La délinquance des jeunes s’effondre

Le 21 mai 2015, le Dr. Denis Ribeaud[1] et la Dr. Sonia Lucia[2] ont présenté, lors de la Conférence nationale "Jeunes et violence" à Lugano, les premiers résultats des sondages qu'ils ont réalisés respectivement à Zurich et à Lausanne, en 2014, auprès des jeunes âgés de 15 ans. Les résultats sont spectaculaires, vraisemblablement à contre-courant de l'opinion dominante, il y a un effondrement indéniable de la délinquance des jeunes. Ces sondages ne sont pas contestables, contrairement aux statistiques policières de la criminalité auxquelles certains aiment à entamer la fiabilité à cause du "chiffre noir" et à politiser le débat sur la sécurité, ils reflètent l'image la plus nette de la réalité qu'ont vécue victimes ou auteurs de délits et des comportements des jeunes, la meilleure approximation dont on peut rêver lorsque l'on s'intéresse à ce thème.

A Zurich, il est même possible de suivre l'évolution depuis 1999 (date du premier sondage réalisé par Manuel Eisner et Denis Ribeaud), en 2007 et maintenant en 2014. Le nombre de victimes de violence a diminué de manière très significative: alors que le taux de prévalence (30 derniers mois) était de 27% en 1999, de 25% en 2007, pour les délits de violence, il a passé à 16.3% en 2014, soit une diminution de 35%. Pour les lésions corporelles, il passe de 13.5% en 1999 à 14% en 2007 et 8.6% en 2014 (-23%), les vols avec violence/racket passent de 16.5% en 1999 à 15.6% en 2007 et 10.2% en 2014 (-34%); même la victimisation de la violence sexuelle recule de 50%, passant de 10% en 1999 à en-dessous de la barre des 5% en 2014.

Et on ne peut pas reprocher à ces tendances d'être spécifiques à Zurich, car les résultats sont semblables à Lausanne, le taux de victimisation de lésions corporelles passant de 13.1% en 2004 à 9.4% en 2014 (-28%), celui des vols avec violence/racket de 14.1% à 8.5% (-40%). Seules les violences sexuelles montrent une très légère augmentation de 5.1% à 5.5% (différence statistiquement non significative).

En ce qui concerne le passage à l'acte (délinquance auto-reportée) et donc le taux d'auteurs de délits, la diminution est spectaculaire pour les comportements violents (prévalence des 12 derniers mois, lésions corporelles, gravement importuner quelqu'un, brigandage, menace avec une arme, etc.): la part des auteurs s'effondre de moitié et même plus (18.8% en 1999, 17.7% en 2007 et 9.3% en 2014 à Zurich, -50%, et de 17.8% en 2004 à 7.3% en 2014 à Lausanne, -59%). Mais, ce n'est pas tout, les auteurs de vols ont passé de 44.6% en 1999 à 27.7% en 2014 à Zurich (-38%) et de 34.1% en 2004 à 23.2% à Lausanne (-32%), le vandalisme de 20.5% en 1999 à 11.8% en 2014 à Zurich (-42%) et de 17.8% en 2004 à 7.3% en 2014 à Lausanne (-56%). Même les auteurs de vols à l'étalage dans les commerces ont passé, à Zurich, de 34.7% en 1999 à 22.0% en 2007 et 14.1% en 2014 (-59%).

Dernières bonnes nouvelles, la consommation hebdomadaire d'alcool, de tabac et de cannabis a diminué dans tous les domaines: pour l'alcool, elle passe de 10.8% en 1999 à 9.8% à Zurich (-24%) et de 18.4% à 7.2% à Lausanne (-61%); pour le tabac, de 27% en 1999 à 15.7% en 2014 à Zurich (-41%) et de 18% en 2004 à 13.8% en 2014 à Lausanne (-23%); pour le cannabis, 10.3% en 1999 à 8.7% en 2014 à Zurich (-15.5%) et de 9.3% en 2004 à 5.0% en 2014 à Lausanne (-46%). Indéniablement, les jeunes veulent vivre plus sainement, c'est réjouissant.

Actuellement, tout le monde se demande quelles sont les raisons de ces changements singuliers. Mais la compréhension de cette évolution est complexe, vraisemblablement multivariée, et surtout encore non étudiée. Osons croire que le fait que les jeunes passent moins de temps dans l'espace public qu'il y a 15 ans, qu'ils l'investissent en contre partie beaucoup dans le cyberespace, qu'ils consomment moins de psychotropes, sont des facteurs explicatifs convaincants. Persuadons-nous aussi que la multiplication des programmes de prévention en tous genres, ces dix à quinze dernières années, a contribué à ce processus d'amélioration très marqué, de même que les progrès réalisés en matière d'aide aux victimes ou encore la création d'une multitude d'intermédiaires psycho-sociaux dans la résolution de conflits et de problèmes. Imaginons peut-être également quelques instants que le travail préventif en réseau et en partenariat de la police, notamment avec les milieux scolaires et les acteurs sociaux, est susceptible de porter quelques fruits.  Mais personne ne sait expliquer rationellement et objectivement ces changements. Seule certitude, celles et ceux qui hurlaient que l'immigration et la mutation de notre société vers la multiculturalité étaient les causes de tous les problèmes se sont trompés sur toute la ligne.

 

 


[1] Unité de recherche criminologique de la Chaire de sociologie, D-GESS, ETH Zurich

[2] Institut universitaire de médecine sociale et préventive (IUMSP), CHUV-UNIL

 

Olivier Guéniat

Chef de la police judiciaire neuchâteloise depuis 1997, Docteur en Sciences forensiques, Olivier Guéniat est né en 1967. Son grand dada: les stupéfiants. Ses sphères de compétences: les statistiques de la criminalité, les violences conjugales, les interrogatoires et les auditions de police, la délinquance des jeunes. Il est aussi chargé de cours à l’Ecole des sciences criminelles de l’UNIL et à l’Institut de psychologie et éducation de l’UNINE.