La campagne de prévention nationale contre la consommation d'alcool se déroule du 18 au 26 mai 2013. A mon goût, je la trouve bien discrète et timide, même si je suis conscient qu'un grand nombre de professionnels ou de bénévoles ont multiplié les efforts de communication ces derniers temps. J'aimerais également amener ma petite pierre à l'édifice en discutant ici la relation entre alcool et sécurité, sous deux angles, parce qu'ils ont le mérite d'avoir été étudiés en criminologie: celui de la violence conjugale et celui des jeunes.
En ce qui concerne les violences exercées contre les femmes en Suisse, selon une étude internationale (M. Killias, M. Simonin, J. De Puy, 2004, Violence experienced by women in Switzerland over their lifespan, Bern, Stämpfli) à laquelle la Suisse a participé, il ressort que la consommation "parfois excessive" d'alcool du conjoint masculin multiplie les risques, pour une femme, d'être violentée, d'un facteur 2.5. Ce n'est pas anodin. S'il a déjà consommé de la drogue, le facteur multiplicateur est de 2.6. Ce sont là les deux facteurs les plus signifiants de toutes les variables qui ont été étudiées, après celui de savoir que le conjoint avait déjà commis des violences à l'extérieur de la famille (8.5 fois plus de risques pour une femme d'être victimée, il s'agit de la variable championne, ce n'est pas une surprise). Et lorsque l'on regarde dans le détail les réponses du sondage, on découvre que 44.7% des femmes victimes d'un conjoint actuel violent déclarent "qu'il boit parfois trop", que 62.2% des femmes considèrent que leur ex-partenaire violent "buvait parfois trop". Et enfin, elles sont à peu près 20% à penser que leur partenaire actuel non-violent "boit parfois trop". Ces résultats sont extrêmement révélateurs de la place de l'alcool dans la relation de couple, ce d'autant plus si l'on considère que 2% des femmes sondées ont été victimes de violences ou de menaces de la part de leur conjoint dans les 12 derniers mois et 27% durant leur vie entière. Il est donc prouvé que l'alcool joue un rôle déterminant dans l'action de violence contre les femmes et, par extrapolation, contre les enfants, dans le cadre des divorces et bien d'autres drames familiaux. Intéressant, non?
Concernant les jeunes, une recherche (O. Guéniat, S. Lucia, A. Schaller, 2009, Etude portant sur la consommation d´alcool et/ou de cannabis et le passage à l´acte), basée sur un sondage auto-reporté des 15-16 ans du canton de Neuchâtel (1575 sondés), vient nous éclairer sur la variable "consommation d'alcool" et "transgression des règles". Les résultats montrent, de manière significative, que, pour les 15-16 ans, impliqués dans les affaires de port d'arme ou de bagarres, ils sont deux fois plus nombreux à avoir déjà consommé de l'alcool que de n'en avoir jamais consommé (16.3% contre 7.9%). Pour le vandalisme ou les incendies intentionnels, ils sont 2.7 fois plus nombreux (14.9% contre 5.5%). Pour les cambriolages et les vols, ils sont 2.8 fois plus nombreux à avoir consommé de l'alcool, 2.4 fois plus nombreux pour les affaires de racket, de lésions corporelles ou brigandages. Par contre et de manière intéressante, les affaires d'atteintes à l'intégrité sexuelle semblent échapper à la règle, ils ne sont que 1.2 fois plus nombreux à avoir consommé de l'alcool. La pulsion sexuelle serait donc alors plus forte que l'effet désinhibiteur de l'alcool? La molécule de testostérone serait-elle plus incitative à transgresser les règles que la molécule éthylique? Ce serait un peu contraire aux attentes des chercheurs, à quelques autres constats et cette dimension mériterait évidemment d'être approfondie. A titre indicatif, la variable "consommation de cannabis" serait 4 fois plus explicative des affaires de port d'armes ou de bagarres (35.5% contre 8.8%), 4 fois plus explicative des affaires de racket, lésions corporelles et brigandages, 4.5 fois plus pour le vandalisme et les incendies intentionnels, 6.6 fois plus pour les affaires de vols ou de cambriolages, 4.2 fois plus dans les délits sexuels, 42 fois plus dans la vente de produits stupéfiants. Ainsi, il est acceptable et légitime de penser que la transgression de règles pénales ou de vie, appelle à la transgression. Très intéressant!
Alors que faire? La recherche ne servirait à rien si elle n'influençait pas les décisions politiques. Elle nous enseigne certainement que:
1. Il faut interdire la vente d´alcool dans les stations essence. Certains cantons ont osé cette mesure avec les succès escomptés. Les mineurs y trouvent un moyen simple de se procurer de l´alcool, notamment en soirée au-delà de la fermeture des grandes surfaces. Au vu des résultats de la recherche, limiter les heures d'accès à l'alcool de même que l'âge limite sont des propositions adéquates.
2. Il faut renforcer ou établir le contrôle de la vente d´alcool aux mineurs. Les polices n´ont pas le droit d´utiliser des mineurs pour des achats-tests. Il s´agit pourtant d´un moyen simple d´agir sur la responsabilisation des vendeurs dans le cadre d´une procédure de flagrant délit.
3. Il faut augmenter le montant des amendes infligées à ceux qui vendent de l´alcool aux mineurs. Il est certain que si le risque réel d´une sanction (certitude de la sanction) n'est pas clairement identifié par celui qui est susceptible de vendre de l´alcool aux mineurs, alors même que la sanction est soit un avertissement, soit une amende de quelques centaines de francs, l´effet dissuasif de la sanction est quasi nul. Si la loi permet de procéder à des contrôles efficaces et que les amendes représentent plusieurs milliers de francs, il est certain que l´accessibilité à l´alcool par les mineurs sera immédiatement diminuée de manière drastique.
4. En ce qui concerne la consommation de cannabis, il faut agir sur la sanction définie dans la Loi fédérale sur les stupéfiants. En augmentant clairement la sévérité de la vente aux mineurs, il y aura un effet dissuasif évident auprès des revendeurs. Actuellement, la vente de cannabis étant très peu réprimée en termes de sévérité, les actions de la police sont totalement disproportionnée par rapport à la sanction encourue. Des actions répressives ciblées pourraient être organisées si les sanctions en valaient la peine.
A l'aube de la modification de la Loi sur l'alcool, il sera intéressant de voir nos députés prendre position sur un sujet faisant l'objet d'un lobby à tous points inégal à la prévention et très important. A suivre.
La réponse d'un membre du Groupe romand d'études des addictions (GREA) à Olivier Guéniat.