gamme. Le rapport Morgan Stanley relève avec pertinence que Rolex qui détient 25% des parts de marché de l’horlogerie Suisse dans le monde (rapport annuel Morgan Stanley x LuxeConsult) – loin devant Omega qui est le no. 2 mondial avec seulement 9%, est le leader incontesté sur des marchés aussi référents que les USA* (premier marché d’exportations de l’horlogerie suisse selon la FH) ou la Grande-Bretagne (no. 5). Sur ces deux marchés de référence Rolex détient plus de 30% du marché ce qui est unique pour l’ensemble de l’industrie du luxe. Aucune autre marque de luxe n’est aussi dominatrice sur les marchés clés.
copyright Rapport Morgan Stanley x LuxeConsult 2021 sur base ventes 2020
    • Rolex est cependant beaucoup moins dominante en Chine avec une part de marché estimée par Morgan Stanley à 15% ce qui est inférieur aux parts de marché du Swatch Group. Omega, Longines et Tissot profitent de l’implantation de leur réseau de distribution chinois par le Swatch Group dès les années 1990. Par ailleurs Omega est auréolée d’une notoriété historique très particulière en Chine, car Mao Zedong a porté une Omega pendant des décennies.
Rolex Submariner
  • La deuxième surprise du classement est la percée des montres Hermès qui figurent seulement pour la troisième fois depuis 2010 dans ce classement et qui se hisse cette année en 4ème position devant Cartier et Omega. Ce rang n’est pas dû au hasard, mais à un travail de longue haleine de la part d’une des plus belles maisons de luxe dans l’absolu qui a positionné son horlogerie dans le territoire naturel d’une marque éponyme d’une vision à long terme. Hermès a su repositionner son offre en diminuant le nombre de références de sa collection, en développant fortement l’offre de garde-temps équipés d’un mouvement mécanique et en lançant des nouvelles montres comme la récente H08 avec tous les codes pour devenir iconique. La marque arrive aujourd’hui même à vendre des répétition-minutes/ tourbillons vendues à plusieurs centaines de milliers de francs.
Hermès H08
Hermes-Arceau-Lift-Tourbillon-Repetition-Minutes
  • Troisième constat le groupe Richemont place 5 marques dans le top 10 des marques horlogères les plus désirées par les ultra-riches chinois. Le seul bémol étant le recul de Vacheron Constantin qui recule de la 3ème place à la 7ème, alors qu’elle offre les produits les plus prisés par les clients chinois avec une esthétique très classique et un savoir-faire manufacturier. Ce recul peut s’expliquer par le rajeunissement de la clientèle au-travers du succès de sa collection Overseas qui plaît probablement plus à des clients qui ne font pas encore partie des HNWI.

 

  • Mais la plus grande surprise est le fait qu’Audemars Piguet ne figure pas dans les 10 premières marques citées. Pour une marque leader toujours citée comme faisant partie des 4 marques championnes (avec Rolex, Patek Philippe et Richard Mille) et qui a enregistré 38% de croissance de son chiffre d’affaires en 2021, ceci est pour le moins surprenant.

 

Même si ce classement n’est qu’un instantané et ne donne qu’une vue très partielle, il est quand même un indicateur révélateur des efforts fournis par les marques pour développer leur cote de popularité sur le marché du luxe avec la plus forte croissance attendue pour la prochaine décennie.

 

 

 

 

*basé sur les chiffres des exportations horlogères en 2021, la fédération de l’industrie horlogère suisse estime que les USA sont devenus le premier marché. Si l’on agrège les exportations vers la Chine continentale et HK, le marché chinois reste largement en tête. Mais la différenciation faite par la FH peut se justifier si l’on considère que Hong Kong sert aussi de hub logistique pour d’autres marchés asiatiques.

**« Rolex becomes the most desirable watch brand among Chinese HNWIs”

*** les HNWI cités par le classement Hurun, sont des « High Net Worth Individuals » ou “Ultra HNWI” qui disposent d’un patrimoine net de dettes les définissant comme la cible clients de marques de luxe

Rolex reste le roi incontesté de l’horlogerie Suisse

 La banque d’affaires Morgan Stanley a publié ce matin son rapport annuel sur l’industrie horlogère et son titre est programme : « King Rolex »*. La marque à la couronne est non seulement la première marque en termes de chiffres d’affaires, mais ensemble avec sa marque sœur Tudor, elle est devenue en 2020 le leader du marché horloger suisse**. Malgré un recul de son chiffre d’affaires de l’ordre de 15% Rolex reste le leader incontesté des montres suisses.

Les exportations horlogères suisses en 2020 ont globalement baissé de 21% en valeur et de 33% en unités.

Quoi de nouveau en 6 points dans un marché en pleine reconfiguration ?

#1 : La polarisation du marché s’est encore accentuée avec quelques marques fortes qui ont réussi à limiter les dégâts, malgré un premier trimestre catastrophique et un mois d’avril à -81% pour les exportations horlogères.

  • Les marques en mains privées ont dans l’ensemble mieux performé que la moyenne du marché avec notamment Audemars Piguet qui enregistre une baisse de 9% de son chiffre d’affaires, mais qui selon CEO a enregistré le meilleur mois de son histoire en octobre 2020 !
  • Tudor a été l’une des rares marques Swiss made à progresser en 2020 et prend des parts de marché à ses concurrents directs, dont TAG Heuer qui a enregistré une baisse 31%.

#2 : la premiumisation*** du marché avec le segment des montres d’un prix public supérieur à CHF 7’000 (CHF 3’000 prix export) qui compte pour 70% de la valeur exportée, mais seulement 10% du volume.

#3 : l’entrée de gamme continue de subir les assauts des montres connectées : en 2020 l’industrie horlogère suisse aura vendu 13,7 millions de montres contre 75 millions de montres connectées. En 2016 la Suisse vendait encore 25 millions de montres, alors que les montres connectées totalisaient 22 millions d’unités.

#4 : deux marques du TOP 50 ont réussi à croître en 2020 : Tudor et Dior. La marque sœur de Rolex récolte les fruits d’une stratégie produits et marque très cohérente. Alors que les montres Dior profitent d’une dynamique de la marque dans le domaine de la maroquinerie tout comme les montres Hermès qui maintient pratiquement ses chiffres par rapport à 2019. Hermès a non seulement nettoyé sa collection et est montée en gamme, mais elle réussit également à vendre de la haute horlogerie à des prix dépassant les CHF 300’000 avec par exemple une montre tourbillon, répétition minutes.

  • Rolex, Audemars Piguet, Cartier, Richard Mille et Breitling réussissent à faire mieux que la moyenne du marché

#5 : le roi incontesté s’appelle ROLEX. Malgré une demande qui ne se dément pas et des primes « coupes files » de 50% à 100% sur le marché gris, la marque à la couronne a décidé l’année passée de réduire sa production de pratiquement 20%. Les clés du succès de Rolex s’expliquent par quelques recettes qui n’ont rien de magique, mais qui sont appliquées avec une consistance et cohérence depuis la naissance de la marque en 1908.

  • Une qualité produit sans cesse améliorée et sans compromis.
  • Le but ultime est la perfection et non pas d’arriver premier. « Don’t be first, but be the best ! ».
  • La communication est toujours restée focalisée sur l’excellence produit.
    • Les sponsorings sportifs sont des animations ponctuelles pour la marque, mais jamais le centre de sa communication. Les ambassadeurs de la marque doivent servir les valeurs de celle-ci.
  • La continuité : le produit évolue, mais pas son identité. Comme Porsche avec sa 911, Rolex sait faire évoluer ses classiques sans jamais les dénaturer.
  • La gestion de la rareté dans l’offre crée la désirabilité. Rolex est l’une des rares marques horlogères à pouvoir se payer le luxe d’avoir des listes d’attente qui se chiffrent en années.
copyright site https://www.chrono24.com

#6 : les marques de niche tirent leur épingle du jeu. H. Moser & Cie avec ses produits et sa communication qui osent la provocation sont un exemple positif des « petits » qui s’en sortent plutôt bien avec une offre originale. Moser a connu la croissance dans un marché en plein marasme en jouant sur l’audace que des groupes cotés en bourse ne peuvent se permettre.

Moser Swiss Alp Watch montre mécanique qui ressemble furieusement à une montre connectée. Le symbole “loading” est en fait une indication des secondes.
  • On pourrait aussi parler de la folie qui s’est emparée de la communauté horlogère après l’annonce de la dernière série des montres Simplicity de l’horloger Philippe Dufour où l’on parle de 4’000 acheteurs pour …. les 10 dernières montres qui se vendront pour un prix dépassant largement le demi-million de francs pour une montre vendue pour CHF 34’000 à ses débuts en 2000 !
Philippe Dufour “Simplicity”. Copyright monochrome-watches.com

 

Mais ceci sont des épiphénomènes – certes réjouissants – à l’échelle d’une industrie qui a perdu la moitié de ses volumes en l’espace de 6 ans !

 

Rolex s’impose comme leader du marché

 Avec une part de marché équivalente au quart du total**, Rolex est le leader incontesté devant Omega qui comptabilise “seulement” un tiers de la valeur de son concurrent direct.

  • les 5 plus grandes marques trustent plus de 50% du marché de la montre suisse
  • 14 marques détiennent les trois-quarts (77%) du marché

 

Lire également : https://www.letemps.ch/economie/rolex-detrone-swatch-group

 

 

 

 

*  Rapport Morgan Stanley (Edouard Aubin, equity analyst, Luxury industry) x Luxeconsult 08.03.2021 basé sur les chiffres d’exportations 2020 « King Rolex ». Ce rapport est destiné aux clients de la banque Morgan Stanley et peut être cité avec les sources correspondantes.

 

** les données du rapport Morgan Stanley sont basés sur les chiffres d’exportations fournis par la fédération horlogère Suisse qui collectent elle-même ces chiffres de l’administration fédérale des douanes. Morgan Stanley calcule les parts de marché en valeur retail (prix de vente public HT) et non pas en chiffres d’affaires ex-usine, car les marques ont des degrés d’intégration de leur retail très divers. Rolex possède une seule boutique dans le monde à Genève, alors que Richard Mille contrôle le 100% de sa vente au détail par des boutiques qu’elle possède en propre ou par joint-venture avec un détaillant.

 

*** la premiumisation est un anglicisme qui consiste à décrire l’effet de levier obtenu par un positionnement prix plus élevé donnant un avantage concurrentiel pour des produits de luxe.