La grande chute des exportations horlogères ne fait que commencer

Les chiffres des exportations horlogères suisses publiés ce matin par la FHS parlent pour eux-mêmes : 82% de baisse pour les montres pour le seul mois d’avril et un recul de 26% depuis le début de l’année ! Comment expliquer cette baisse historique, brutale et d’une ampleur qui fait craindre le pire pour une année qui s’annonçait déjà catastrophique après le premier trimestre ?

Le communiqué de presse de la FHS du jour qui mentionne “Les détails de cette baisse généralisée ne revêtent pas d’intérêt particulier – à la seule exception de la Chine – dans la mesure où elle reflète un blocage exceptionnel plus qu’une évolution de la demande” doit sonner comme une gifle aux oreilles des sous-traitants qui enregistrent une baisse de 1,8 million de montres en moins produites !

Une baisse généralisée de tous les segments de prix. Les segments de prix indiqués sont des prix export qu’il faut multiplier par 2,5 pour arriver au prix public.

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Une pandémie qui agit comme un vecteur accélérateur d’une décroissance annoncée

La crise du Covid19 servira de base d’explication, mais ne suffira pas pour tout comprendre dans une crise qui annonce la pire année de l’horlogerie suisse depuis les années de l’après-guerre. Il est difficile de comparer des statistiques en valeurs, mais les quantités exportées cette année devraient nous ramener aux volumes de ventes des années 1947-48 avec 14,5 millions de montres vendues. Et encore il s’agit d’une estimation prudente de ma part qui chiffre la baisse attendue en 2020 à 30% ce qui nous ramènerait à 14 millions de montres et un chiffre d’affaires à l’exportation de CHF 15 milliards et qui correspondrait à 2010. D’ailleurs mon pronostic consiste à dire que 2021 verra le retour à la croissance, mais que nous mettrons 10 ans à retrouver les volumes de ventes de 2019.

La pandémie du Covid19 et l’arrêt total des activités économiques à travers la planète ont créé une situation inédite qui ont vu les chaînes d’approvisionnement et les marchés s’arrêter brutalement et en même temps. Si les affaires des marques horlogères suisses avaient plutôt bien débuter l’année pour certaines avec des chiffres en hausse par rapport à 2019, l’arrêt complet de la Chine juste avant le nouvel an chinois dans la 2ème semaine de février a servi de signal d’alarme. Si le mois de janvier avait encore connu une forte progression de presque 10%, le mois de février à -9% et surtout mars à -22% annonçaient des temps plus compliqués pour les ventes de montres.

Une conjonction d’éléments conjoncturels et structurels donne toujours un mix létal pour une économie

Personne ne pouvait prévoir une telle catastrophe pour l’économie où la gestion de la santé publique a pris le pas sur les intérêts économiques dans presque tous les pays du monde. Mais il ne faut pas non plus tomber dans la facilité de vouloir expliquer tous les problèmes de notre industrie par un élément conjoncturel dramatique, jamais vu depuis les années 1930. Aucune crise rencontrée par notre industrie ne tient la comparaison, car même la crise du quartz qui a duré presque dix ans de 1975-84 aura eu un effet aussi dévastateur sur une industrie pourtant habituée à devoir affronter des défis majeurs depuis les années 1830. Même si l’impact sur l’emploi sera – espérons le ! – moindre dans cette crise, car aujourd’hui beaucoup d’opérations nécessaires dans la fabrication sont assurées par des machines, voire robotisées dans certains cas. La crise du quartz a vu l’anéantissement de plus de 56’000 emplois en l’espace d’une quinzaine d’années. L’industrie horlogère suisse comptait 59’000 emplois fin 2019 et je pense que malheureusement d’ici la fin de cette année nous verrons 5-6’000 emplois disparaîtrent principalement dans la sous-traitance qui subit de plein fouet la chute vertigineuse des volumes de montres : moins 3,1 millions l’année passée et probablement encore une fois le double cette année !

Les éléments structurels qui sont en train de disrupter l’industrie du luxe en général sont :

  • les smartwatches, dont Apple est le leader mondial incontesté, se sont vendues à 14 millions d’unités au premier trimestre de cette année… 14 millions sera probablement le nombre de montres vendues par l’horlogerie suisse pour l’année !
  • les marques fashion d’entrée de gamme qui rendent la vie difficile aux montres Swiss made dont on se demande s’il est aujourd’hui encore un critère de sélection dans cette gamme de prix.
  • les changements culturels et générationnels par rapport à un objet qui dans l’absolu peut-être considéré comme obsolète par rapport à son utilité réelle

 

Un avenir radieux pour peu de marques

Au risque de me répéter, l’industrie horlogère suisse est basée sur peu de marques qui surperforment depuis des années et qui vont profiter des difficultés rencontrées par beaucoup de marques.

  • 5 marques se partagent 50% du marché
  • 28 marques génèrent 90% du marché

En plus de ces quelques marques qui font partie du peloton de tête de l’horlogerie suisse quelques marques de niche se sont créées des positions fortes dans un segment de marché.

Pour survivre une marque devra soit faire jouer les muscles avec des investissements en communication massifs ou être forte dans une niche. Mais dans les deux cas il faut une vision long terme pour passer les écueils, les crises et rester serein dans la tempête.

 

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