Les marques de niches horlogères sont le terreau de créativité de l’industrie horlogère

Souvent considérée comme une industrie figée dans ses convictions et par nature pas très innovante, l’horlogerie Suisse s’est réveillée dans les années 1980 avec l’arrivée de quelques trublions. Puis définitivement dans les années 2000 avec des jeunes marques réinventant sans cesse les codes de la haute horlogerie.

Le réveil de la Belle au bois dormant

On peut situer le réveil de la belle horlogerie mécanique avec le relancement de la marque Blancpain en 1983 par Jean-Claude Biver JC Biver Le Temps 20.09.2018. Le concept de marque, à défaut d’être dans la vérité historique, était d’une intelligence remarquable pour réveiller les émotions liées à l’horlogerie d’antan. Une mise en musique – story-telling dans le jargon marketing – élégante, épurée et puisant son inspiration dans la belle horlogerie française du 18èmesiècle. Bien sûr qu’à l’époque internet n’existait pas encore et on pouvait donc prendre quelques libertés avec l’histoire horlogère. Mais là n’est pas l’intérêt de ce concept, son importance réside dans la réinvention de la haute horlogerie et de venir sur le territoire de marques établies, pour certaines depuis des siècles, en revendiquant dès le début une place dans l’olympe de la haute horlogerie. Je pense qu’on peut dire aujourd’hui que Blancpain a créé un électrochoc salutaire pour les marques de haute horlogerie comme Patek Philippe ou Audemars Piguet.

L’équipe autour du Maestro Biver a su créer ex-nihilo un univers de marque qui en fait encore aujourd’hui un modèle pour réveiller une marque historique. Mais je pense qu’on peut aussi lui attribuer le mérite d’avoir créé une rupture, classique dans le style, mais innovante dans le discours.

 

Les artisans horlogers créateurs de concepts horlogers rafraîchissants

Dans un registre moins lié aux talents du marketing, mais plus aux talents d’artisans, les créateurs de concepts horlogers ont su bousculer les codes. Certains comme Philippe Dufour ou Kari Voutilainen ont remis au goût du jour des techniques de décoration ancestrales. D’autres comme Denis Flageollet chez De Béthune ou encore Urwerk ont su réinventer des mécaniques parfois pluri-séculaires avec une approche contemporaine.

Certains ont plus fait avancer l’horlogerie en quelques années que des marques institutionnelles et traditionnelles. Ludwig Oechslin chez Ulysse Nardin a amené des concepts horlogers datant du 18èmesiècle dans une marque qui avait été sortie du formol par son propriétaire Rolf Schnyder Worldtempus.com 04.2011

Il est bien sûr plus aisé d’expérimenter et de créer lorsque le poids d’une tradition pluriséculaire ne pèse pas sur les décisions. Mais ce sont les mécaniques et esthétiques folles des MB&F, De Béthune, Ressence, Urwerk ou encore HYT qui ont permis à des marques comme Patek Philippe d’oser des paris esthétiques et fonctionnelles.

 

Les futurs classiques du monde de la haute horlogerie

Les réels innovateurs se situent plutôt dans le haut de gamme, car les initiatives dans le milieu et bas de gamme s’inspirent souvent des codes de la haute horlogerie et limitent leur audace à remplacer les mouvements par du quartz et l’habillage par du China made.

Heureusement dans le haut de gamme ces 20 dernières années ont vu des créations d’horlogers indépendants qui deviendront les classiques de demain. François-Paul Journe a su créer un style puisant ses critères dans l’horlogerie classique du 18èmesiècle et amenant en même temps un design épuré contemporain, identitaire et d’une beauté appelée à devenir un grand classique.

Kari Voutilainen est le digne successeur de Philippe Dufour tous deux incarnant un style classique du milieu du 20èmesiècle qui était la prolongation des montres de poche du 19ème.

Une horlogerie très respectueuse des traditions du travail artisanal dans la finition des mouvements et des esthétiques cadrans qui reposent beaucoup sur des techniques ancestrales comme le guillochage.

Ce qui est encourageant pour l’avenir est le fait qu’une nouvelle garde de jeunes horlogers talentueux est sur les rangs pour perpétuer la tradition : David Candaux ou encore Rexhep Rexhepi (Akrivia) sont des noms à retenir pour le futur, car chacun dans son style possède une signature produit distinctive et originelle.

 

 

Pourquoi les nouvelles marques s’inspirent-elles des classiques ?

Tout le monde parle des montres connectées Les montres connectées ne sont pas l’avenir de l’horlogerie Suisse et tout à coup un OVNI apparaît qui ne fait que reprendre des codes horlogers dans un mix innovant : Daniel Wellington ou DW pour les intimes. DW créée et lancée en 2011 vend aujourd’hui 2 millions de montres par année. Ce qui est intriguant avec cette nouvelle marque est son apparente conformité avec des modèles horlogers connus. Le produit respecte tous les codes liés à un produit horloger classique : boîtier rond, des cadrans très épurés dans un style classique. La seule audace résidant dans le choix de bracelets NATO (bracelet tissé) proposés pour donner l’impression au client qu’il peut « personnaliser » sa montre.

L’innovation réside dans sa communication totalement orientée vers la clientèle de la génération Y. Les clients postent des mises en scène de leurs montres dans des endroits esthétiquement attractifs ou plutôt « instagramables ».

 

L’objet est très conventionnel, mais sa mise en scène ne l’est pas, car elle répond aux codes de communication de cette nouvelle génération qui ne lit plus, mais qui communique avec l’image et les symboles. Les clients – une minorité dans la génération Y – veulent une montre qui correspond au cliché qu’ils s’en font. Elle doit cependant répondre à leurs critères de prix (en moyenne une DW coûte CHF 180 prix public) et d’esthétique. Mais surtout la marque doit pratiquer une communication très orientée « millennials « : images, symboles, valeurs.

Réjouissons-nous de cette créativité qui fait avancer toute une industrie, parfois un peu trop occupée à réinventer ses classiques, plutôt que de créer les classiques de demain !

 Je m’efforcerai de présenter dans ce blog régulièrement des nouvelles initiatives de marques horlogères indépendantes dont l’une ou l’autre sera peut-être appelée à devenir le Patek Philippe du 21èmesiècle !

 

Olivier R. Müller

Passionné de mécanique et de design, Olivier R. Müller évolue dans le monde de la haute horlogerie depuis 25 ans. Au fil de son parcours, il a acquis de solides compétences en management et en développement de produit auprès de prestigieuses maisons horlogères suisses en évoluant à des postes clés. Aujourd’hui il conseille dans le cadre de LuxeConsult des marques horlogères institutionnelles ou niches dans leur stratégie marketing.

8 réponses à “Les marques de niches horlogères sont le terreau de créativité de l’industrie horlogère

  1. Intéressant et assez amusant de voir que la “créativité horlogère renouvelée” ne fait que puiser dans son passé.

    Il n’en reste pas moins que je me suis toujours demandé quelle serait l’étape suivante entre haute horlogerie et montre connectée, à l’heure où la montre ne sert plus à lire le temps?

    Peut-être un bijou horloger muni d’un capteur, lié à un smartphone pour la connection la plus importante, la santé?

    1. On peut être créatif en puisant dans son héritage comme le font p.ex. Urwerk ou De Béthune. Je pense que l’avenir – dans le haut de gamme – n’est pas de connecter, mais bien au contraire de déconnecter. Pour éviter notamment que toutes vos données personnelles viennent alimenter les bases de données de gestionnaires de données basés principalement en Californie ou…. celles de votre caisse maladie.
      Je suis suffisamment âgé pour me souvenir des montres quartz avec une calculatrice intégrée qui ont toutes finies dans une poubelle. Contrairement aux gardes-temps mécaniques qui sont faits pour durer…. ce qui est dans l’air du temps pour éviter le gâchis de l’obsolescence technique.

      1. D’accord avec la lutte contre l’obsolescence technique.
        Il n’en reste pas moins qu’il faudrait aussi jeter son smartphone à la poubelle, dans l’idéal
        🙂

  2. Bonjour,
    Merci pour cet intéressant article. Vous parlez de “artisans horlogers créateurs de concepts horlogers rafraîchissants”, mais vous ne citez pas Vianney Halter, j’en suis très surprise.

  3. pourtant l’Opus 3 d’Harry Winston, sur la photo qui illustre l’article, a été réalisée par lui, elle porte même son nom…?

    1. Bonjour Madame,
      je vous remercie de me lire. En effet, j’ai pris le visuel de l’Opus 3 réalisée par Vianney Halter qui est un exemple de créativité et je ne l’ai pas mentionné dans mon article. J’aurais aimé parler de plusieurs autres concepteurs horlogers qui mériteraient d’être cités. Mais le format du blog m’impose de faire certains choix. J’ai prévu de revenir sur ce sujet des horlogers indépendants qui sont les “pollinisateurs” de l’horlogerie et je ne manquerai pas, cette fois, de parler de Vianney Halter.

      1. Merci pour votre réponse, il est vrai que la créativité ne manque pas dans le secteur horloger. Je me réjouis de lire vos prochains articles 🙂

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