Pornografolie

Notre Assemblée fédérale a accepté, en septembre 2013, la mise en œuvre de la convention du Conseil de l'Europe sur la protection des enfants contre l'exploitation et les abus sexuels, plus communément appelée convention de Lanzarote. Cela semble un progrès, mais il y a un problème! C'est bien, parce que la Suisse s'inscrit ainsi, depuis l'entrée en vigueur en juillet 2014, dans le renforcement de la protection des mineurs en matière de sexualité. Mais il y a un gros hic au niveau de l'application de la nouvelle norme relative à l'application de l'Art. 197 al. 1 et al. 8 du Code pénal suisse parce qu'il ne colle pas à la réalité de terrain que rencontrent les enquêtes judiciaires et parce qu'il expose les enfants de moins de 16 ans à des dénonciations, plutôt qu'à une protection accrue. C'est un peu du délire, les policiers en ragent, je m'explique.

L'Art. 197 concerne la pornographie et réprime dans son alinéa 1 "quiconque offre, montre, rend accessible à une personne de moins de 16 ans ou met à sa disposition des écrits, enregistrements sonores ou visuels, images ou autres objets pornographiques ou des représentations pornographiques". L'alinéa 8 précise que "n'est pas punissable le mineur âgé de 16 ans ou plus qui produit, possède ou consomme, avec le consentement d'un autre mineur âgé de 16 ans ou plus, des objets ou des représentations au sens de l'al. 1 qui les impliquent". Malheureusement, si cet article tente de protéger les mineurs face aux velléités d'exploitation sexuelle ou aux dérives des 16 ans et plus avec les téléphones portables ou Internet, il n'est pas en phase à la réalité de ce que découvrent les enquêteurs de police judiciaire. En effet, depuis l'entrée en vigueur de cet article, la police judiciaire neuchâteloise a enquêté dans le cadre de plusieurs affaires impliquant des mineurs qui se sont filmés avec leurs téléphones portables et se sont échangés leurs films ou photographies dénudés ou en pleine activité sexuelle, entre eux ou avec des adultes. L'affaire devient d'ailleurs communément problématique lorsque les vidéos sont transférées à d'autres camarades à l'insu de celui ou de celle qui les a réalisées, on tombe alors souvent dans une affaire de sexting ou de sextoter.

Or, dans ces affaires, il y a aussi souvent un mineur de moins de 16 ans qui est concerné et, dès lors, les policiers doivent le dénoncer pour infraction de pornographie (en violation de l'Art. 197 du Code pénal suisse), ce qui est insupportable et peut-être même intolérable. Comment expliquer à des parents, dont leur enfant est en quelque sorte "victime" d'une dérive que la technologie permet de réaliser, qu'il  sera dénoncé et fiché dans les dossiers de la police pour "pornographie" parce qu'il est âgé entre 10 et 15 ans, une signature à tout le moins peu honorable qui perdurera durant des années dans les fichiers policiers? Comment le législateur a-t-il raisonné en omettant de protéger les plus vulnérables, les moins de 16 ans, et celles et ceux qui se font le plus facilement manipuler, et donc des victimes à proprement parler? Vraisemblablement par méconnaissance de la réalité de terrain, à n'en pas douter. Les enquêteurs de la police judiciaire spécialisés dans les affaires de mœurs sont en tous les cas plongés dans l'incompréhension, voire révoltés, à chaque fois qu'ils doivent dénoncer pour pornographie un enfant de moins de 16 ans, ou même de 13 ans comme c'est le cas dans une affaire en cours à Neuchâtel. Il s'agit maintenant de corriger cette ineptie!

Si j'écris ces quelques lignes, c'est parce que je suis en train de préparer une campagne de prévention destinée aux parents et relative à la sexualité face aux nouvelles technologies. Et je devrai leur expliquer cette situation inacceptable en insistant sur le fait que leurs enfants de moins de seize ans sont exposés à des poursuites pénales en matière de pornographie, de même que le fardeau de la prévention leur appartient quasi entièrement alors qu'ils ne peuvent qu'ignorer cette nouvelle norme pénale. C'est un peu sec, tout de même! 

Olivier Guéniat

Chef de la police judiciaire neuchâteloise depuis 1997, Docteur en Sciences forensiques, Olivier Guéniat est né en 1967. Son grand dada: les stupéfiants. Ses sphères de compétences: les statistiques de la criminalité, les violences conjugales, les interrogatoires et les auditions de police, la délinquance des jeunes. Il est aussi chargé de cours à l’Ecole des sciences criminelles de l’UNIL et à l’Institut de psychologie et éducation de l’UNINE.