Attentat contre Charlie Hebdo: qu’en est-il en Suisse? Analyse de Pascal Luthi, commandant de la police neuchâteloise

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Après le choc de l'attentat perpétré contre Charlie Hebdo, la traque des auteurs aujourd'hui, la Suisse se demandait ce matin quel était le risque d'une propagation de la problématique française en Suisse. A ce sujet, le commandant de la police neuchâteloise, Pascal Luthi, assurément dans le top five des meilleurs connaisseurs du renseignement lié au fondamentalisme et à la sécurité en Suisse, était interviewé par plusieurs médias sur la situation helvétique. Pascal Luthi est aussi depuis plusieurs mois maintenant l'une des locomotives visant à pousser la Suisse à une meilleure gestion du risque lié au terrorisme et au développement d'une stratégie sécuritaire crédible et opérationnelle au niveau national. Voici en quelques points ce qu'il pense de la situation.

Selon Pascal Luthi, il est évidemment délicat et prétentieux de tirer à chaud des enseignements, mais des questions se posent à 3 niveaux:

  1. Le degré de protection des cibles potentiellement exposées ou concrètement menacées.

  2. La capacité de renseignement qui permet de détecter les auteurs potentiels, leurs capacités et leurs intentions, et d'agir en amont pour prévenir ces horreurs.

  3. L'état de préparation et d'équipement des forces de l'ordre pour faire face à de telles attaques.

En cas de menaces concrètes, des mesures de protection peuvent et doivent être mises en place. On a pu voir que c'était le cas depuis plusieurs années pour la rédaction de Charlie hebdo. Mais la réponse à cet attentat n'est pas la bunkerisation de toutes les rédactions – ou de tous les sites emblématiques de notre société démocratique, car cela obligerait à basculer en état de guerre, et c'est précisément ce que recherchent les adversaires, du fait que c'est justement là que nous aurions tout à perdre.

Pascal Luthi pense qu'il est plus efficient (mais peut-être moins spectaculaire) de renforcer la capacité de renseignement pour détecter et arrêter les auteurs potentiels – car, si les cibles peuvent être n'importe où, les auteurs ne sont pas n'importe qui (ils ont un parcours, des contacts, des actes préparatoires, ils laissent forcément de traces).

Mais quand Pascal Luthi considère la détermination, l'armement et l'efficacité des auteurs de l'attentat, il est évident qu'il s'agit aussi, pour la police, d'être prêt à combattre – concrètement – avec des armes, des moyens de protection et des tactiques adaptés. En suisse, en particulier depuis les attentats de Breivik en 2011, les polices ont revu leurs concepts d'engagement et leurs équipements face à ce genre d'adversaires efficacement et lourdement armés.

Sous l'appellation AMOK (tuerie dans les écoles ou autre), une tactique d'engagement commune entre les cantons s'est récemment développée, ainsi que des équipements plus lourds (armes et gilets pare-balle) disponibles dans chaque véhicule d'intervention. Mais la Suisse n'ayant pas une organisation policière nationale, des questions se posent encore sur notre capacité d'alarme, de planification et de conduite au niveau intercantonal et national.

Finalement – et fort heureusement, la Suisse n'est pas la France: le degré d'intégration et de paix sociale qui y règne fait que le risque reste inférieur – mais rien n'est acquis et le climat a malheureusement tendance à se détériorer. Il serait irresponsable de se considérer à l'abri d'une telle violence – comme il est irresponsable de semer la peur et la haine de l'autre.

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Olivier Guéniat

Chef de la police judiciaire neuchâteloise depuis 1997, Docteur en Sciences forensiques, Olivier Guéniat est né en 1967. Son grand dada: les stupéfiants. Ses sphères de compétences: les statistiques de la criminalité, les violences conjugales, les interrogatoires et les auditions de police, la délinquance des jeunes. Il est aussi chargé de cours à l’Ecole des sciences criminelles de l’UNIL et à l’Institut de psychologie et éducation de l’UNINE.